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Implantation de 2000 entreprises chinoises en Moselle – questions et zones d’ombre

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Le projet de la Mégazone d’Illange

Après le projet d’implantation de 30 à 50 entreprises chinoises sur l’ancienne base militaire américaine de Châteauroux (voir sur ce blog Un Chinatown à Châteauroux ?), un second projet d’implantation d’entreprises chinoises en France a été annoncé le 27 février par le Conseil Général de Moselle : l’arrivée de 2 000 entreprises chinoises sur les 130 hectares de la Mégazone d’Illange (marquée en rouge sur la carte ci-dessous) :

Cette Mégazone est un site choisi par le Conseil Général de Moselle près de la petite ville d’Illange (2010 habitants). Elle est située à quatre kilomètres de Thionville et bénéficie de la proximité avec le port d’Illange sur la Moselle, d’un important réseau routier et autoroutier et se trouve à une trentaine de kilomètres de l’aéroport international de Metz-Nancy-Lorraine. A partir de la Mégazone, il est possible de se projeter dans toute l’Europe :

Les entreprises chinoises sont évidemment intéressées par cette position stratégique à partir de laquelle elles peuvent cibler leurs actions aussi bien en France qu’en Allemagne, aux Pays-Bas qu’en Italie, en Belgique qu’en Autriche ou en Italie. Les élus de Moselle placent tous leurs espoirs dans cette implantation afin que la Mégazone joue « le rôle de locomotive » dans ce bassin industriel sinistré.

Quelles entreprises chinoises ?

Dans l’état actuel des informations disponibles depuis que ce projet a été rendu public il y a deux jours, il n’est pas facile d’avoir des précisions sur le profil de ces « 2 000 entreprises » chinoises, dont une partie est attendue d’ici 2014. Cependant, il est possible de rassembler quelques indices.

Selon le site internet du Conseil Général de Lorraine, la Mégazone va accueillir « des activités d’assemblages, de conditionnement, de logistique, de services après-vente ». Il apporte également la précision suivante – comme pour anticiper certaines critiques (je souligne en gras) : « il ne s’agit pas d’un centre à destination de grossistes-distributeurs et encore moins d’un site de vente directe aux particuliers, mais d’un centre d’affaires de haute valeur ajoutée où des filiales ou des bureaux représentant les directions des entreprises seront installés ».

Cependant, dans le Figaro, Régis Passerieux, l’un des responsables du projet via la société TerraLorraine, affirme, lui : «Nous voulons faire de TerraLorraine un centre d’affaires à valeur ajoutée, et pas seulement un centre à destination des distributeurs. »

Alors, la Mégazone ne sera pas un centre à destination des distributeurs – ou pas seulement ? La nuance est de taille et laisse planer un doute sur les garanties apportées par les Chinois.

Sur le site de France 3 Lorraine, on peut lire que la Mégazone accueillera « 2000 entreprises technologiques chinoises de transformation et de production ». Il évoque également des « matériaux à assembler ». Alors, production ou assemblage ? Dans L’Essentiel, quotidien d’information luxembourgeois, le journaliste évoque « des activités d’assemblage, de conditionnement et de logistique ».

Enfin, le Républicain Lorrain explique au sujet des produits chinois qui proviendront de la Mégazone que « certains arriveront en pièces détachées » et que « la gamme sera très large, avec des articles d’usage courant et d’autres relevant d’une technologie de pointe ».

Pour résumer les informations disponibles, les 2000 entreprises chinoises attendues sur la Mégazone :

  • ne seront pas des assembleurs de pièces détachées pour des grossistes-distributeurs
  • … ou bien seront des assembleurs de pièces détachées, mais pas seulement,
  • seront des filiales ou des bureaux de représentation
  • … ou bien seront des entreprises de transformation et de production,
  • … ou bien encore des entreprises d’assemblage, de conditionnement et de logistique,
  • commercialiseront des articles d’usage courant
  • … tandis que d’autres relèveront de technologies de pointe.

Deux éléments préoccupants

Face à ce brouillard, deux éléments méritent d’être signalés :

1) Le Républicain Lorrain annonce un volume très important de produits en provenance de Chine : « La logistique et la manutention sont les autres secteurs d’emploi requis pour ce projet gigantesque. Celui-ci prévoit en effet quotidiennement l’arrivée et le déchargement, par route ou voie fluviale, de 500 containers. »

500 containers par jour, cela fait 182 500 containers par an… Voilà de quoi inonder l’Europe de produits chinois. Mais comme ce journal est le seul à évoquer cette information, il est difficile de la recouper.

