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L’effet de surprise, ennemi de la communication interculturelle

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Quand une réunion peut en cacher une autre

Cette histoire m’a été racontée par une équipe française qui s’était déplacée à Tokyo pour présenter un projet au partenaire japonais. Comme d’ordinaire, elle avait envoyé au préalable un agenda mentionnant les différents points qui seraient abordés durant la réunion de travail.

Le jour J, les Français prennent la parole et exposent ces différents points. Les Japonais écoutent poliment, n’expriment rien de particulier par le langage verbal ou corporel, ni intérêt ni désintérêt. Les Français demandent alors : « Avez-vous des questions ? » Silence de la part des Japonais. Aucune question, aucun commentaire. Les Français quittent la réunion avec un sentiment mitigé, incapables de savoir si le message était passé, s’il y avait accord ou désaccord, besoin ou non d’informations complémentaires.

Par chance, ils avaient prévu de rester un jour supplémentaire à Tokyo pour évoquer un autre dossier avec le même partenaire. Heureux hasard, car voici comment le lendemain l’un des responsables japonais a pris la parole au démarrage de la deuxième réunion :

Alors, hier, à 8h27, vous avez dit ceci…, nous aimerions savoir cela… A 8h34, vous avez dit ceci… nous aimerions savoir cela… A 8h46, vous avez dit ceci…. nous aimerions savoir cela… 

Et ainsi de suite. Les Japonais sont revenus sur tous les points de la réunion de la veille, très précisément minutés, et ils ont posé des questions sur chacun d’entre eux.

Quelle est votre valeur ajoutée en réunion ?

Cette question, l’équipe française ne se l’était pas posée car il était évident que la valeur ajoutée de chaque participant consistait à présenter des informations au partenaire japonais. Ainsi, elle avait envoyé l’agenda indiquant les points qui seraient présentés, mais ne les dévoilant pas dans le détail, sinon à quoi bon se déplacer jusqu’à Tokyo ?

Et si la valeur ajoutée de chacun ne consistait pas à présenter des informations mais plutôt à débattre à leur sujet ? Or, ce n’est pas parce qu’on les a présentées, que ceux qui les reçoivent vont forcément en discuter. Dans l’anecdote des Français à Tokyo, le découplage entre ces deux dimensions aurait pu être néfaste si l’équipe française était repartie en France immédiatement après la première réunion.

L’explication de ce phénomène m’a été donnée par un Japonais participant à une formation et à qui j’ai demandé à quoi servait une réunion au Japon. Voici ce qu’il a dit :

Une réunion au Japon sert à vérifier oralement que les personnes invitées ont bien compris l’information écrite envoyée au préalable.

Autrement dit, les Japonais ont tendance à envoyer non pas l’agenda mais, s’il n’est pas confidentiel, tout le contenu de leur présentation avant la réunion. Pour une raison simple, a poursuivi ce Japonais :

Nous devons préparer nos questions avant la réunion.

Si l’on revient à l’anecdote racontée précédemment, l’équipe française a suivi ce processus sans même le vouloir. En ayant une deuxième réunion avec leur partenaire local, ils ont permis aux Japonais de préparer les nombreuses questions que leur présentation avait suscitées chez eux mais qu’ils ne pouvaient pas poser durant la présentation : l’effet de surprise était en effet trop important. Rien n’est en effet plus stressant pour de nombreux Japonais que de devoir improviser une question.

La surprise, facteur de stress ou source de plaisir

Par définition, une surprise correspond à un événement imprévu, inattendu. Elle marque une rupture soudaine avec un passé familier et contient une incertitude sur ce qui va suivre. Agissant comme un coup de vent sur un tas de feuilles, elle oblige à réajuster ses perceptions et à remettre en ordre ses idées. Et comme il y a des vents agréables et des vents pénibles, il y a des bonnes et des mauvaises surprises.

Découvrir le contenu d’une présentation en direct expose forcément à de nombreuses surprises, lesquelles n’en sont évidemment pas pour celui qui présente. La réaction face à la surprise dépend bien sûr de la personnalité de chacun. Mais le contexte sociétal peut également jouer pour faire pencher la balance du côté de la crainte ou du plaisir.

Ainsi, si le contexte japonais est marqué par une forte aversion à l’incertitude, il doit certainement une part de cette dimension au fait que les grandes surprises liées à l’environnement sont souvent catastrophiques (tremblements de terre, tsunamis, volcans, ouragans). Il n’est pas très étonnant alors qu’un simple cadeau enveloppé de papier causera du stress : c’est au sens propre une surprise, et donc une boîte remplie d’incertitude, qu’il vaut mieux ouvrir en privé que devant la personne qui l’a offert.

Dans d’autres contextes, là où sont mis en avant la capacité à improviser un discours, le sens de la répartie et de l’à-propos, l’attention portée aux hasards de la vie, le refus de la routine, le goût pour l’imprévu, le doute envers les certitudes établies, la valorisation de l’originalité ou la volonté de se démarquer, les effets psychologiques de la surprise pourront avoir un tout autre statut. Ainsi, celui qui m’offrirait un cadeau en me révélant en même temps de quoi il s’agit gâcherait l’effet de surprise, comme cela m’est arrivé avec un Coréen me tendant un joli paquet tout en me disant tout bas : « C’est un livre. »

En contexte professionnel, certains partenaires attendent justement qu’on leur révèle à l’avance le contenu de la réunion pour qu’ils puissent s’y préparer. Communiquer l’agenda, c’est simplement partager le papier cadeau. Nous aurons des échanges bien plus productifs si nous avons réuni les conditions pour qu’ils aient lieu. Voilà qui exige un peu d’humilité : au lieu de chercher à se mettre en avant en présentant fièrement un contenu qu’on a produit, mettons-nous légèrement en arrière. Partageons le contenu avant de manière à permettre à nos partenaires de nous poser les questions que jamais ils n’auraient osé improviser.

La condition essentielle ? Et peut-être la plus grande difficulté pour des Français: mieux préparer nos réunions.

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2 Comments

  1. Très intéressant. Au fond à quoi sert-il de se rencontrer, de réunir des gens, des élèves, des collègues ? Si les représentations du concept de “rencontre” diffèrent, les conséquences sont imprévisibles.

    En revanche dire que l’aversion des Japonais pour l’incertitude est liée aux catastrophes naturelles, c’est du géographisme si je puis dire. C’est plutôt l’histoire et la structure de la société qui semblent déterminer certains comportements habituels (cf. Franz Boas et le culturalisme) (l’histoire et la structure de la société ayant sans doute un lien, mais très indirect, avec la géographie). Ceci dit un tsunami c’est autant de l’histoire que de la géographie…

  2. Benjamin PELLETIER

    @Laurent – L’environnement incertain au Japon a façonné la culture populaire (mythe de la destruction du pays) et le rapport au risque (exercices d’alerte au tsunami ou au tremblement de terre et de mise aux abris dans les écoles et dans les villes) mais je suis bien d’accord que de réduire l’aversion au risque à ce seul facteur géographique serait faire du culturalisme environnemental, ou du géographisme, comme vous dites (ce néologisme est intéressant), qui rappellerait la théorie des climats du XVIIIe, notamment de Montesquieu, où l’on explique par le climat les caractères d’un peuple.
    Pour aller plus loin, je vous invite à visiter sur ce blog Culture des catastrophes, culture des risques.

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