Les articles mentionnés dans cette revue de presse ont été partagés et discutés durant le mois de mai au sein du groupe de discussion « Gestion des Risques Interculturels » que j’anime sur LinkedIn (1765 membres à ce jour). Soyez bienvenu(e) si ces questions vous intéressent!
Rubriques : Enjeux interculturels – De l’expatriation aux migrations économiques – Influence – Enseignement supérieur français : deux défaillances – La question qui tue
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Enjeux interculturels
Je fais le choix de trois articles extrêmement différents : le football, la psychiatrie et les séries télévisées, pour montrer combien la thématique interculturelle est à la fois transversale et omniprésente dans notre monde à la complexité grandissante.
Le départ à la retraite du charismatique entraîneur de Manchester United, Alex Ferguson, est l’occasion d’une analyse de ses compétences interculturelles comme étant l’une des clés de son succès. La dimension multiculturelle des clubs de football est un sujet passionnant que j’ai abordé dans Football et management interculturel : les entraîneurs et les joueurs. Sous la direction d’Alex Fergusson, 170 joueurs ont joué à Manchester United dont 100 étrangers venant de 36 pays. Mais l’une de ses forces a été apparemment de tenir ferme sur l’ancrage local comme colonne vertébrale du club. D’après cette analyse, c’est autour du local que le global doit se greffer pour maintenir l’identité et l’assise d’une structure internationale.
Le deuxième article est une recension par Tobie Nathan du film présenté à Cannes : Jimmy P – Psychothérapie d’un Indien des Plaines. Ce film est basé sur la relation entre un Indien victime de stress post-traumatique après la guerre et son thérapeute, Georges Devereux. Cette rencontre est fondatrice du mouvement de l’ethnopsychiatrie, autrement dit de la prise en compte des facteurs culturels dans la psychopathologie et dans le traitement thérapeutique. Voilà l’occasion de découvrir les travaux de Georges Devereux et les apports de l’ethnopsychiatrie dans le champ interculturel. Tobie Nathan a été l’élève et le continuateur de Devereux, vous pouvez prendre connaissance de son travail sur ce blog dans Culture, esprit, influence.
Prolongeons cette thématique avec Le Temps qui propose un passionnant Tour du monde de la folie. Les troubles mentaux, notamment les phobies et les angoisses, varient en effet d’une culture à l’autre. On constate par exemple plus d’arachnophobies en Angleterre qu’en Inde. Les mots ont aussi leur importance et peuvent « alourdir » un ressenti, et aggraver des symptômes, en véhiculant un contenu symbolique angoissant. A ce titre, on note des expériences originales pour contourner le mot « schizophrénie » (étym. : « esprit cassé, fendu ») de la part des Coréens :
« La communication du diagnostic au patient est passée de 6 à 75% des cas. En s’inspirant de cette idée, les médecins coréens tentent d’aller plus loin. Depuis peu, ils essaient d’introduire pour la schizophrénie un nouveau nom qui signifie «problèmes d’accordage de la pensée», comme pour un piano désaccordé. Là aussi, les patients reconnaissent qu’ils n’arrivent plus à accorder leurs pensées comme avant et acceptent mieux le diagnostic. C’est très important parce que cela sert de base pour avoir un échange entre le malade et le médecin qui permet de se mettre d’accord sur un traitement. »
Le troisième thème de cette rubrique concerne le succès des séries télévisées turques dans les pays arabes, notamment la série Fatmagül. Plutôt qu’une adaptation d’une production locale à un contexte étranger, il s’agit d’un dialogue interculturel au sens où les séries turques « parlent » à d’autres cultures, exactement comme les séries coréennes « parlent » à un public parfois étonnant (comme au public roumain par exemple). Dans le cas présent, les séries turques abordent de front des questions sociales qui restent des non-dits dans de nombreuses sociétés arabes, ainsi qu’en témoigne le patron d’un restaurant qui apparaît dans une série à succès :
« En Turquie, les femmes sont opprimées, comme dans les pays arabes. Nous avons les mêmes valeurs et les mêmes problèmes. »
Ce dialogue interculturel est par conséquent un vecteur d’influence pour la Turquie qui améliore sa visibilité et son image dans les pays arabes et bénéficie de retombées sur l’économie touristique :
« Entre 2010 et 2012, le nombre de touristes venant du Koweït a pratiquement triplé, passant de 27 000 à 65 000, celui des touristes des Emirats arabes unis a grimpé de 30 000 à 48 000, et celui des touristes saoudiens a doublé, passant de 85 000 à 175 000. »
De l’expatriation aux migrations économiques
De nombreux symptômes montrent que nous sommes entrés dans une nouvelle ère marquée par ce qu’on pourrait appeler la désoccidentalisation du monde. L’un de ces symptômes est particulièrement observé sur ce blog : il s’agit de la progressive substitution de l’expatriation par la migration économique, un phénomène accentué par la crise en Europe (voir L’Europe en crise et la fuite des cerveaux). La mobilité des talents n’est plus seulement due à l’expatriation au sens classique du terme mais aussi au départ contraint afin de trouver un emploi, quitte à accepter un contrat local.
