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Maladresses, bourdes et autres impairs culturels des responsables politiques

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De la gaffe à l’impolitesse

Janvier 2007: en pleine campagne présidentielle, Ségolène Royal se rend en Chine pour étoffer sa stature internationale. Elle se fait alors prendre en photo sur la Grande muraille de Chine, un moment immortalisé pour sa fameuse phrase sur la « bravitude » :

 En France où un bon usage de la langue française est un atout pour se distinguer, nous nous sommes focalisés sur cet étrange néologisme. Mais cette visite sur la Grande muraille de Chine est également l’occasion d’une gaffe envers les Chinois. Ségolène Royal a en effet effectué sa visite toute de blanc vêtue, ce qui correspond pour un Chinois à un habit de grand deuil :

Le choix des vêtements et de leur couleur n’est pas anodin. En l’occurrence, la visite et le discours de Ségolène Royal sont parasités par un élément négativement connoté pour les Chinois. C’est que le corps de l’homme ou de la femme politique est le support d’une multitude de signes qui dépassent sa singularité. Il émet consciemment ou non des messages à forte teneur sémantique et symbolique pour ses interlocuteurs et observateurs.

En septembre 2011, Stephen Harper, le Premier ministre canadien, a commis une impolitesse malheureusement assez habituelle quand les Occidentaux rencontrent des Arabes. Il recevait alors Mahmoud Jibril, président du Conseil exécutif du Conseil national de transition de la Libye:

Sur cette photographie, on voit clairement Stephen Harper diriger la semelle de sa chaussure vers Mahmoud Jibril. C’est un geste très offensant qui vient parasiter la discussion entre les deux hommes. Le même geste venant de Sarkozy rencontrant alors le roi du Maroc avait été longuement commenté à Rabat. Sur le sens de ce geste et l’anecdote marocaine, voyez l’article La maladresse interculturelle de Puma.

Nicolas Sarkozy montrant la semelle de sa chaussure au roi du Maroc

Respect ou allégeance ?

La volonté de respecter à la lettre les usages locaux peut mener à certaines interprétations qui se retournent contre celui qui s’y prête. Ainsi, le Président des Etats-Unis en déplacement à l’étranger doit-il se comporter en représentant de la première puissance mondiale en imposant ses usages ou en partenaire soucieux de transmettre un message de compréhension ?

En 2009, première année de son mandat, Barack Obama a semblé à deux reprises mettre plus en avant son respect des coutumes locales que son statut de Président des Etats-Unis. Lors du sommet du G20 le 2 avril 2009, il rencontre le roi d’Arabie Saoudite. Son salut marqué par une profonde révérence a alors fortement choqué nombre d’Américains qui ont interprété ce geste comme une marque d’allégeance :

 En novembre de la même année, Barack Obama se rend au Japon et rencontre l’empereur Akihito et son épouse. Là encore, son inclinaison à presque 90 degrés a suscité l’indignation des Américains, notamment des plus conservateurs – mais aussi une grande satisfaction de la part des Japonais, surpris de ce respect affiché à leur empereur (voir sur ce blog Quand Obama s’incline…) :

 L’arrêt sur image a d’ailleurs été exploité par les Républicains pour fustiger « l’Amérique d’Obama ». Le fait est qu’il n’était pas dans les habitudes des responsables américains de se prêter aux usages locaux comme en témoigne la rencontre de Dick Cheney avec le même Akihito. Vous noterez au passage l’étrange posture de Barack Obama qui salue « à la japonaise » en même temps qu’il serre la main « à l’américaine » :

Un grand moment de solitude

Malgré son profil multiculturel et sa sensibilité aux usages locaux, Barack Obama peut parfois commettre des bourdes, comme ce fut le cas en mai 2011 avec la reine Elizabeth II lors d’un dîner à Buckingham Palace. A sa décharge, il faut reconnaître que le protocole en Grande-Bretagne est d’une extrême complexité. Ce soir-là, le Président a connu un grand moment de solitude en voulant porter un toast à la reine alors que l’orchestre n’avait pas fini de jouer God save the Queen :

