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Comment les étrangers perçoivent-ils leurs partenaires français ? (intervention au colloque des CCE)

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Lors du premier colloque des Conseillers du Commerce Extérieur (CCE) ce mardi 3 octobre, j’ai été invité à faire une intervention de dix minutes pour partager les enjeux liés aux perceptions des Français par les étrangers en contexte professionnel.

Dans les limites très contraignantes du temps imparti, il s’agissait de donner un aperçu des défis interculturels sans être caricatural (d’où le sous-titre de mon intervention : Au-delà des stéréotypes : l’expérience vécue) et de se montrer très pragmatique tout en inscrivant des exemples de bonnes pratiques dans le contexte plus global de l’attractivité des entreprises françaises à l’international.

Pour celles et ceux qui n’ont pu participer au colloque, voici un compte rendu de mon intervention. Il s’agit ici d’une transcription de mémoire. Il peut y avoir de légères différences entre cette version et le prononcé.

* * *

Il y a quelques années, pour m’expliquer pourquoi il avait du mal à faire confiance à ses partenaires français, un Coréen (que je connaissais heureusement très bien !) m’a dit :

– Regarde, ton visage est laid.

Sommé très poliment d’apporter quelques précisions, il a alors ajouté :

– Oui, ton visage bouge tout le temps (front, yeux, sourcils, bouche), ce n’est pas poli, ce n’est pas esthétique, ce n’est pas le signe d’une personne qui réfléchit avant d’agir. Comment faire confiance à quelqu’un d’aussi impulsif ?

Ses explications ont été lumineuses : ce qui d’un côté peut être vécu comme de l’expressivité peut être perçu d’un autre côté comme de l’impulsivité. Nous sommes au cœur du sujet qui nous préoccupe aujourd’hui : comme les étrangers perçoivent-ils leurs partenaires français ? Que disent-ils quand on recueille leurs perceptions et expériences ? Qu’apprend-on qui va bien au-delà des stéréotypes et nous éclaire sur les enjeux professionnels ? Quelles leçons en tirer pour une meilleure coopération ?

J’aimerais partager avec vous quelques retours d’expérience en tant que consultant formateur en management interculturel. Depuis 15 ans, j’ai la chance de rencontrer de très nombreux Français et étrangers qui sont engagés dans des projets communs et de pouvoir débriefer les perceptions et les vécus des uns et des autres. Beaucoup proviennent de pays européens, mais pas seulement.

Par exemple, comment des Nigérians vivent-ils la relation professionnelle avec leurs partenaires français ? Qu’en est-il des Saoudiens ? Des Turkmènes ? Et des Indiens ? Quels témoignages sont spécifiques et récurrents pour chacun d’entre eux ? Que nous apprennent-ils sur des tendances culturelles et professionnelles propres à leur contexte?

Débriefons ainsi les Indiens. J’en ai rencontré plusieurs centaines lors d’ateliers et de formations. Ils ont constaté que, lors d’une réunion de lancement de projet avec les Français, où l’on fait un tour de table pour réunir les suggestions des uns et des autres, il leur arrivait parfois que des Français réagissent ainsi à leur proposition : Oh, ça ? Non, ce n’est pas possible. Ou bien : Non, on n’a pas les moyens de faire cela. Ou encore : Non, on a déjà essayé, cela ne fonctionne pas.

Comment percevez-vous ce « non » frontal ? leur ai-demandé. C’est comme si tu prenais une brique et que tu me la lançais dans la figure, ont-ils expliqué. Résultat ? A la réunion suivante où on leur demande leurs suggestions, ils se taisent.

Alors que côté français, il s’agit tout simplement d’être franc et de gagner du temps pour avancer, côté indien on perçoit une forme de violence. Parce que nous, en Inde, disent-ils, on n’est pas à l’aise pour dire non de manière aussi directe. C’est un point capital : leur perception dépend tout autant ce que nous sommes que de ce qu’ils sont.

Retournons en Europe. Face à un « non » direct des Français, des Néerlandais, eux, auront tendance à le prendre en tant que tel, la transparence étant une valeur clé dans leur style de communication. Le malentendu naît alors quand, côté français, le « non » peut n’être qu’un point de départ pour une discussion argumentée et contradictoire que les Français attendent de leurs partenaires et qui, dans ce cas, ne vient pas. Ce besoin du débat contradictoire en réunion, qui laisse par ailleurs une grande place à l’improvisation, n’est pas universel…

On le voit, dans l’approche interculturelle, il est capital de bien saisir qui sont nos partenaires étrangers car leurs perceptions et leur vécu de la relation avec les Français peuvent varier d’un contexte à un autre. Il faut se méfier de toute généralisation et entrer dans la finesse des interactions.

