Revues de presse

« … un petit rire pincé … » – revue de presse

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Les articles mentionnés dans cette revue de presse ont été partagés et discutés durant le mois de février au sein du groupe de discussion « Gestion des Risques Interculturels » que j’anime sur LinkedIn (1627 membres à ce jour). Soyez bienvenu(e) si ces questions vous intéressent!

Rubrique : Management interculturel – Religion dans l’entreprise – François Hollande en Inde – Titan, un géant de l’interculturel – Expatriation

Management interculturel

Je signale en premier lieu un article extrêmement riche dans Le Monde : Au secours, ma boîte est reprise par des étrangers. Il mérite d’être lu au-delà de son titre quelque peu alarmiste. Il évoque des tensions très fortes dans plusieurs cas de rachat d’entreprises françaises par des Américains. Avec des modèles de gestion et de mesure des performances quasi scientifiques et une tendance à imposer des organisation matricielles, les conflits sont inévitables dans le contexte français où l’on est peu habitué à la fois à une telle rigueur dans l’évaluation et à une telle flexibilité dans l’organisation hiérarchique.

En fait, ce qui pose sérieusement problème, c’est la tendance des Américains à vouloir imposer leur mode de management et leurs façons de faire sans procéder à des ajustements. Il y a chez eux « une volonté d’acculturer » plus forte que, par exemple, de la part des Chinois. C’est du moins ce qui ressort du témoignage d’un syndicaliste :

« Les acquisitions américaines ont souvent une finalité financière. Les acteurs n’auront pas le même souci de laisser s’exprimer le personnel en place que pourraient avoir par exemple des acheteurs chinois, venant pour la technologie et le savoir-faire et qui ont tout à apprendre. »

Les entrepreneurs chinois ont conscience de deux points faibles : d’une part, il y aurait une tendance à l’humilité venant de leur lucidité sur les retards à combler par rapport aux Occidentaux ; d’autre part, ils savent que leur arrivée suscite méfiance et suspicion et ils s’efforcent de plus en plus de prendre en compte cette perception négative. Associée à des pratiques managériales radicalement différentes des Américains, cette conscience leur impose de procéder autrement, non pas en s’imposant par la force mais en intégrant ce qui existe déjà – « ce qui ne les empêchera pas, de façon plus lente et progressive, de procéder à la mise en place d’un système de management à leur main ».

D’autres acteurs provenant de pays émergents s’efforcent de reproduire un mode de fonctionnement intermédiaire, plus en accord avec les pratiques européennes. Par exemple, les Brésiliens développent une culture d’entreprise qui marie « une proximité dans le contact (tutoiement, usage du prénom…) et un grand respect de la hiérarchie ».

L’article du Monde propose ensuite un entretien avec une Chinoise spécialiste du management interculturel. J’ai sélectionné trois extraits particulièrement significatifs des interactions entre Français et Chinois :

Le manager chinois qui arrive en France doit s’adapter : les employés qu’il a face à lui n’ont pas du tout la même approche que la sienne des tâches à effectuer. En Chine, il n’a pas à se justifier : les salariés chinois exécutent des ordres, ils ne discutent pas avec la hiérarchie. C’est le management “top down”. Les salariés français sont différents, ils ont besoin d’être convaincus avant d’accepter un ordre. En somme, là où les salariés chinois demandent : “Que doit-on faire?”, les Français interrogent : “Pourquoi dois-je faire cela ?”

La première différence à analyser se situe au niveau de la mentalité. Celle des Chinois est fondée sur le confucianisme : l’intérêt collectif l’emporte sur celui de l’individu. Le groupe a la plus forte priorité. Cela implique que lorsqu’il y a un conflit entre un employé et son entreprise, comme entre un citoyen et son gouvernement, il convient de mettre ses intérêts propres en retrait. C’est le contraire de la culture individualiste qu’on peut souvent retrouver, notamment en France.

En Chine, le consensus et le compromis sont toujours recherchés en interne avant d’exprimer publiquement une décision. Les Chinois trouvent donc que les Français sont trop directs quand ils s’expriment ou prennent une décision. Eux sont au contraire adeptes d’une communication beaucoup plus “oblique”. Bien souvent, les Français ne comprendront d’ailleurs pas le message et sa structuration très indirecte, pas toujours facile à décrypter. Les manageurs chinois ne disent jamais “non”, ils sont donc parfois choqués par l’attitude des salariés français.

