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Comment motiver à se former aux enjeux interculturels ? Retours d’expérience et conseils pratiques

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Les deux côtés de la barrière

Chez la très grande majorité des entreprises que je rencontre, la formation professionnelle est mature, organisée, suivie. Les collaborateurs sont à la fois très concernés, demandeurs et exigeants. Leurs retours sont pris en compte avec sérieux et permettent de mieux calibrer à la fois l’offre et les prestations. Par rapport à 2011 où j’avais alerté sur la régression de la formation professionnelle en France, on note des évolutions positives, notamment – en ce qui me concerne – sur le plan des formations aux enjeux interculturels.

Il n’en reste pas moins que les services de formation et les responsables d’équipes peuvent parfois se confronter à deux types d’obstacles pour motiver les collaborateurs à s’inscrire aux formations. Ils constituent comme les deux côtés d’une barrière qui tiendrait à certaines spécificités françaises. Nous pourrions les résumer par les attitudes suivantes :

  1. Si la formation n’est pas obligatoire, certains se disent : Dans ce cas, pourquoi y aller ?

On a ici l’impression de se retrouver à l’école, quand les cours facultatifs étaient les moins fréquentés. Je me souviens qu’en arrivant en classe de seconde au lycée nous avions le choix d’étudier, entre autres, une troisième langue étrangère. Je me suis immédiatement inscrit en cours d’espagnol. Nous n’étions qu’une dizaine d’élèves en classe, ce qui changeait très agréablement du cours d’anglais où nous étions une quarantaine. Autrement dit, la majorité des élèves, soit par paresse soit en supposant que cela ne leur servirait à rien, ne choisissaient pas ces cours optionnels : pourquoi y aller, en effet ?

Cette attitude peut se retrouver en entreprise, avec cette couche supplémentaire de réticence provenant de l’idée que le temps des études, c’est du passé, qu’on a obtenu un diplôme, et donc des compétences – car il est bien connu que savoir implique savoir-faire. Pourquoi donc aller en formation si on ne se croit pas soi-même en besoin de formation et si on considère que la formation, c’est pour les personnes déficientes ?

  1. À présent, si la formation est obligatoire, on peut faire face à cette attitude paradoxale : Puisque c’est obligatoire, je n’y vais pas !

Esprit de contradiction français ? Révolte face à une injonction perçue comme injustice car niant la liberté de choisir ? Volonté d’afficher sa différence et sa singularité face à un assujettissement collectif ? Quoi qu’il en soit, cette réaction est plus courante qu’il n’y paraît. Ainsi, le membre du CODIR d’une entreprise française a pu affirmer tranquillement : Quand une formation est obligatoire, j’autorise mes collaborateurs à ne pas y aller car ils ont autre chose à faire.

Ces deux réactions (ce n’est pas obligatoire alors je n’y vais pas ; c’est obligatoire, alors je n’y vais pas) ont plusieurs points communs :

  • elles ne sont pas exclusives l’une de l’autre : généralement, quand l’une existe dans l’entreprise, l’autre aussi, et elles peuvent coexister dans l’esprit d’une même personne qui passe de l’une à l’autre selon que la formation est obligatoire ou pas : l’essentiel est d’y échapper ;
  • elles sont liées à la présupposition que la formation est réservée aux personnes en manque de compétence, donc incompétentes, d’où l’attitude de rejet envers les propositions de formation,
  • enfin, et c’est le cœur du sujet ici, elles indiquent que la formation est vécue comme une injonction limitant la liberté individuelle.
Image Unsplash

Autrement dit, le couple facultatif/obligatoire constitue les deux côtés d’une même barrière dont la matière principale serait faite de contrainte. Une entreprise cherchant à développer une véritable culture de la formation professionnelle se demande alors : Comment franchir la barrière ?

Peut-être qu’il convient justement de sortir de ce dualisme facultatif/obligatoire en envisageant autrement l’offre de formation. Il faut faire un pas de côté pour envisager ce que j’ai appelé ailleurs le « troisième côté de la barrière ».

Développer une culture de la formation

Pour changer les mentalités, il faut changer les représentations, et donc briser cette association entre formation et contrainte. Pour cela, il va être nécessaire de sortir du dualisme obligatoire/pas obligatoire et explorer d’autres approches afin de développer en interne une culture de la formation professionnelle.

