Les articles mentionnés dans cette revue de presse ont été partagés et discutés durant le mois d’avril au sein du groupe de discussion « Gestion des Risques Interculturels » que j’anime sur LinkedIn (1135 membres à ce jour). Soyez bienvenu(e) si ces questions vous intéressent!
Rubriques : Marketing interculturel – Expatriation et migrations – Malaise des salariés français – Carences françaises
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Carence (subst.. fém.)
Absence, manque ou insuffisance importante (de quelque chose). Synon. déficience, pénurie.
− En partic. état d’une personne, d’une institution… qui manque à ses devoirs, se dérobe devant ses obligations ou est incapable d’assumer ses responsabilités.
Marketing interculturel
La boisson gazeuse Orangina vient d’entrer sur le marché japonais en mars dernier. Un lancement apparemment réussi puisqu’il s’est vendu un million de caisses de 24 bouteilles les quatre premiers jours (Suntory, propriétaire d’Orangina, vise 2 millions de caisses par an). Certaines adaptations au contexte japonais ont été nécessaires pour réussir cette implantation.
Ainsi, alors que la forme originale de la bouteille n’a jamais changé depuis la création d’Orangina en 1936, Suntory impose une bouteille plus classique pour correspondre aux rayons des supermarchés japonais. L’ajout d’un drapeau tricolore permet de rappeler l’origine française de la boisson, tout comme l’indication qui figure sur l’étiquette : Born in France, bottled in Japan (Né en France, mis en bouteille au Japon).
Il s’agit donc de jouer résolument sur la dimension française du produit, quitte à reprendre tous les clichés des Japonais sur la France. La campagne publicitaire met donc en scène un Français incarné par… Richard Gere :
Dans un film publicitaire (ici, youtube), l’acteur vieillissant rend visite à un enfant, supposément son petit-fils, dans une France des années 50 (autorail diesel, gare de campagne, village en pierre, enfants vêtus « à la Doisneau »). Dans un autre film, il se trouve dans un café « typique » où il est victime d’un quiproquo avec une serveuse forcément aguicheuse :
Aussi caricaturale qu’elle puisse nous paraître en France, cette adaptation d’un produit aux particularismes japonais est le résultat d’une démarche consciente et réfléchie indiquant une maturité importante sur les questions interculturelles. Ce n’est pas encore le cas en Chine où les entreprises étrangères peuvent encore jouer sur l’effet de nouveauté et l’engouement pour ce qui est perçu comme occidental. Dans le Monde, un article intitulé Les Chinois se mettent au suédois raconte ainsi comment les Chinois se sont appropriés les magasins Ikea.
A Nankin, les personnes âgées viennent chez Ikea pour profiter de la cafétéria et de son café à volonté, à tel point que « ce sont les retraités qui consomment tout le café ». A part quelques produits spécifiques pour le Nouvel An chinois, Ikea reste identique à lui-même. Cette rigidité n’est pas sans risque dans un pays où il est « difficile d’expliquer qu’il faudra faire par soi-même ».
Les Chinois ont en effet des réticences à faire par eux-mêmes ce qui est habituellement fait par d’autres. L’idée d’acheter un meuble et d’avoir en plus à la monter soi-même ne va donc pas de soi. La chaîne américaine de bricolage et d’outillage Home Depot l’avait d’ailleurs appris à ses dépends en 2011 : elle a dû quitter la Chine où l’on “fait faire” et où il n’y a pas encore de culture du « faire soi-même ».
Dans une stratégie d’implantation sur un marché étranger, l’entreprise doit initier une réflexion autour du marketing interculturel. Elle a alors trois possibilités : la commercialisation de produits et services identiques au pays d’origine de l’entreprise, l’adaptation de produits et services au pays d’implantation et la création de produits et services spécifiques pour le pays d’implantation.
Le cabinet PricewaterhouseCoopers a publié sa 15e étude sur les patrons dans le monde (sondage concernant plus de 1250 patrons dans 60 pays). Dans ce document (ici, pdf), on trouve une synthèse intéressante sur le marketing interculturel. Interrogés sur les facteurs de croissance dans 10 pays, les patrons ont indiqué ce qui était pour eux le plus important dans chacun de ces pays (sauf le leur). Je reprends ces données en classant par ordre d’importance les réponses positives au sujet de la modification des produits et services :
On constate ici que les pays émergents (les BRIC : Brésil, Russie, Inde, Chine) sont ceux où il est le plus important de modifier les produits et services pour rencontrer les besoins du marché local. Par ailleurs, les deux pays où il est le plus important de développer des produits spécifiques pour le marché local sont l’Inde et le Japon, ce qui rejoint les cas étudiés sur ce blog (cf. par exemple l’échec de la Logan en Inde ou le succès du guide Michelin au Japon).