Dans les Echos, un article revient sur le succès de l’exportation de produits provençaux en Chine. Il réunit notamment des témoignages d’entrepreneurs provençaux qui accompagnent cet engouement pour leurs produits. La présidente de Château-Calissane, un domaine d’une centaine d’hectares entre Marseille et Aix-en-Provence, constate ainsi l’importance de tisser des relations interpersonnelles pour pouvoir développer des affaires avec les Chinois :

« Les Chinois ont fait plusieurs fois le voyage en France pour goûter notre vin avant de signer une commande de 200.000 bouteilles. Ils n’hésitaient pas : ils ont simplement pris le temps de nous connaître. »

Enfin, dans le Figaro est évoqué un cas de marketing interculturel avec le succès de la lingerie française dans le monde. Selon son directeur général, Lise Charmel est ainsi numéro un des marques françaises en Chine. La Russie est également un marché important pour la marque. Cette internationalisation suppose de comprendre les particularités locales et de savoir s’adapter, comme le note le patron de Chantelle :

« Mais, pour réussir à l’international comme marque française il ne faut pas être dans une logique qui consiste à imposer son style, prévient Patrice Kretz, patron de Chantelle. Il faut s’adapter, aux Russes, avec plus de dentelle ou de broderie, aux Américaines, aux exigences plus fonctionnelles. »

La religion dans l’entreprise

Dans les Echos, vous lirez avec un intérêt un article sur la religion dans l’entreprise, un sujet certes sensible mais sur lequel il ne faut pas faire l’impasse. La pratique religieuse et les comportements induits par la pratique religieuse sont en effet sources de tensions de plus en plus grandes dans les entreprises. Non pas parce que ces facteurs religieux dans le monde du travail sont nouveaux (l’article signale que, dans l’usine Peugeot de Poissy où il y a 60% de musulmans, il existe une salle de prière pour les musulmans depuis 1982), mais parce les revendications à caractère religieux et les réactions à ces revendications sont de plus en plus véhémentes.

A la RATP, quelques agents musulmans refuseraient de serrer la main de leurs collègues féminines. Ce comportement concernerait seulement 5% des 300 conducteurs musulmans de Nanterre mais quelques éléments suffisent à créer des tensions sur le lieu de travail. La RATP s’apprête d’ailleurs à publier un Guide pratique de la laïcité dans l’entreprise pour remédier à ces situations.

Dans les services aéroportuaires de Roissy, on constate également des tensions du même type provenant d’une toute petite minorité d’employés :

« Un agent de nettoyage musulman ayant bu de l’alcool pendant le ramadan aurait été menacé par des coreligionnaires ; un travailleur de la piste a refusé de parler à une femme pilote et exigé de communiquer avec elle par l’intermédiaire d’un homme ; plusieurs mains courantes de personnels d’encadrement auraient été déposées auprès de la PAF et de la gendarmerie de l’aérogare, signalant des actes d’agression ou des pression ayant trait à la religion ; le 3 janvier dernier, un travailleur a menacé de détruire les décorations de Noël de la cantine du personnel au sol du terminal 2E, au prétexte qu’on n’y proposait pas de viande halal.. »

Dans cette liste, le cas de l’employé ayant refusé de parler à une femme pilote me semble le plus grave dans la mesure où ce qui doit primer avant tout dans ce contexte professionnel, c’est la sécurité – et celle-ci passe notamment pas une communication claire et directe entre les employés. L’entreprise doit évidemment réagir fermement pour que cet impératif subsiste. D’une façon générale, sur la question de la religion dans l’entreprise, il est essentiel de s’en référer aux textes de loi et aux pratiques accommodantes. Je vous renvoie sur ce sujet à un excellent document de trois pages (pdf) qui date de 2011 et qui fait très bien le tour de la question.