Ici, on parle de culture de la formation professionnelle, mais on pourrait tout aussi bien parler de culture d’entreprise, de culture nationale ou de culture des risques, autrement dit de l’appropriation et l’intériorisation de normes (de goût, d’action, de pensée, etc.) propres à un groupe d’appartenance au point d’en faire une part de l’identité individuelle. Ainsi, au travail, je peux trouver normal de m’identifier à mon métier (culture professionnelle), à mon entreprise (culture d’entreprise), de respecter les consignes de sécurité (culture de la sécurité) ou de suivre des formations (culture de la formation).

Autant d’exigences qui font partie de ma normalité professionnelle, à tel point que je perçois comme anormal le fait de ne pas se former régulièrement ou de contourner des règles de sécurité. A contrario, s’il est normal de ne pas se former régulièrement ou de ne pas respecter les règles de sécurité, c’est que l’organisation n’a pas su développer chez ses collaborateurs une culture de la formation ou une culture de la sécurité – ou, pour le dire via un paradoxe qui ne l’est qu’en apparence, il peut faire régner dans une organisation (entreprise, administration ou… école) une culture de l’inculture…

Photo Jamain, licence CC BY-SA 3.0

L’analogie avec la culture de la sécurité routière aidera ici à comprendre l’enjeu. Supprimez toute procédure de contrôle au bord des routes (radars, gendarmes) et regardez comment les conducteurs se comportent : continuent-ils à observer le code de la route ? Si oui, ils ont développé une culture de la sécurité routière : ils en ont fait une part essentielle de leur identité individuelle quand ils sont au volant. Si ce n’est pas le cas, c’est qu’ils n’obéissent aux règles de sécurité routière que par crainte de la sanction : quand celle-ci s’éloigne, les règles, restées dans une totale extériorité par rapport à l’identité individuelle, sont contournées. Il n’y avait pas chez eux, en eux, de culture de la sécurité routière.

Trois leviers à activer

Revenons à la culture de la formation professionnelle. Globalement, les entreprises les plus matures déploient simultanément trois types d’action :

1. Communiquer

Si l’on s’en tient à la simple annonce par email collectif de l’inscription au catalogue d’une nouvelle formation (par exemple aux enjeux interculturels), il y a fort à parier que cette information passera inaperçue ou, si elle est lue, passera aussitôt au second plan, au profit d’emails bien plus urgents à traiter, arrivés au même moment ou dans la foulée. En faisant ainsi, peut-on affirmer avoir communiqué sur le sujet ? Est-ce plus efficace que de crier cette annonce dans le couloir et retourner s’asseoir ?

Dans un contexte d’afflux massif et permanent d’informations dont chaque émetteur cherche à capter l’attention du destinataire, il va falloir se montrer extrêmement entreprenant en matière de communication. En effet, le contenu, la forme et le véhicule du message vont devoir être adaptés en fonction de la cible, d’où tout l’intérêt pour le service de formation de travailler avec le service de communication.

Parfois, les moyens manquent pour avoir un solide service de communication. C’est alors qu’il faut savoir se montrer créatif. Ainsi, j’ai connu une entreprise de taille moyenne qui parvenait en trois jours (voire deux) à remplir le planning des douze formations interculturelles de l’année, qui se tenaient un jour par mois de janvier à décembre, pour quinze participants chaque fois. Comment faisait-elle alors qu’un grand groupe du CAC40 qui réalise essentiellement son chiffre d’affaires à l’international (et que je ne citerai pas) parvient péniblement à remplir une à deux sessions par an (quand il ne les annule pas, faute de participants) ?

Son secret ? Je l’ai découvert en allant aux toilettes. J’ai eu la surprise de trouver au-dessus des urinoirs une affiche colorée et illustrée annonçant l’ouverture des inscriptions pour la formation au management interculturel. Voilà un moyen de communiquer simple, peu coûteux, efficace (qui ne va pas aux toilettes ?) et malin (l’attention est captive pendant cette activité déconnectée des autres, où se soulagent brièvement non seulement la vessie mais aussi la charge mentale).

