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Le stéréotype méconnu des proximités culturelles

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Quand l’illusion de la proximité…

Si l’on demande aux participants aux formations interculturelles de mettre des repères sur les pays où, selon eux, il y a plus de défis interculturels sur le plan professionnel que dans d’autres, ils ont tendance à mettre en avant des pays lointains. Par exemple, voici une carte réalisée par une équipe française :

Bien qu’ils travaillent souvent également avec des partenaires européens, ils mentionnent peu de pays frontaliers de la France ou, s’ils les mentionnent, ce ne sont pas les pays les plus mentionnés. Leur premier réflexe est d’indiquer plutôt des pays géographiquement éloignés de la France. Il ne s’agit de leur donner tort : au contraire, il y a en effet bien des défis de communication et coopération avec des partenaires chinois ou indiens.

Mais pourquoi aussi peu de repères sur les pays géographiquement proches de la France ? Cela peut être dû au fait qu’on associe implicitement proximité « géographique » et « culturelle », du type : « nous partageons une même frontière, nous devons être proche culturellement ». Ou bien proximité « linguistique » et proximité « culturelle », du type « nous parlons la même langue, donc la même culture » (nos « amis » belges francophone, par exemple). Ou encore, proximité « des us et coutumes » et « culturelle » (nos « cousins » italiens…).

Cette proximité culturelle supposée est illusoire. Pire : elle empêche une prise en compte mature et professionnelle des enjeux interculturels entre acteurs de pays supposément proches. Elle a même un effet pervers : plus on est supposément proche, moins on est tolérant envers des différences qu’on accepterait plus facilement si elles émanaient de partenaires lointains. J’ai déjà évoqué ce phénomène en reprenant l’expression de Freud qui, pour décrire les conflits interethniques où la violence naît de légers écarts culturels montés en épingle dans une volonté de se différencier de l’autre, parle de « narcissisme des petites différences » entre des communautés très proches et très semblables (voir Décryptage des différences culturelles : trois expressions utiles)

… est appliquée aux autres

Le phénomène qui m’intéresse ici concerne la projection de cette illusion de la proximité sur d’autres cultures. Étant proches sur le plan géographique, linguistique ou par les us et coutumes, on suppose qu’elles sont aussi proches sur le plan culturel, et que par conséquent la communication et la coopération doivent être fluides entre les partenaires venant de ces pays.

Pour le dire plus frontalement : on les met dans le même sac culturel. Par exemple, si on a conscience que les Français et les Québécois ne fonctionnent pas de la même façon même s’ils parlent tous deux français, on va à présent supposer que les Canadiens et les Américains, cela revient du pareil au même, tout comme par ailleurs les Danois et les Norvégiens (des « Scandinaves », donc semblables entre eux) ou les Vietnamiens et les Cambodgiens (des « Asiatiques du Sud-Est », donc etc).

C’est là une vision stéréotypée. Nous pouvons en effet avoir aussi bien des stéréotypes sur une culture que sur la relation entre deux cultures. Pour combattre ces visions réductrices, il est nécessaire de recueillir un maximum de témoignages de locaux évoquant la complexité de leur contexte culturel (afin de dépasser les stéréotypes sur leur culture) mais aussi décrivant leur expérience et leur vécu de la relation professionnelle avec les partenaires venant de pays proches du leur (afin de dépasser les stéréotypes sur leur relation avec ces pays proches).

Encore faut-il que ces témoignages échappent eux-mêmes aux stéréotypes ! C’est là qu’une approche pragmatique se révèle essentielle. En effet, plus le témoignage concernera des conceptions générales et une vision globale, plus il risquera de verser dans le stéréotype, et il n’aura d’autre utilité que de nous renseigner sur ce dernier (ce qui n’est pas dénué d’intérêt). En revanche, plus il sera précis et concret, plus il permettra d’identifier des leviers à activer et des pratiques à mettre en œuvre dans la coopération.

Allemands et Néerlandais : même combat ?

Pragmatiques, directs, disciplinés, les Allemands et les Néerlandais ? Nous avons tendance à les mettre dans le même sac culturel. Et c’est bien ce que l’OTAN a fait lorsqu’elle a constitué un régiment germano-néerlandais pour opérer en Afghanistan sans préparer cette coopération (ils sont si proches, n’est-ce pas ?).