François Hollande en Inde

François Hollande vient d’arriver en Russie pour une visite de 24 heures. Précédemment, il avait passé deux jours en Inde les 14 et 15 février. Ces séjours comprennent chaque fois un volet économique et sont l’occasion pour la présidence et les ministères de faire preuve de diplomatie exportatrice, autrement dit d’appuyer les entreprises dans leur démarche d’export vers les pays visités. C’est toute la difficulté de l’exercice : respecter la dimension protocolaire propre à une visite politique et en même temps faire preuve de savoir-faire interculturel à des fins économiques.

Dans ce contexte, les moindres faux-pas acquièrent une valeur monumentale. Lors de sa visite en Inde, François Hollande n’a pu s’empêcher de plaisanter devant les élites indiennes au sujet de la croissance française comparée à la croissance indienne (au-delà de 8%), ce qui a déclenché selon un journaliste de Libération « un petit rire pincé qui trahissait comme un sentiment de supériorité face à cette France dont l’économie est aujourd’hui alitée ». Voici ce qu’a dit le président français :

« Des entrepreneurs que je rencontrais me disaient qu’ils avaient peur que la croissance ne dépasse pas 8, 9, 10%. J’en rêvais. Nous, en France, nous luttons pour que la croissance ne soit pas en dessous de zéro. »

Cette remarque sous forme d’auto-dérision n’est pas à proprement parler une maladresse interculturelle mais elle n’est certainement pas appropriée dans un contexte où cela ne se fait pas d’évoquer le négatif, a fortiori celui qui handicape ses propres positions. En outre, ce n’est pas en insistant soi-même sur ses points faibles que l’on gagne en crédibilité face à un partenaire en pleine confiance et en position de conquête. Autrement dit, cette remarque était inutile et contre-productive. Ce n’est pas la première fois qu’un dirigeant français se laisse aller à la plaisanterie dans un contexte inapproprié, voyez l’article que j’ai consacré à ce sujet : Petites blagues et exacerbation des risques interculturels.

Par ailleurs, il est intéressant de prendre connaissance du point de vue indien sur cette visite. Dans le Times of India, Dileep Padgaonkar, ancien correspondant à Paris puis rédacteur en chef du journal, a fait part de ses impressions dans un article que l’on pourrait traduit par : La visite de François Hollande en Inde fut pauvre en style mais riche en substance. Il y énumère les raisons pour lesquelles il n’y a pas eu de signature de grands contrats. Parmi celles-ci, la deuxième tient selon lui « au style de fonctionnement du Président Hollande » :

« Contrairement à son prédécesseur, Nicolas Sarkozy, il ne se plaît pas dans son rôle de vendeur des entreprises françaises. Il préfèrerait plutôt que les hommes d’affaires discutent, signent, concluent et apportent eux-mêmes sur un plateau les projets de coopération. Le rôle de son gouvernement serait alors celui d’un facilitateur. »

Le constat de ce journaliste indien concerne le style présidentiel. François Hollande se met plus en retrait que Nicolas Sarkozy, adoptant par là une attitude plus mitterrandienne qui éloigne le président des phases amont de la négociation de contrats. Mais si l’on met en relation cette attitude avec l’arrière-plan des récentes orientations diplomatiques, on constate cette fois-ci un décalage préoccupant.

En effet, le ministère des Affaires étrangères cherche à développer la diplomatie économique (lancée lors de la conférence des ambassadeurs le 27 août 2012) et la diplomatie d’influence (discours de Laurent Fabius du 5 février 2013). Cette double orientation suppose une cohésion entre acteurs du monde de l’entreprise et acteurs de la diplomatie, ainsi qu’une implication des uns et des autres sur le long terme. Dans un premier article sur le complexe de l’influence, je rappelais le diagnostic établi par Nicolas Tenzer sur les défaillances de l’influence à la française. Ce diagnostic trouve ici un écho significatif avec les observations de Dileep Padgaonkar sur le gouvernement français qui ne serait qu’un « facilitateur »:

« En dehors du temps de la décision et de la négociation, rien ne se passerait. L’influence est conçue sur le même mode de l’urgence et de l’immédiateté que la plupart des mesures gouvernementales et des instructions données aux négociateurs. Elle ne prend pas en considération la continuité et le temps long. Le travail d’approche et de « séduction » de nos partenaires est rarement considéré. »