Message reçu… (photo Yann Gar, licence CC BY-SA 2.0 Deed)

2. Expliquer

Plus qu’ailleurs, il est en France important de savoir expliquer pour motiver. C’est souvent ce qui surprend les étrangers travaillant avec les Français : cette nécessité de justifier ce qu’ils proposent et demandent, de convaincre longuement de la pertinence d’une solution, mais aussi de faire preuve de patience face à des Français développant un long discours exposant de nombreux arguments. Voyez par exemple ces trois témoignages (je souligne en gras quelques mots clés) :

Kelly (américaine) : J’ai vraiment eu l’impression qu’il fallait convaincre les équipes de travailler, de faire des efforts afin que tout le monde soit motivé. En France, les exécutants ont plus besoin de voir le sens de ce qu’ils font et pourquoi ils vont passer des heures à travailler. (source)

Greg (britannique) : L’Anglais trouve que le Français est un bon parleur. Mais il parle beaucoup, il ne va pas droit au but. Le Français va de gauche à droite en réunion, il te mène d’abord en bateau avant de conclure. En fait, il est fort en démonstration, il prend le temps de faire beaucoup de démonstrations, ce qui est mal perçu par l’Anglais car il a l’impression qu’il ne va pas droit au but. (source)

Julian (canadien) : Les Français tournent autour du pot lorsqu’il y a quelque chose à expliquer. J’ai comme l’impression qu’ils ne vont pas droit au but. Et du côté américain, ça nous gêne. Nous ne sommes pas là pour écouter des beaux discours, nous sommes là pour connaître exactement ce qui s’est passé pour en tirer des conclusions. Par exemple, si on leur demande quelle est la couleur d’un bateau, Ils vont expliquer d’abord l’origine du bateau, le contexte, avant de dire enfin que le bateau est de couleur bleue. Or nous, on dirait directement que le bateau est bleu. (source)

Ces retours d’expérience sont en droite ligne avec les résultats d’une étude (citée par Jean-Louis Barsoux et Peter Lawrence en p.6 de leur ouvrage French management : elitism in action, Routledge, 1997) montrant que les employés français ont, parmi les quelques nationalités européennes étudiées, le taux le plus élevé d’adhésion à l’affirmation « j’obéis aux instructions de mon manager seulement si ma raison est convaincue » :

J’en donne une interprétation toute personnelle : les Français ayant horreur du rapport de subordination, le fait de prendre le temps d’expliquer permet d’établir une éphémère relation égalitaire d’intelligence à intelligence, avec la raison A (du manager) qui communique avec la raison B (du membre de son équipe). Les deux partagent alors un même horizon de compréhension qui donnera du sens à ce qui sera exigé dans le cadre de la relation professionnelle.

C’est la raison pour laquelle les services de formation auraient tout intérêt à préparer un argumentaire (ailleurs, on parlerait d’éléments de langage) à destination des managers afin de les armer pour convaincre leurs équipes de s’inscrire aux formations interculturelles. Il s’agirait d’une note synthétisant quelques points clés permettre de comprendre l’importance et la pertinence de suivre la formation. Encore faut-il que les acteurs de la formation en entreprise soient armés pour produire un tel argumentaire.

Dans le cadre de la formation aux enjeux interculturels, on pourrait imaginer une fiche avec trois idées fortes, comme par exemple :


– Vos partenaires étrangers savent que vous êtes moins disponible en août et en décembre, mais savent-ils que vous l’êtes moins en mai, et pourquoi ? Et vous, savez-vous quand vos partenaires indiens sont moins disponibles, et pourquoi ? (coup de pouce: en octobre-novembre !) Qu’en est-il de vos autres partenaires étrangers ? Quelles conséquences pour gérer des projets ensemble ?

– Pour 2000 PME de plus de 20 pays européens, le France est le 2e pays cité après la Chine quand on leur demande de lister les 10 pays où elles font face aux plus de défis culturels [voir mon intervention au colloque des CCE]: comment les étrangers vivent-ils la relation professionnelle avec vous et quelles leçons et bonnes pratiques peut-on tirer de leurs retours d’expérience ?

– 67% des dirigeants de 30 pays constatent que la multiculturalité de leurs équipes nourrit fortement l’innovation (étude portant sur 572 dirigeants d’entreprise, The Economist Intelligence Unit, 2012) : comment et pourquoi la diversité culturelle est-elle un atout pour la créativité et la performance ?


3. Influencer

Aussi solide soit-il, l’argument rationnel ne suffit jamais. Il faudrait alors prendre garde à ne pas être trop franco-français en se reposant uniquement sur un argumentaire pour que les collaborateurs s’inscrivent aux formations interculturelles. Une explication n’entraîne pas nécessairement une implication : les choses ne sont jamais aussi simples (que dans l’esprit complexe des Français). Outre la raison, il convient d’agir en même temps sur un levier plus archaïque, à savoir l’émotion, et surtout le désir d’imitation. La décision de s’inscrire à une formation interculturelle sera alors à la fois le résultat d’une délibération individuelle et consciente et d’une contamination collective et inconsciente.