True Love, c’est le titre (charmant) d’une étude passionnante qui a été menée sur la coopération et la communication au sein de ce régiment (ici, pdf). Car les malentendus ont été tels que le journal néerlandais Brabants Dagblad a publié le 11 janvier 2003 un article ayant pour titre : « Les Afghans ne sont pas un problème, les Allemands si » (True Love, p.133)

Dans l’étude True Love, on peut ainsi lire ce témoignage d’un officier allemand :

Les Néerlandais ne sont pas aussi stricts que les Allemands ; ils sont plus ouverts d’esprit et plus détendus, mais d’un autre côté, cela peut conduire à un certain manque de respect et à trop de discussions de leur part. Parfois, les Néerlandais franchissent la frontière entre la décontraction et le manque de respect. (True Love, p.130)

Il semble que, même dans un milieu aussi formel et hiérarchisé que l’armée, les Néerlandais aient tendance à exprimer une moindre distance hiérarchique que leurs collègues allemands, voire à reproduire les comportements liés aux relations égalitaires et au management plat qu’on retrouve dans la société et dans les entreprises néerlandaises. Par exemple, un sous-officier néerlandais pourra exprimer directement son désaccord à un officier allemand, lequel prendra cette franchise comme un manque de respect.

Ce témoignage de l’officier allemand m’a immédiatement rappelé celui d’un Mexicain travaillant chez Heineken aux Pays-Bas (source ici) :

Je planifie une réunion afin de mettre en place un nouveau processus et, au cours de cette réunion, mon équipe commence à remettre en question le processus, à orienter la réunion dans des directions inattendues, à ignorer complètement mon processus et à ne pas tenir compte du fait qu’elle travaille pour moi. Parfois, je les regarde avec stupéfaction. Où est le respect ?

Même si le contexte allemand est bien moins marqué par la verticalité qu’au Mexique, l’apparition de cette notion de respect chez l’officier allemand indique immédiatement une verticalité plus forte que chez les Néerlandais. Or, le rapport au pouvoir et à l’autorité conditionne la qualité de la communication et détermine le relationnel. C’est l’écart critique (entre autres) qui distingue ici Néerlandais et Allemands.

Danois, Norvégiens, Suédois… : une même salade scandinave ?

Si le Danemark évoque en vous des jolies blondes et le slogan de Stimorol : « Mâchez danois » et si la Suède se résume à IKEA et aux Krisprolls, vous risquez, là aussi, de les mettre dans le même sac, quitte à confondre l’un avec l’autre (quand ce n’est pas avec la Norvège).

Lisons le témoignage d’une Danoise que j’ai recueilli lors d’une formation. Elle évoque sa relation professionnelle avec les Suédois :

Ils veulent toujours rester dans le consensus. Impossible de débattre avec eux ! Je dois être très prudente quand je dois exprimer un désaccord en réunion. Quand c’est possible, je le fais en tête à tête, lors de la pause café.

Intéressant, car j’ai eu le même retour d’expérience de Français travaillant avec des Indiens ! On ne va pas tirer autant sur l’élastique de l’écart culturel entre Danois et Suédois : ce serait aussi artificiel qu’inexact. Mais il y aurait au Danemark une culture du débat contradictoire en réunion plus marquée qu’en Suède.

Certes, les deux ont en partage un attachement profond à la notion de consensus, mais la manière d’y parvenir semble diverger. Le fait que le Danemark soit marqué par la structure hiérarchique la plus plate au monde (selon le Forum Économique Mondial, voir ici) ne doit pas y être étranger, avec un contexte danois où le consensus peut se construire devant tout le monde, sans craindre de mettre sur la table (de réunion) les divergences, tandis qu’en Suède il convient de faire preuve de plus de diplomatie.

Des suédois face au monde du silence finlandais

Partons en Suède et écoutons ce que des Suédois disent au sujet des Finlandais (dont le pays n’est pas scandinave, rappelons-le).

Le témoignage qui suit provient d’une étude sur la communication au sein d’entreprises nordiques ayant fusionné (English as a lingua franca in Nordic corporate mergers, pdf).

En Suède, on échange beaucoup pour atteindre un consensus, tout le monde s’exprime en réunion. Mais les Finlandais sont très réservés, ils ne disent pas grand-chose. Ils sont très directs. Ils semblent plus rudes qu’ils ne le sont vraiment.

Précédemment, la Danoise avait du mal à « débattre » avec les Suédois. Ceux-ci « échangent » pourtant beaucoup. Mais échanger et débattre ne sont pas équivalents. Côté suédois, on semble chercher le consensus en ménageant les uns et les autres ; côté danois, on cherche le consensus en affrontant et confrontant les points de vue. Dans les deux cas, les discussions sont intenses.

Mais ce n’est pas le cas avec les Finlandais qui assistent plutôt en spectateurs à ces discussions qu’ils peuvent percevoir comme une perte de temps. Le silence ne les gêne pas. La parole doit être efficace : elle est comme une flèche qui vise au but. Une fois retombée, le silence reprend le dessus. On imagine la frustration, voire l’impression d’être agressés, chez des Suédois plus adeptes d’une parole abondante et diplomatique.