Dans le Figaro, vous constaterez que Pôle emploi part prospecter des postes en Asie. L’agence a en effet participé au forum d’affaires France-Vietnam, organisé à Hô Chi Minh début avril par Ubifrance. Pôle emploi recherche en effet des débouchés pour les chômeurs de France candidats au départ (400 ont pu être placés en Asie l’année dernière, un chiffre en augmentation chaque année). Rien à voir avec l’expatriation traditionnelle (un collaborateur français est envoyé à l’étranger par son entreprise). Le contrat local est désormais la règle :
“Dans 95 % des cas, les employeurs de ces pays leur proposeront un contrat local avec des niveaux de rémunération inférieurs aux salaires pratiqués en France. «Avant de se lancer, mieux vaut se renseigner sur les marges de négociation que l’on peut avoir dans ces conditions. Mais, très souvent, les candidats doivent revoir leurs prétentions à la baisse», admet Marie-Odile Antonini, responsable Asie de Pôle emploi international.”
Autre symptôme des évolutions en cours : l’augmentation des inscriptions dans les écoles françaises. Ainsi, le journal Les Echos signale qu’à Londres les écoles françaises sont prises d’assaut. Plus de 700 demandes d’inscription n’auraient pas pu être satisfaites. Il faudrait 500 nouvelles places par an d’ici à 2015, contre 200 prévues, pour faire face aux demandes.
Par conséquent de nombreux parents inscrivent leurs enfants dans le système britannique : c’est le cas de 80% des enfants des 300 00 Français vivant à Londres. Ce choix peut se faire par défaut, par manque de place dans les écoles françaises, mais aussi en toute liberté, pour des raisons économiques (les écoles françaises sont extrêmement chères : près de 5000 euros par trimestre pour une école privée française citée dans l’article) mais aussi culturelles pour donner une éducation anglaise à leurs enfants.
Il y a actuellement en Europe une sorte de jeu des vases communicants en ce qui concerne les travailleurs. Le pays qui accueille le plus d’immigrés est l’Allemagne, où la crise fait bondir l’immigration. En 2012, plus d’un million d’immigrés sont arrivés dans le pays, 13% de plus qu’en 2011 et le niveau le plus élevé depuis 1995. Les ressortissants des pays en crise sont en forte augmentation : 62,2 % de Slovénie, 44,7 % d’Espagne, 43,4 % de Grèce, 43,2 % du Portugal et 39,8 % d’Italie. Est-ce le signe d’une situation économique encore solide ou d’un manque d’intérêt pour l’Allemagne ? Toujours est-il qu’en 2012 il n’y a eu que 798 Français qui ont pris le départ pour le voisin allemand.
L’immigration économique est un enjeu majeur pour l’Allemagne qui voit sa population vieillir et le renouvellement des générations qui n’est plus assuré. D’ici à 2020, il pourrait manquer 1,4 million de travailleurs dans les professions exigeant des compétences en mathématiques, informatique, sciences naturelles et technologie. Déjà, en 2012, 210 000 postes n’étaient pas pourvus dans ces domaines. Or, le secteur qui risque de souffrir de ces carences en ressources humaines concerne l’ingénierie et les machines outils, les deux points forts de l’Allemagne d’aujourd’hui.
Influence
Le journal Les Echos s’est réveillé le 13 mai dernier pour évoquer la querelle franco-allemande sur les bornes de recharge. Il s’agit de la prochaine mise en application d’une décision des autorités européennes imposant un modèle de prise de charge standard pour les véhicules électriques. Or, le modèle qui a été choisi (le type 2) est soutenu par l’industrie allemande, tandis que les Français défendaient un autre modèle (le type 3). Par exemple, les Autolibs sont équipées d’un modèle de prise de charge qui ne correspond désormais plus à la norme européenne. Pourquoi ce choix de la technologie allemande ? Selon une source proche du gouvernement français :
« Les Allemands ont été meilleurs en matière de lobbying, alors que nous proposions une solution technique plus sûre. »
Si j’évoque un « réveil » des Echos sur ce sujet, c’est que tout simplement l’histoire est déjà ancienne. En février dernier, j’avais proposé un historique complet sur cet échec français concernant le véhicule électrique dans le cadre d’une série de cinq articles sur le « complexe de l’influence » français. Je vous invite donc à compléter la lecture de l’article des Echos par cette synthèse qui donne toutes les clés pour saisir les enjeux et les différents retournements de ce dossier emblématique du hiatus français entre la revendication de l’excellence du produit et l’incapacité à le promouvoir à l’international.