S’il y a des spécificités récurrentes par contexte culturel, il y a aussi des sujets transnationaux et récurrents. Autrement dit, quelle que soit la nationalité des partenaires étrangers, on retrouve régulièrement certains sujets dont les Français doivent impérativement avoir conscience dans leur approche de l’international.

Pour respecter le temps imparti, j’ai fait un choix de quelques-uns de ces sujets. Cette liste est bien sûr non exhaustive.

French way, best way. Très souvent, les Français sont perçus par les étrangers comme un ayant un a priori de supériorité et d’excellence : nous avons la meilleure manière de faire les choses. C’est la fameuse arrogance française qui nous empêche de saisir sans jugement d’autres manières de fonctionner. Notons que nous n’avons pas le monopole de “l’arrogance des meilleures pratiques”: celle-ci peut aussi être allemande ou américaine.

Les réunions. Trop longues, trop verbeuses, pas assez structurées, mal préparées. C’est un grand classique. Unité de temps, de lieu et d’espace, la réunion est un moment de mise en scène. Or, les Français ont tendance à apprécier la réunion comme espace de liberté et de créativité, d’où le travers de l’improvisation et de longs débats d’idées.

Le mode de raisonnement. Souvent théoriques, conceptuels, abstraits, les Français ont tendance à chercher à convaincre et expliquer par la force des idées. Ils ont également besoin de partir du global pour aller vers le détail. Ce n’est pas universel et c’est très lié au système éducatif.

L’équilibre vie professionnelle/vie privée. Cette capacité à préserver la vie personnelle et familiale n’est pas contradictoire avec la productivité. Cela intrigue fortement les Américains, les Indiens ou les Japonais. Des Britanniques en sont très jaloux (mais ils ne le diront pas !…).

Pédagogues. Cette qualité est souvent mentionnée par des étrangers qui apprécient nos efforts pour expliquer et transmettre (même si ces efforts risquent, là aussi, de tomber dans le travers « trop théoriques », voire “donneurs de leçons”).

Vision à 360°. Du fait de notre système éducatif, nous avons en France des professionnels qui ont une expertise pointue et qui en même temps font preuve de culture générale et de curiosité pour d’autres domaines que celui de leur expertise. Cette capacité à envisager une situation sous différents angles est appréciée (quand elle ne dérive pas vers des réunions sans fin !).

On le voit, en débriefant les uns et les autres sur leurs perceptions et leurs retours d’expérience, on parvient à mettre en évidence certains défis de coopération. Les enjeux pour nos entreprises sont considérables.

Pour les faire émerger, je vais m’appuyer dans un premier temps sur une étude de 2006 commandée par la Commission européenne concernant l’incidence du manque de compétences linguistiques sur l’économie européenne. Le panel est vaste : 2000 PME et 30 grands groupes de 29 pays européens ou candidats à l’adhésion UE.

Dans le rapport, il y a une section consacrée aux enjeux culturels. Ainsi, quand on demande à ces entreprises de citer les 10 marchés où elles éprouvent le plus de difficultés à cause des différences culturelles. On retrouve à la première place la Chine et à la deuxième… la France.

Parmi les défis mentionnés, la « mentalité » française – et son impact sur la relation d’affaires avec les étrangers – constitue un vrai obstacle, voire un mystère, pour nombre d’entre eux.

Allons plus loin dans cette exploration. Je vais reprendre ici une petite partie d’une étude réalisée par l’université de Princeton et l’école de commerce ESCP Europe, portant sur l’expérience de 2500 étrangers de 90 pays dans les groupes français du CAC 40 (voir l’ouvrage La prouesse française de Suleiman, Bournois et Jaïdi, Odile Jacob, 2017, qui détaille les résultats de l’étude).

Découvrons donc la durée moyenne d’adaptation de certains étrangers (Américains, Britanniques, Allemands, Indiens et Chinois) au contexte professionnel français une fois qu’ils ont rejoint nos grands groupes. « Adaptation » signifie que ces étrangers sont parvenus après une certaine durée à un engagement à 100% dans le travail, comme dans une entreprise de leur pays :

Finalement, ceux qui mettent le plus de temps – et ce n’est pas intuitif – ce sont les plus proches de nous géographiquement, et supposément culturellement. Attention donc à ce qu’on appelle l’illusion de la proximité. Parce qu’on est proche géographiquement, on ne n’est pas forcément professionnellement. Le problème est qu’on se prépare moins sur le plan interculturel qu’avec des partenaires venant de pays plus lointains.