2) On connaît le nom d’une entreprise chinoise, une seule, qui a actuellement confirmé son installation : il s’agit du groupe Sany, fabricant d’engins de construction. Nous sommes loin du “centre d’affaires à haute valeur ajoutée” évoqué précédemment par le Conseil Général. Le groupe Sany est un géant du secteur, décrit ainsi dans L’Essentiel :

« Avec cinq centres d’assemblage en Europe et le rachat, fin janvier, pour 500 millions d’euros, du haut de gamme d’engins de construction, Putzmeister, Sany est en train de s’imposer très sérieusement dans le paysage européen. Sany est présent dans 150 pays à travers le monde et employait quelque 70 000 personnes. »

Le groupe Sany est dirigé par l’homme le plus riche de Chine, Liang Wengen. En septembre 2011, Libération annonçait que Liang Wengen était pressenti pour rejoindre en 2012 les 204 membres du Comité central du Parti communiste.

Autrement dit, les quelques éléments d’information disponibles montrent que dans l’immédiat la Mégazone pourrait servir de tête de pont pour des produits chinois assemblés sur place qui gagneraient ainsi en valeur en obtenant le label « made in France » et pour ancrer dans le paysage industriel un redoutable concurrent dans le domaine des engins de construction. La proximité de la Mégazone avec l’Allemagne ne manque pas de susciter des interrogations sachant que les Allemands sont très en pointe dans ce domaine. Mais d’autres questions subsistent.

Questions et zones d’ombre

Pourquoi un projet d’une telle envergure qui engage l’avenir d’une région mais aura également à terme des répercutions dans l’Europe entière, n’a été dévoilé qu’au moment de sa concrétisation, laissant ainsi tout le monde devant le fait accompli ? Ainsi, l’Est Républicain fait part de sa surprise suite au dévoilement de ce projet le 27 février : 

« L’information avait été conservée dans le secret d’un petit noyau de décideurs. »

Pourquoi n’y a-t-il pas eu de débat public autour de tels enjeux ? Pourquoi ce secret qui alimente la suspicion au lieu de permettre une approche pragmatique en termes de risques et d’opportunités ? Le journal note même que les jeux sont faits :

La mégazone « a séduit les investisseurs chinois en raison de la multitude de facilités de transport des environs : fleuve, autoroutes, aéroports, rail. La totalité des permis de construire sont signés. »

Par ailleurs, la plupart des journaux annoncent que cette implantation de 2 000 entreprises chinoises va créer 3 000 emplois, soit une moyenne de 1,5 emploi par entreprise. Seul Régis Passérieux, un des porteurs du projet, évoque à terme 30 000 emplois – soit une moyenne maximale de 15 emplois par entreprise. Quelle proportion de Français et Chinois ? A ma connaissance, il n’y a pas d’information sur des engagements ou garanties en la matière.

Comment ce projet va être financé ? Officiellement, il sera financé sans subventions publiques, à hauteur de 150 millions d’euros par la Comex Holdings, une société de capital-risque domiciliée au Luxembourg. Le projet va être conduit et réalisé par TerraLorraine, une SAS filiale de Comex Holdings. D’où proviennent ces fonds qui transitent par la Comex ? Quelle transparence sur leur origine ?

Par ailleurs, un peu de clarté dans les attributions de chacun serait bienvenue. Ainsi, la Comex Holdings a pour président M. Frédéric Basset tandis que TerraLorraine est présidée par M. Régis Passérieux (ici, pdf). Mais TerraLorraine est également une société immobilière basée à Thionville et dirigée par M. Basset Frédéric. Quant à M. Passérieux, ancien maire socialiste d’Agde et actuellement trésorier de l’association ADN de Nathalie Kosciusko-Morizet, il serait utile de connaître la nature de ses liens avec les autorités chinoises.

Il ne s’agit pas de jeter l’opprobre sur ce projet d’implantation ni d’éveiller la suspicion sans raison. Au fond, si le gouvernement chinois est directement impliqué dans cette stratégie d’implantation, ce n’est pas forcément un obstacle à sa réalisation. Mais c’est une donnée à connaître pour savoir quelles limites et garanties il faut imposer aux implantations en question.