Il s’agit de jouer la carte de l’influence, autrement dit d’une action indirecte. Dire à son collaborateur : « Inscris-toi à cette formation ! », c’est tout au contraire vouloir exercer une action directe sur le mode de l’injonction, laquelle est vécue sur le mode du rapport autoritaire et de la contrainte, chose intolérable pour des Français qui auront tendance à s’opposer ou à échapper au projet de formation, ou bien, s’ils sont sans échappatoire, qu’ils suivront à reculons, avec réticence et – aussi utile et captivante que soit la formation en question – en dégradant leur niveau d’engagement et en retenant leur appréciation qui sont alors les dernières armes qui leur restent pour protester contre l’injonction.

L’action d’influence cherchera, elle, à faire en sorte que le message ne provienne pas de la hiérarchie mais des pairs. Celui-ci sera d’autant plus performatif qu’il sera émis par des semblables qui agiront, comme par capillarité, en médiateurs du désir. J’ai déjà décrit ce mécanisme à propos de Jérôme Kerviel en reprenant les concepts de René Girard et pour plus de détails je vous renvoie à mon article Les pièges du désir : du cas Kerviel au cas français.

Concrètement, il s’agit de changer les mentalités en faisant en sorte que les collaborateurs invités à se former passent de « ils m’y envoient, pourquoi moi ? » à « ils y ont droit, pourquoi pas moi ? », où le pronom « ils » évolue de « mes responsables » à « mes collègues ». Pour avoir contribué à plusieurs reprises au développement de la culture de la formation interculturelle dans des entreprises, la première étape a toujours été de proposer d’abord une conférence de sensibilisation, ouverte à tous, sans aucune obligation, répétée une fois par mois pendant quatre ou cinq mois, d’une durée d’une heure entre midi et 13h ou 13h et 14h, par exemple.

L’intervenant doit accepter qu’il y ait peu de participants la première et la deuxième fois. Il doit malgré tout proposer un moment interactif et vivant : les participants, aussi peu nombreux soient-ils, ne le savent pas mais l’intervenant a pour objectif de former en réalité des agents d’influence dont la mission va constituer à inciter directement ou indirectement les autres à venir lors des prochaines sessions. C’est tout simplement le classique bouche-à-oreille qu’il cherche à activer.

De pair à pair, ou quand un élément entraîne le mouvement d’un autre élément, lequel à son tour etc. (image Unsplash)

A partir de la troisième conférence, le service de formation déploie des actions de communication concernant des ateliers et des formations pour des groupes d’une quinzaine de participants, en indiquant qu’une session pilote sera réservée aux collaborateurs capables d’en apprécier la forme, le fond et la dimension pratique. Stratégie classique du marketing qui restreint l’accès à un produit ou à un service à quelques heureux élus qui créent envie et jalousie chez ceux qui n’ont pas été retenus pour faire partie de cette élite…

Précision importante : dès qu’on a des participants sous la main, en conférence, en atelier ou en formation, on les sollicite pour qu’ils partagent des suggestions de thématiques globales et de sujets spécifiques qu’ils aimeraient voir abordés en formation, ceci afin de nourrir une offre toujours plus en adéquation avec leurs attentes et besoins réels.

Enfin, il convient de signaler un dernier point essentiel : comme dans tout développement d’une culture (de métier, d’entreprise, de sécurité, etc.), l’effort de communication, d’explication et d’influence doit être sans relâche. Le mouvement qui ralentit et s’interrompt renvoie rapidement la situation à son point d’inertie initial.

Songez par exemple à la lutte contre l’épidémie de VIH et à la nécessité de normaliser les mesures de prévention (comme le port du préservatif) afin de développer une culture sanitaire. A présent que le VIH est moins menaçant et que se sont relâchés les efforts de communication/explication/influence, cette culture sanitaire tend à se relâcher et on constate un fort regain des MST en France.

Autrement dit, une culture, ce n’est jamais un acquis. C’est une seconde peau, invisible et fragile, qui se superpose à la première – et qui, comme elle, a besoin d’un constant renouvellement pour persister et se survivre.

Pour poursuivre sur le thème des formations interculturelles, je vous invite à lire:

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Quelques suggestions de lecture:

2 Comments

  1. Je trouve vos articles très pertinents, Bravo et merci !

  2. Benjamin PELLETIER

    Et merci pour ce sympathique retour de lecture !

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