Education, Points de vue

Aux étudiants en panne d’idées pour leur mémoire en management interculturel

Share

Se frotter au réel

Je reçois de nombreux mails d’étudiants cherchant de l’aide pour leur mémoire en management interculturel. Ils sont si nombreux que je ne peux généralement y donner suite et que je les renvoie vers l’exploration de mon site où ils trouveront largement de quoi nourrir leur réflexion.

Ces messages sont si nombreux qu’ils finissent par me procurer une position privilégiée concernant le choix des sujets de recherche pour leur cours de management interculturel. Et je dois dire que je suis assez surpris par le nombre de sujets extrêmement généraux, et de ce fait identiques. Ainsi, je ne compte plus les sujets qui s’apparentent tous à la question suivante :

  • Quel est l’apport du management interculturel pour les entreprises ?

Avec un sujet pareil, pas étonnant que ces étudiants soient en difficulté (comment être original sur un sujet aussi général et rabâché?). J’imagine les dizaines (les centaines ? les milliers?) de mémoires traitant du même sujet et bâtis grosso modo de la même façon :

Partie 1 – Définition du management interculturel : son historique et les différentes théories, Hofstede, Trompenaars et compagnie ;

Partie 2 – Les entreprises à l’international : la mondialisation, l’internationalisation des entreprises, les difficultés du management ;

Partie 3 – La pratique du management interculturel : le local et le global, l’adaptation des pratiques managériales, les limites du management interculturel.

Je peux parier que les étudiants se sont ennuyés à rédiger ces mémoires, et les enseignants à les corriger. Le seul vague intérêt de ces mémoires consiste à vérifier que les connaissances générales et théoriques ont été acquises. Et encore… J’ai un doute sur l’acquisition de ces connaissances quand elles n’ont pas été intégrées dans une dimension pratique. En constatant combien d’étudiants choisissent ces sujets généraux, je m’interroge :

  • Est-ce par manque de curiosité des étudiants pour l’actualité des entreprises ? Par crainte de se frotter au réel ? Par paresse ?
  • Est-ce le manque d’investissement des enseignants qui acceptent que leurs étudiants choisissent des sujets aussi généraux et aussi dénués d’intérêt ?

Pourtant, une visite des 40 revues de presse que j’ai mises en ligne et où j’ai partagé des centaines d’articles devrait convaincre les uns et les autres du nombre incalculable de pistes de recherche mises en évidence par une simple veille sur l’actualité.

Quelques pistes de sujets

Je ne serai évidemment pas exhaustif – je ne fais que noter ce qui me vient à l’esprit de façon désordonnée en rédigeant cette note, mais voici quelques pistes :

1. Choisissez une grande entreprise française, n’importe laquelle, pourvu que l’international soit pour elle un enjeu majeur, et faites-en une analyse par les facteurs culturels et interculturels (un peu à l’image du cas BMW publié sur ce blog) :

  • inventaire et évaluation de ses pratiques culturelles : partenariats avec des écoles et universités, sponsoring et mécénat, actions de RSE locales, avec mise en évidence des facteurs clés de succès et questionnement de la pertinence de certaines actions par rapport au contexte culturel local ;
  • inventaire et évaluation de ses pratiques interculturelles : pratiques managériales, actions marketing et publicitaires, stratégies locales en termes d’alliances et partenariats, avec mise en évidence des points forts et points faibles par rapport au contexte culturel local;
  • à présent que ces deux audits sont réalisés pour l’entreprise française qui est au centre de votre mémoire, vous pouvez également faire de même pour un, deux ou trois concurrents étrangers (ou français) de cette entreprise dans le pays cible : votre travail aura une grande valeur ajoutée si vous pouvez apporter des éléments d’analyse sur les concurrents et en tirer des leçons sur les bonnes pratiques à reprendre et les erreurs à éviter.

2. Choisissez un secteur d’activité et un pays, par exemple l’automobile en Chine ou le BTP au Cameroun :

  • faites une analyse de l’environnement culturel local comme si vous deviez conseiller un acteur français de l’automobile ou du BTP afin de lui apporter des clés essentielles, à la fois pour limiter les risques d’échec au moment de l’implantation et pour optimiser les pratiques managériales durant les opérations ;
  • intégrez dans l’analyse les points forts et points faibles des Français dans leurs interactions avec les Camerounais ou les Chinois, ainsi que des éléments sur la perception des Français par les Camerounais ou les Chinois, sur les stéréotypes mutuels, indiquez comment en contourner certains, comment utiliser les autres à notre avantage ;
  • passez ensuite au niveau supérieur en intégrant dans votre analyse les points forts et points faibles des concurrents étrangers sur ce même marché : par exemple, quels sont sur les plans culturel et interculturel les points forts et points faibles des concurrents chinois du BTP français dans leurs interactions avec les Camerounais ?