Le Monde a consacré un article édifiant aux efforts de l’appareil diplomatique américain pour imposer les OGM. C’est là une stratégie d’influence à vaste échelle. Ce n’est pas la première fois que le Secrétariat d’Etat américain se met au service de firmes nationales mais les moyens mis en œuvre ne manquent pas d’inquiéter, si l’on en croit Wenonah Hauter, directrice exécutive de Food and Water Watch :
« Cela va vraiment au-delà de la promotion de l’industrie des biotechnologies américaine, Il s’agit de saper les mouvements démocratiques locaux qui peuvent être opposés aux cultures OGM, et de faire pression sur les gouvernements étrangers afin de réduire également la surveillance sur ces cultures. »
Enfin, j’ai mis récemment en ligne le récit de mon séjour de quelques jours dans un des pays les plus fermés au monde : le Turkménistan. Je terminais ce récit en rappelant combien il faut faire la différence entre, d’une part, un régime autoritaire et, d’autre part, une culture, une société, une population qui passent sous le radar médiatique car les médias étrangers se concentrent uniquement sur ce qui indigne ses lecteurs, autrement dit le régime autoritaire. Quand on se rend dans un de ces pays, on ne connaît en fait rien de ce pays, rien d’autre en tout cas que ce regard médiatique tronqué.
Dans ce texte, je faisais un parallèle avec l’Arabie Saoudite, pays très fermé qui, lui aussi, ne doit son image qu’à ceux qui parlent de lui, et non à lui-même. Il subit l’influence des autres, il n’exerce pas d’influence sur ce que les autres disent et montrent de lui. Je suis alors tombé par hasard sur un intéressant article sur l’Arabie Saoudite dont un extrait pourrait tout à fait être appliqué au Turkménistan. Le pays est victime à la fois des autres qui projettent leurs stéréotypes sur lui et de lui-même qui, du fait de sa fermeture, se prive des moyen de lutter contre ces stéréotypes :
« Peu importe qu’une histoire puisse paraître extraordinaire et incroyable, les médias étrangers s’en accommodent de toute façon très bien parce qu’elle correspond au stéréotype que beaucoup ont sur le pays. Vérification et pertinence ? Qui s’intéresse à de telles choses à une époque où l’on compte le nombre de pages vues quel que soit leur intérêt ? Cependant, les Saoudiens ont leur part de culpabilité dans ce phénomène. Le pays ne facilite pas vraiment la vie des journalistes qui voudraient le visiter et faire un reportage sur le terrain au lieu de se reposer sur des sources de deuxième ou troisième main. Le manque de transparence dans les institutions et l’incapacité des porte-paroles officiels à fournir de l’information correcte rendent le travail des journalistes extrêmement difficile, même pour ceux qui travaillent pour les médias locaux saoudiens. »
Enseignement supérieur français : deux défaillances
Deux articles pointent du doigt les défaillances de l’université et des grandes écoles en France. D’une part, les universités françaises forment surtout de futurs chômeurs. Il y a une interrogation à avoir sur les conséquences en termes de cohésion sociale quand un pays incite le plus grand nombre de ses jeunes à entrer à l’université sans avoir de vision sur l’intérêt de cette incitation (Le savoir pour le savoir ? L’éducation des masses ? L’acquisition de compétences professionnelles ?).
Faute de vision, le système est face à un choix qu’il se refuse à faire : soit il prend acte de cette présence massive d’étudiants qui ne vont pas acquérir à l’université les compétences nécessaires à une insertion professionnelle et il faut alors changer radicalement l’université pour la mettre au service des intérêts économiques ; soit il s’efforce de préserver la vocation première de l’université, lieu de la recherche et du savoir désintéressés, et dans ce cas il faut introduire une sélection sévère à l’entrée de l’université. Il n’y a pas d’autre choix.
Le deuxième article concerne les grandes écoles. Si l’article sur l’université insistant sur les défaillances mentionnait leurs conséquences sur le plan national (le chômage des jeunes), celui-ci insiste sur les conséquences à l’international. C’est un article du Financial Times : The French elite: where it went wrong, qu’il faut prendre avec un peu de recul car le journal est coutumier du « French bashing ». Mais le journaliste fait une remarque intéressante, au-delà de son ironie :
« Les énarques n’ont pas été formés pour réussir dans le monde mais dans le centre de Paris. »
On sent la délectation du journaliste à écrire une phrase aussi lapidaire – et donc réductrice. En même temps, le lecteur ne peut s’empêcher de ressentir un certain plaisir à voir exprimé de façon aussi claire l’un des dysfonctionnements du système de formation des élites. Car il est indéniable que pour réussir à entrer dans une grande école il faut certes l’intelligence des choses mais aussi l’intelligence du système parisien des choses. Or, la deuxième peut prendre le pas sur la première, et l’on peut déplorer que certaines élites ne soient pas armées pour faire face à la complexité du monde en dehors de Paris. Pour une raison simple : le prestige de la grande école ne passe pas les frontières, et la reconnaissance sociale acquise par le statut d’ancien d’une grande école n’existe pas ailleurs qu’en France, pas ailleurs qu’à Paris – pas ailleurs que dans une poignée d’arrondissements de Paris.
La question qui tue
Espérons qu’elle ne tue pas au sens propre. Mais elle peut susciter des malaises, voire des tensions fortes. Elle est banale et simple : d’où viens-tu ? La question que se posent des voyageurs qui se rencontrent par hasard, mais aussi la question qu’on pose à ceux qui ont l’air différent, étranger, qui semblent venir d’ailleurs. Voici comment retourner la question en mettant en évidence son absurdité avec humour (vidéo en anglais):
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