Il y a bien des défis majeurs de coopération entre français et étrangers, comme on le voit. Les prendre en compte suppose une approche mature et très professionnelle chez les Français et leurs partenaires étrangers du développement de la compétence interculturelle.

Je voudrais partager à présent avec vous quelques exemples de bonnes pratiques pour une meilleure compréhension entre Français et étrangers sur le plan professionnel. Je vais m’efforcer d’être le plus pragmatique possible.

Pour respecter le temps imparti, je ne vais pas commenter les 10 propositions qui s’affichent à l’écran mais faire un focus sur 3 d’entre elles. Si vous le souhaitez, nous aurons l’occasion d’échanger ultérieurement sur les autres à la fin du colloque.

Concernant par exemple la 4e, il s’agit ici de valoriser l’expertise culturelle des collaborateurs. En interne, il y a des ressources précieuses d’expérience et d’expertise pays qui passent sous le radar et les organisations ont tout intérêt à les identifier. Des volontaires deviendraient ainsi des médiateurs ou des conseillers culturels pour leurs collègues qui pour la première fois auraient un projet avec tel ou tel pays qu’ils connaissent mal ou pas du tout.

Concernant la 6e, j’ai pu former dans un grand groupe français les collaborateurs, volontaires là aussi, pour donner des cours de langue et de culture françaises en tête à tête à des collègues étrangers. C’est un dispositif proposé par l’entreprise elle-même. On peut ainsi consacrer 1h ou 2h tous les 15 jours à ces cours de langue. J’ai constaté les effets bénéfiques de ces interactions privilégiées où ne s’échangent pas seulement des informations culturelles mais aussi des expériences et des conseils pour mieux comprendre l’environnement professionnel et managérial. Elles permettent également de développer des liens privilégiés entre les personnes, de renforcer la confiance entre elles et, par suite, leur engagement et leur efficacité.

Concernant la 8e proposition, nous nous trouvons à un niveau supérieur de maturité et d’accompagnement. Les organisations ont besoin d’un tableau de bord, d’indicateurs, de « KPI », pour piloter leur efficacité interculturelle et sécuriser leur présence à l’international. Par exemple, le taux de turn-over des hauts potentiels étrangers ou bien le taux d’échec d’expatriation par pays et leur évolution sur la durée donnent des indications sur les défis à prendre en compte pour gérer les risques interculturels. Voilà qui permettrait d’identifier finement des problématiques spécifiques et de rationaliser et d’ajuster les formations interculturelles en fonction des besoins réels.

On l’aura compris, ce qui se joue ici dépasse largement la dimension esthétique de mon visage ! Nous nous trouvons ici sur la ligne de front de l’export et du développement international.

Avec une bonne gestion des enjeux interculturels, il y va de l’attractivité de nos organisations. À court terme, il s’agit de la capacité à repérer, recruter, former, intégrer et fidéliser des talents étrangers. Ces talents sont les relais sur le terrain de notre capacité à mettre en place des bonnes pratiques en la matière. La réputation d’une organisation s’en trouve renforcée par le simple effet du bouche à oreille, notamment dans les pays dits émergents où l’informel et le réseau relationnel occupent une place considérable.

À moyen et long terme, c’est tout l’écosystème de la projection de nos entreprises à l’international qui bénéficie d’une prise en compte mature et professionnelle des enjeux interculturels. De là découle un véritable soft power économique pour nos organisations. Merci pour votre attention.

Crédit photo IDC MEDIA

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2 Comments

  1. Excellente conférence, points intéressants à prendre en compte.
    Avec une forte expérience multiculturelle, il est intéressant de voir les points communs que nous, étrangers qui travaillons et/ou vivons en France (ou dans un autre pays) avons en commun, l’adaptation varie beaucoup en fonction des cultures, de l’éducation et des clichés qui existent selon les pays d’origine.
    C’est un défi de comprendre ces différences pour réussir sur le marché du travail, ou pour conquérir un marché.

  2. Benjamin PELLETIER

    Merci pour votre retour et ces compléments. Ainsi, l’éducation: cela me semble une clé essentielle pour comprendre en partie certains comportements en contexte professionnel. Voir par exemple ici Les systèmes éducatifs clés essentielles de compréhension des différences culturelles

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