3. Choisissez un sujet en lien avec les évolutions actuelles :

  • les pratiques interculturelles des entreprises de tel ou tel pays et comparaison avec les pratiques des entreprises françaises, et rien de mieux pour cela que d’aller aux contacts des expatriés et faire un maximum d’entretiens pour ensuite structurer une synthèse avec les outils de décryptage des relations interculturelles présentés en cours;
  • les freins et obstacles au développement d’une culture de l’interculturel en France et dans d’autres pays (quels sont les points forts et points faibles des Français à l’international? Des Américains? Des Allemands? Des Chinois? etc.) ;
  • les facteurs culturels de la sécurité dans tel secteur et dans tel pays (exemple : quels sont les facteurs culturels impactant le développement d’une culture de la sécurité dans le nucléaire aux Etats-Unis, en France et en Chine ? Comment est perçue et conçue la notion de risque dans différents pays?) ;
  • état des lieux de l’expertise française et étrangère en matière de management interculturel (chercheurs, universitaires, auteurs, notoriété et visibilité à l’international) : qui est prescripteur et qui ne l’est pas, quels sont les centres de recherche en pointe, ceux qui sont en perte de vitesse et ceux qui montent en puissance sur ces questions, pourquoi les Néerlandais ont été des pionniers, pourquoi les Français ont une approche critique du profilage culturel, d’où vient l’engouement américain pour l’intelligence culturelle, est-ce que des pays émergents commencent à développer de l’expertise culturelle à destination de leurs entreprises, etc.?
  • les apports de l’expérience militaire à la réflexion interculturelle et, inversement, du management interculturel à la gestion des théâtres d’opérations militaires ;
  • le développement des interactions culturelles Sud-Sud (par exemple, comment se passent les interactions entre Brésiliens et Angolais, entre Indiens et Coréens, entre Chinois et Kényans ?) ;
  • l’analyse des facteurs clés de la résilience culturelle d’un pays après l’altération de son image à l’international (par exemple, les Etats-Unis auprès des pays arabes après l’intervention en Irak, la France après la publication des caricatures du Prophète, le Japon après Fukushima, etc.) ;
  • la cohésion – ou non – des entreprises d’un pays par rapport à la stratégie de soft power de ce pays (par exemple, la façon qu’ont les entreprises coréennes de profiter du succès de la K-pop à l’international) ;
  • dans le même ordre d’idée, choisissez 6 ou 7 pays clés et analysez en quoi la politique culturelle des ambassades de France dans ces pays correspond ou non aux contextes locaux – et vous pouvez faire de même, à des fins de comparaison, avec la diplomatie culturelle de 3 ou 4 autres nations dans ces mêmes pays ;
  • prenez une structure (un hôtel, un aéroport, une école, etc.) et interrogez cette structure en fonction de différents contextes culturels (comment elle est perçue, représentée, dans tel ou tel pays, par exemple la notion de service est-elle culturellement valorisée ou non, est-il prestigieux ou non de travailler pour cette structure, pourquoi, etc.) ;
  • au lieu de parler de management interculturel en général, choisissez une pratique managériale bien spécifique (par exemple, la réunion) et faites une analyse approfondie de ce qu’est une réunion dans différents pays, en utilisant là aussi de nombreux entretiens au lieu de résumer des ouvrages généraux sur “Vivre et travailler dans tel pays” ;
  • ou bien intéressez-vous à un facteur clé qui conditionne la communication interculturelle et les pratiques professionnelles: le mode de raisonnement, et pour cela présentez les systèmes éducatifs de différents pays en mettant en évidence leurs spécificités dans le développement intellectuel des enfants et des jeunes gens, ainsi que leur influence sur les relations interculturelles (menez des entretiens avec des étrangers afin qu’ils vous décrivent leur parcours scolaire, comment se déroulaient les cours, pouvait-on poser des questions au professeur, la place de l’oral et de l’écrit, la façon d’évaluer et les examens, la manière d’encourager et de faire une critique négative, etc.);
  • développer une politique de la « diversité » est une exigence pour les entreprises aujourd’hui mais cette notion de diversité est-elle appréhendée de la même façon dans les pays européens, et n’y a-t-il pas des facteurs culturels à prendre en compte quand on veut appliquer partout la même politique de diversité (handicap, parité hommes/femmes, origine sociale et ethnique, etc.) ?
  • enfin, trouvez du plaisir à écrire sur un sujet qui vous intéresse, choisissez une activité qui vous plaît (le football ou le cinéma, par exemple) et trouvez un angle d’attaque pour l’analyser sous l’angle des facteurs culturels et interculturels (par exemple, l’entraînement d’une équipe multiculturelle, ou la perception des films français par les publics étrangers). Ainsi, Valentin Cadiot, passionné de montagne, a choisi pour son mémoire de fin d’études un sujet sur les Sherpas et les questions interculturelles. J’ai publié un extrait de ce travail remarquable: Tension sur l’Everest, exploration de failles culturelles entre Sherpas et Européens.