Mais alors, pensez-vous peut-être, les Finlandais seraient-ils proches des Russes ? Pensez-le, si vous voulez, mais ne les mettez pas dans le même sac. Il faudrait à nouveau recueillir des témoignages de Finlandais travaillant avec les Russes, mais comme ils ne parlent pas…

Des Coréens face aux mystérieux Japonais

Partons enfin à l’Est, cap vers l’Extrême Orient, où là aussi on tend à mettre des pays dans le même sac culturel.

 

Ce sont à présent des Coréens qui évoquent leur coopération avec des Japonais :

C’est difficile de travailler avec eux. On ne sait jamais ce qu’ils pensent ! Et puis on n’arrive pas à lire les visages. En Corée, les gens expriment plus leurs émotions.

Intéressant témoignage encore une fois, car je ne compte plus les retours d’expérience identiques de Français travaillant avec les Japonais, mais avec aussi… les Coréens : « on ne sais jamais ce qu’ils pensent ! » Pourtant, il peut y avoir aussi des défis de compréhension et de coopération entre Coréens et Japonais, mais ils passeront sous le radar de notre attention si on considère que Coréens et Japonais, c’est du pareil et au même, notamment sur l’expression des points de vue personnels.

Dans ce cas, nous passerons à côté de l’expertise des Coréens quand ils travaillent avec des Japonais. S’ils ont en effet du mal à savoir ce que leurs partenaires japonais pensent, ils ont peut-être des bonnes pratiques à partager avec nous pour y parvenir. Pour recueillir ces dernières, il convient de ne pas avoir une conception stéréotypée des relations entre les deux.

Alors, que nous disent-ils ? Que font-ils pour « faire parler » les Japonais ? On apprend ainsi qu’il est essentiel de :

  • réduire l’effet de surprise en procurant aux Japonais un maximum d’éléments (par exemple sa présentation entière) avant une réunion pour leur donner l’occasion de préparer leurs questions à l’avance
  • éviter d’aborder les sujets qui fâchent pendant la réunion devant tout le monde mais par exemple la veille, lors d’une rapide visioconférence entre les responsables d’équipes qui valident une dernière fois l’agenda et peuvent alors échanger sur les problèmes en l’absence des membres de l’équipe
  • dépersonnaliser la prise de parole en demandant aux Japonais de désigner un porte-parole pour faire remonter questions et commentaires
  • prendre le temps de débriefer une réunion après coup, avec les responsables hiérarchiques coréen et japonais qui se contactent sans la présence de leurs collaborateurs pour partager les ressentis, les questions et les difficultés un jour ou deux après la réunion

Le match France-Brésil

Cette expertise interculturelle est précieuse. Tout comme les partenaires de tels pays sont les plus à même de nous expliquer le mode de fonctionnement de leur contexte, ils sont aussi les plus qualifiés pour nous décrire certaines singularités entre leur contexte et des pays proches, si proches que, dans une vision stéréotypée, nous risquons de ne pas les percevoir, et donc de ne pas les prendre en compte.

Ce stéréotype portant sur la relation entre des pays supposément proches peut se retrouver partout. Ainsi, je me souviens de Coréens travaillant en France pour un grand groupe de leur pays (dont le nom signifie « trois étoiles » en coréen, à vous de trouver !) me confiant qu’avant de partir en expatriation à Paris ils avaient été réunis dans un amphithéâtre avec des centaines d’autres collègues prêts à partir dans de nombreux pays.

Là, ils avaient reçu une formation d’une journée très centrée sur le management à l’américaine, dans l’idée que les pratiques professionnelles étrangères devaient forcément être inspirées de ce qui fait de mieux, soit de pratiques américaines. Puis, ils étaient envoyés dans le monde entier, par exemple au Brésil, en Allemagne ou… en France.

Cela m’a rappelé qu’il y a fort longtemps, en 2002 exactement, une Coréenne très âgée m’avait demandé d’où je venais. Je suis français, Peulanseu-saram imnida. Et elle m’a  alors répondu : Ah oui, de France ! La France qui est à côté du Brésil ! J’ai mis longtemps à comprendre d’où venait cet étrange rapprochement géographique qui était une évidence dans son esprit.

Jusqu’à ce que je réalise qu’elle avait entendu parler à de multiples reprises de la finale de la Coupe du Monde de 1998 « France-Brésil »…

Pour prolonger sur la notion de stéréotype, je vous invite à consulter:

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