Titan, un géant de l’interculturel

Vous n’aurez certainement pas échappé à l’échange d’amabilités entre le patron américain de Titan, un moment pressenti pour reprendre l’usine Goodyear d’Amiens, et Arnaud Montebourg, ministre du Redressement productif. Voyez le courrier de Maurice Taylor, patron de Titan, puis la réponse de Montebourg et la réplique de Maurice Taylor. Enfin, vous pouvez aussi prendre connaissance de ce courrier de Coca-Cola en soutien à Montebourg – une opération de communication à peu de frais…

Comme dialogue de sourds, on ne fait certainement pas mieux – ou pire. Le risque est de sombrer dans la caricature culturelle sur les Américains et les Français. Il faut donc prendre garde à lire ces échanges en fonction de la singularité de chacun. Concernant Maurice Taylor, une publicité le met en scène pour vanter les mérites de son entreprise. En la regardant, vous constaterez que le personnage joue pleinement son rôle de capitaliste agressif qui se moque éperdument des autres cultures :

 Expatriation

Le deuxième baromètre Deloitte/Ifop de l’Humeur des jeunes diplômés a mis en évidence que 27% des jeunes diplômés jugent que leur avenir professionnel est à l’étranger – d’où cependant 73% qui voient leur avenir professionnel en France. Mais ce qui est frappant, c’est qu’ils n’étaient que 13% en 2012 à vouloir s’expatrier. Comment interpréter cette impressionnante augmentation ? Cela peut être un effet de la crise économique et d’une vision assez pessimiste du contexte français qui, aux yeux de ses jeunes diplômés, serait en train de se rapprocher du contexte des autres pays latins et de la Grèce.

Départ des uns, retour des autres. Il y a deux semaines, j’ai consacré un article au retour des cerveaux, nouveau symptôme de la désoccidentalisation du monde. Un article du Figaro vient renforcer ce constat : Les cerveaux africains de retour sur leur terre natale. 70% des étudiants africains issus des plus grandes écoles de commerce européennes et américaines envisagent en effet de développer des affaires dans leur pays d’origine afin de contribuer à leur émergence:

Retrouvez toutes les revues de presse en suivant ce lien.

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Quelques suggestions de lecture:

2 Comments

  1. DELAMARCHE Alain

    Bonjour Monsieur PELLETIER,

    la gestion de mon temps m’avait contraint à espacer mes visites chez vous, mais ce n’est que pour prendre un plaisir toujours plus vif à revenir vous lire, la hauteur de vue, la pertinence des analyses, la neutralité du ton, restent d’une fraîcheur bienfaisante dans un contexte étouffant…

    Merci encore de nous faire partager vos richesses

    Respectueusement

    alain Delamarche

  2. Benjamin PELLETIER

    @Alain – Merci pour votre si votre message si sympathique. Les richesses en question sont celles d’un monde à la complexité grandissante. La revue de presse est en fait un exercice assez subjectif et les contraintes qu’il impose obligent à laisser de côté des articles tout aussi intéressants.
    Alors je profite de votre message pour signaler quelques un de ces articles mis de côté:

    Dans 20 minutes, Festival de la bande dessinée: Angoulême, le village-monde, et notamment cet extrait:

    Shoko Takahashi, interprète japonais-français, accompagne régulièrement des auteurs de mangas: «Ils sont très surpris des questions philosophiques des journalistes français qui analysent vraiment leurs œuvres. On leur demande des explications ou une logique à des choses auxquelles ils n’auraient jamais pensé. Sur le moment, c’est difficile.»

    Dans le Saudi Gazette, une contribution très intéressante permet de réfléchir au lien langue/culture: Teach us English but without its cultural values.

    Le film Zero Dark Thirthy est un véritable festival de clichés sur les Pakistanais.

    D’ailleurs, apprenez à décrypter la signification des différents types de barbe dans les cultures arabo-musulmanes.

    Aux Etats-Unis, Les républicains apprennent à parler “Latino”.

    A lire aussi, cet article: La culture influence également la manière dont un internaute organise son temps.

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