Je terminerai ce tour d’horizon en citant le journaliste de France 3 Lorraine qui a rendu compte de ce projet dans un court reportage du 27 février. Parmi les très nombreux articles de la presse locale et nationale, c’est le seul commentaire à dévoiler l’enjeu crucial de ce projet. Mais il le recouvre pudiquement juste après l’avoir énoncé :

« Vendre des produits chinois et acheter des entreprises européennes, l’échange n’est pas exactement symétrique. Mais le gigantesque centre d’affaires d’Illange s’inscrit dans la réalité de l’économie d’aujourd’hui. »

* * *

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8 Comments

  1. Pingback: Régions.news #25 – Edition du vendredi 2 mars 2012 | RÉGIONS.NEWS

  2. Bonjour,
    Avez-vous des recherches sur la supposée COMEX HOLDINGS dont je ne trouve pas traces d’existence. TerraLorraine SAS a un capital de 1000 €.
    Je pense sincèrement que cette histoire n’est qu’une mascarade encore plus loufoque que la cité de l’habitat qui devait être construite à Yutz…
    Dans l’attente de vous lire…
    (quand on pense que le communiqué de presse a été publié dans plusieurs centaines de journaux nationaux, régionaux, magasines locaux…) Mon dieu que nous sommes naïfs….

  3. Benjamin PELLETIER

    @Vincens – Pas plus d’éléments que ce que j’ai pu réunir dans cet article.

  4. Benjamin PELLETIER

    @Labro, merci pour ce travail d’investigation. Vous savez quoi? Cela ne m’étonne pas… Tout de même très très opaque, cette histoire…

  5. Grand Merci pour votre article.

    Rappelez-vous, les alentours (zone du Gassion) qui ont déjà fait l’objet de l’implantation de CEDILOR, (alias Générale des Eaux, Lyonnaise des Eaux, Waste Management, et consœurs marchandes de poisons) pour le “traitement” de 180.000 tonnes/an de déchets toxiques/dangereux afin d’absorber une masse innommable de poisons de l’Europe entière, en particulier les résidus toxiques de l’industrie lourde allemande de la vallée de la Sarre. (c.-à-d., empoisonner la population locale avec une quantité invraisemblable de soupes de sorciers diluées dans les airs, eaux et sols)
    C’était bien vouloir faire de l’or avec de la m*, non ?
    Chercher à qui profite le crime.

    Cette zone et les alentours sont donc très prisés, vu que les voies fluviales, ferrées et routières sont présentes.

    2000 entreprises? C’est combien de personnes? [… -> 30000 ?]
    Logements? Infrastructures ? Zones de commerces? Circulation routière? Lieux de vie ? Soins hospitaliers, médicaux ? … etc.
    Sans parler des transferts de matériels par poids-lourds (500 ? 1000 ? /jour ?) nécessaires au fonctionnement de ces installations industrielles.

    Bonjour les dégâts ! (ou le péril jaune peut-être ?)
    Et, on peut toujours vous dire que l’argent public n’est pas utilisé. Vous y croyez vous ?! … Dans ce pays où la corruption est généralisée.

    C’est toujours la même stratégie, sous couvert de création d’emplois, environnement non polluant et des fleurs partout … pour le bien-être de tous, 🙂 🙂 🙂

    Pendant ce temps-là, la France est championne des faillites d’entreprises ! (lien)
    http://www.economiematin.fr/les-experts/item/3068-faillites-entreprises-france-impots

    Pour conclure : comme le peuple est soigneusement endormi, tout leur est permis.

    On nous prend vraiment pour des billes !

  6. Benjamin PELLETIER

    @EoL – Le sujet mériterait d’être creusé depuis l’annonce de ce projet encore très opaque. Il me semble cependant qu’il ne s’agit pas d’installations industrielles (du moins dans l’immédiat), mais plutôt des bureaux de représentation et, possiblement, de sites d’assemblage de pièces fabriquées ailleurs, en Chine probablement.
    A suivre donc…

  7. @Benjamin PELLETIER

    Bien sûr que le sujet doit être approfondi… disons… surveillé de près, comme chaque projet (opaque!) de cet acabit décidé dans les hautes sphères par une élite qui n’a jamais servi les intérêts de … la Nation. (du Peuple. – est plus approprié).

    De petits précédents dans la région cependant:
    /Z.I Longwy (coréen), /Fameck (Daewoo)

    Bien à vous et encore Merci.
    Bonne soirée.

    —-
    ps:
    Le plan est tracé. Un indice ?:
    http://www.lemonde.fr/economie/article/2011/01/19/paris-deroule-le-tapis-rouge-pour-la-banque-chinoise-icbc-la-plus-grande-du-monde_1467693_3234.html
    … Cérémonial émouvant. Au passage, notamment avec de l’argent public.

    Pour le reste, ici(Illange) et ailleurs, ça suit et ça suivra.

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