MàJ du 21 février 2016 – voici d’autres exemples de travaux d’étudiants mis en ligne sur ce site:

Le monde est tout de même assez vaste et assez complexe, l’actualité est assez riche et les enjeux sont assez divers pour cesser une bonne fois pour toutes de rédiger un mémoire de 50 ou 80 pages sur le management interculturel en général. Ne restez pas enfermés dans un cours et dans la répétition d’un cours, ne rendez pas ennuyeuse une matière aussi passionnante. Quittez le bord de la piscine! 

* * *

Quelques suggestions de lecture:

9 Comments

  1. Merci beaucoup pour toutes ces idées, cela m’a beaucoup aidé ! Je fais un mémoire en management des risques des acteurs du tourisme.

  2. Benjamin PELLETIER

    @Camille – Tant mieux, c’est fait pour… Bonne continuation.

  3. Camille (autre)

    Bonjour,

    Je suis étudiante en urbanisme et je viens de découvrir votre site alors que nous préparons en cours un débat sur les Cités de la Gastronomie.
    Je trouve votre article et votre blog en général tout à fait intéressant. Le management interculturel est une discipline que je ne connaissais pas mais que je vais creuser pour mieux l’appréhender. Cependant, je peux déjà dire que c’est un axe de réflexion pertinent à prendre pour analyser des situations et en comprendre simplement le contexte.
    En urbanisme opérationnel, le management de projet gagne toujours plus en importance -sans vouloir insinuer qu’il était absent auparavant. Le dialogue entre les concepteurs d’un projet urbain est la clé de voute des projets; et la tendance à utiliser de notions – et non pas les idées qui y sont à la base – sans les discuter amène souvent les gens à camper sur leur position.
    Je n’ai pas beaucoup d’expérience en entreprises, encore moins à l’étranger dans un contexte culturellement différent; néanmoins pour avoir participé à un workshop faisant travailler pendant 5 jours en équipe des étudiants de diverses disciplines (ingénieurs, architectes, urbaniste, économistes, designers), je peux témoigner des difficultés à faire dialoguer des étudiants (donc pas encore professionnels) aux cultures professionnelles différentes. La compréhension de la logique de l’autre est un challenge, et pourtant si importante.
    J’arrête là ce commentaire un peu long, même si tant d’autres choses pourraient être exprimées.

    Bien cordialement,

  4. Benjamin PELLETIER

    @Camille – Merci pour ce retour d’expérience qui montre combien ces questionnements sont pertinents dans d’autres sphères que les entreprises. Au plaisir, Benjamin

  5. Bonsoir,
    je suis etudiant en fin de cycle maitrise en marketing et commerce international. mon satage je le passe dans une microfinance et mon theme s’intitule:”developpement des microfinances:enjeux et perspectives”. Merci pour vos apports…

  6. Benjamin PELLETIER

    @Mebong – Ce n’est pas un sujet traité sur ce blog, désolé.

  7. Bonjour Benjamin,je suis etudiant en master 1ere annee, Management en strategies d’entreprise, je dois faire un memoire mais helas j’arrive pas a bien cadre mon theme qui est le suivant “le marketing dans les chaines de distributions specialisées : cas de Decathlon” pensez vous que c’est un sujet pertinent?ou c’est toujours generale?

  8. Benjamin PELLETIER

    @Kevin – Ce thème ne concerne pas les enjeux interculturels abordés sur ce blog – et l’article ci-dessus a simplement pour vocation de donner des idées/pistes de sujet de mémoire en management interculturel, pas de fournir des conseils sur pertinence/problématique/plan/etc.

  9. Bonjour,
    Je suis bien chanceux de tomber sur ce blog, a un moment ou je desepere face a un sujet de meoire sur le marketing qui me paraissait tellement aride, tant les piste sont difficiles a etre explores en Haiti, la ou je vis. Mais j’ai toujours eu un penchant pour le management des organisations, comme domaine de specialisation. Et voila, grace cet article, riche en perspectives, je vais changer radicalement mon sujet pour etudier le cas d’une Organisation haitienne FOKAL (Fondation Connaissance et Liberte), qui a une pretique manageriale, tournee sur la diversite culturelle, et qui connait un tras grand success a l’echelle nationale et internationale.

    Merci beaucoup.

    PS: Je serais bien ravi de trouver ici des textes qui me permettront d’enrichir le cadre theorique de mon travail…

Leave a Comment

Votre adresse e-mail ne sera pas publiée. Les champs obligatoires sont indiqués avec *

*