 En 2009, Michelle Obama avait également été très critiquée pour avoir placé son bras autour des épaules d’Elizabeth II. Certes, il s’agissait d’un geste d’affection, mais le protocole royal interdit à quiconque de toucher la reine :

Le langage des mains

Les rencontres entre chefs d’Etat obéissent à un rituel qui, bien qu’il soit très formel, n’en est pas moins riche de signification sur leur état d’esprit : la pose devant les photographes en se serrant la main. En apparence il s’agit d’une relation égalitaire (deux personnes se serrent la main en signe de bienvenue, d’amitié ou de bonne entente), mais en réalité le langage corporel peut transmettre d’autres messages.

Ainsi, il est souvent intéressant de se demander en regardant ces photographies : qui salue qui ? quel type de relation est mise en scène ? quel message untel cherche à transmettre via son attitude ? Voici par exemple un cliché de Nicolas Sarkozy saluant Barack Obama à l’Elysée (ou de Barack Obama saluant Nicolas Sarkozy ?) :

Si l’on ignore le contexte de la venue d’Obama à l’Elysée, il est difficile de savoir qui reçoit qui tant le rapport égalitaire semble l’objet d’un bras de fer symbolique à travers ces deux corps très rapprochés et cette poignée de main extrêmement ferme :

Voilà qui tranche radicalement avec la poignée de main entre Nicolas Sarkozy et Mouamar Kadhafi quand ce dernier était reçu à l’Elysée en décembre 2007 :

Tandis qu’Obama saluait les Français d’un geste amical, Kadhafi lève le poing en signe de victoire. Cette fois, les deux corps ne sont plus côte à côte mais si éloignés que l’observateur ressent le même malaise que Nicolas Sarkozy qui serre la main de Kadhafi avec des pincettes :

En décembre 2010, Nicolas Sarkozy se rend en Inde en compagnie de Carla Bruni. Lors de la rencontre avec la Présidente de l’Inde, Pratibha Patil, les salutations entre les deux couples présidentiels donnent lieu à une séquence intéressante. Alors que les deux conjoints se serrent déjà franchement la main, on remarque une hésitation de la part des deux Présidents, ainsi qu’une mise à distance corporelle :

La poignée de main entre Nicolas Sarkozy et Pratibha Patil se fait du bout des doigts comme si subsistait l’hésitation qui l’a précédée:

Il faut dire que la Présidente indienne était entrée dans la salle de réception en faisant le salut traditionnel indien, le namasté (ci-contre, cliquez sur l’image pour l’agrandir). Il se peut que Nicolas Sarkozy ait hésité sur ce qu’il devait faire : saluer de même ou serrer la main ? D’où un temps d’attente par rapport aux conjoints pour savoir quelle est la meilleure attitude à adopter – alors même que les clichés des rencontres officielles de la Présidente indienne avec des dirigeants la montrent physiquement plus proche de ses interlocuteurs et leur serrant la main sans hésitation:


Avec ce moment si particulier de la poignée de main entre chefs d’Etat, nous nous trouvons donc au croisement des enjeux de pouvoir, du protocole et de l’interculturel. Aussi mis en scène soit-il, ce moment n’est jamais neutre.

Pour prolonger sur ce sujet, je vous invite à consulter sur ce blog: Jeux de mains, jeux de vilains? et Petit tour du monde des gaffes culturelles

* * *

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Quelques suggestions de lecture:

7 Comments

  1. Benjamin PELLETIER

    Par ailleurs, si vous avez d’autres exemples qui vous viennent à l’esprit, n’hésitez à les partager ici.
    Un ami vient ainsi de me signaler cette anecdote au sujet de Mendès-France et Zhou Enlai, Premier ministre chinois:

    L’anecdote se rapporte à un repas officiel en France où il y avait des “petits suisses” au dessert (fromages blancs cylindriques entourés d’un papier). Zhou Enlai, ayant vécu longtemps du côté de la Porte d’Italie, savait comment se servir de cet entremet. Il est amusé à manger le tout, avec le papier. Pour ne pas commettre d’impair, toute l’assistance a avalé le papier aussi, sous le regard amusé des deux compères Zhou et Mendès-France.

  2. Olivier Duperrin

    Assez incroyable que Ségolène Royal fasse ce faux-pas vestimentaire assez connu. En plus, esthétiquement, elle ressemblait à un cosmonaute ou à une survivante de catastrophe nucléaire.

    Autre faux-pas: planter ses baguettes dans un bol de riz… Je sais que c´est à éviter au japon (Chine?).

    Concernant les « courbettes » d´Obama, ce sont surtout les plus acharnés des néo-conservateurs qui lui sont tombés dessus. Au Japon, c´est très important : je me souviens d´une fois où, avant un repas (de famille) mon hôte –riche homme d´affaires- recevait son beau-frère –richissime- et leur salut mutuel a vraiment ressemblé à un concours de qui s´inclinerait le plus devant l´autre.

    PS très curieux ce choix des petits suisses comme dessert.

  3. Olivier Duperrin

    Question qui me turlipine : quand des personnes de cultures différentes se rencontrent qui doit reproduire la gestuelle traditionnelle de l´autre ?

    Chacun fait “un bout de chemin” ?
    Cela dépend du “terrain” où on se trouve ?
    Ou considère-t-on que, nous, occidentaux, sommes plus “souples”, plus tolérants et que nous devons nous adapter ?

    La réponse est peut-être déjà sur le site : je vais chercher.

  4. Benjamin PELLETIER

    @Olivier – L’inventaire de ces quelques maladresses risque de créer un effet de loupe… N’oublions pas que les responsables politiques voyagent dans un grand nombre de pays et rencontrent de multiples interlocuteurs sans pour autant dans la plupart des cas faire de faux-pas…

    La question de savoir qui doit s’adapter à qui est très complexe et délicate. Dans le cas des responsables politiques, il s’y ajoute en plus les règles protocolaires. Dans le cas des entreprises, il n’y a pas de règles mais un juste milieu à trouver entre l’indifférence et le mimétisme. Par ailleurs, une bonne volonté d’adaptation peut également porter préjudice en donnant l’impression que l’interlocuteur est réduit à ses facteurs culturels.

    Le plus important est donc de bien se préparer à l’avance et surtout de prendre en compte la singularité de son interlocuteur – et non pas de partir d’idées préconçues sur telle ou telle culture et de les appliquer à son interlocuteur.

  5. Benjamin PELLETIER

    MàJ du 28 mars 2013 – On apprend ce jour que François Hollande a eu il y a six mois un entretien d’une heure avec Lakshmi Mittal. Au moment de le quitter, voici ce qu’il lui aurait dit:
    “Best regards to your father”.

    François Hollande a donc cru qu’il venait de s’entretenir avec le fils Mittal, Aditya Mittal…

    Lakshmi Mittal, “regard interloqué”, a alors répondu sans marquer de pause : “C’est moi, le père”.

  6. Comment peut-on à ce point faire preuve d’amateurisme ???
    Je n’ai rien contre Hollande mais avant de recevoir ou rencontrer quelqu’un, il a une armée de personnes dans son cabinet qui pourraient lui apporter des informations.
    Même si les Indiens paraissent jeunes (là encore, cela témoigne un manque d’ouverture), il y a quand même un minimum d’informations à glaner comme nous pouvons le faire en entreprise avec pléthore d’études de marché, de la concurrence, analyse de profils en RH et renseignements sur l’entreprise ciblée en recherche d’emploi. Nos élites se croient-elles hors de la réalité ?

  7. Benjamin PELLETIER

    Il semble que ce soit le cas, mon fils… 😉

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