Expatriation et migrations
Sous l’effet de la mondialisation, et surtout de la montée en puissance des entreprises et des talents des pays émergents, l’expatriation connaît de profonds bouleversements (voir sur ce blog Expatriation : d’un monde à l’autre). Dans les Echos, un article s’intéresse aux nouvelles règles de l’expatriation. Les contrats d’expatriés sont peu à peu allégés de leurs avantages, certaines entreprises accordant désormais une enveloppe globale qui les délestent de toute obligation, y compris pour les frais de santé.
Le contrat d’expatrié laisse ainsi peu à peu place à un contrat local renvoyant l’expatrié à une forme banale de mission et à un statut peu différent de celui des collaborateurs locaux. En outre, les entreprises préfèrent de plus en plus organiser des allers-retours entre la France et les pays proches plutôt que des expatriations. C’est que d’un monde occidental hégémonique nous sommes passés à un monde multipolaire où les compétences et les talents se retrouvent aussi bien ailleurs qu’ici.
Néanmoins, il n’est jamais banal ni facile de s’expatrier. Et il n’est pas non plus aisé de revenir. L’article rappelle qu’un tiers des expatriés quitte leur entreprise dans les deux ans qui suivent leur retour de mission. Il reste encore aux entreprises bien du chemin à parcourir pour prendre en compte le retour d’expatriation et la valorisation de l’expérience acquise à l’étranger. L’enjeu consiste à limiter le risque de perdre des talents par manque de maturité dans la gestion du retour d’expatriation.
L’expatriation peut également être soumise à des règles restrictives, comme les conditions d’obtention d’un visa de travail en Inde. Ainsi, il n’est possible d’obtenir un visa que si l’on gagne plus de 25 000$ par an. Avec cette mesure, le gouvernement indien cherche à limiter l’entrée de travailleurs peu qualifiés qui empêcheraient des Indiens de trouver un emploi. Mais elle limite aussi l’arrivée de travailleurs étrangers qualifiés et prêts à accepter un salaire inférieur à la limite fixée par le gouvernement.
Au Brésil, le marché du travail semble sans restriction pour les étrangers. Ceux-ci sont passés de 961 000 en 2010 à près de 1,5 million en 2011. Par rapport à 2010, les autorisations de travail ont augmenté de 32% les neuf premiers mois de 2011. Parallèlement à ce dynamisme, 2 millions de Brésiliens vivant à l’étranger sont retournés dans leur pays depuis 2005.
L’Allemagne est tout aussi prête à accueillir les travailleurs étrangers. Du fait de son dynamisme économique, mais également de son atonie démographique, l’économie allemande a besoin de 200 000 immigrés de plus par an. En 2011, l’Allemagne a accueilli 177 300 immigrés venant essentiellement d’Europe centrale et orientale. Elle compte 10,6 millions d’immigrés sur 81,7 millions d’habitants en 2010.
C’est là que se croisent l’expatriation et les migrations économiques. Car les pays qui accueillent sont également ceux qui aspirent les talents des pays en crise (voyez sur ce blog L’Europe en crise et la fuite des cerveaux). Les insuffisances des uns provoquent les carences des autres. Ainsi, l’Espagne souffre considérablement du départ de ses talents, par exemple dans le domaine scientifique où les licenciements, les fermetures de laboratoires et centres de recherche et les départs vers l’étranger vont peser sur sa capacité à surmonter la crise.
Déjà, les demandes de brevets ont chuté de 2,7% en Espagne en 2011 – alors qu’elles ont augmenté de 5,7% en Allemagne. Par ailleurs, entre 2008 et 2011, le nombre d’Espagnols cherchant à travailler à l’étranger a doublé et leur profil a évolué vers celui d’hommes âgés de 25 à 35 ans, hautement qualifiés (ingénieurs, architectes et informaticiens).
Malaise des salariés français
Selon une étude menée auprès de 4 000 salariés français et 1 500 salariés de cinq autres pays européens par Ipsos et Logica, les salariés français détiennent le record d’Europe de la démotivation et des attentes salariales. Parmi les principaux motifs d’insatisfaction des salariés français se trouvent le manque de reconnaissance, une rémunération jugée trop faible (à 68 %) et la charge de travail. D’où une faible motivation au travail :
Par ailleurs, 43% se disent inquiets pour leur avenir et pour celui de leur entreprise, un degré d’inquiétude voisin de celui des Italiens et des Espagnols, et deux fois plus élevé qu’au Royaume-Uni, en Allemagne et en Belgique :
Une étude LinkedIn portant sur 2000 personnes dans huit pays a mis en évidence un autre facteur de malaise chez les professionnels français: la situation de négociation. Ainsi, ils sont 37% à se sentir angoissés ou à avoir peur à l’idée de négocier. Au contraire, les Indiens sont les plus confiants dans cette situation : 47% ressentent de l’assurance quand ils doivent négocier. C’est que la négociation est une culture en soi. Rappelons ainsi qu’un Indien ordinaire doit négocier dans sa vie quotidienne plus de 500 fois par an…
Si ces différents malaises appartiennent à des registres hétérogènes, ils n’en appartiennent pas moins au domaine plus large du management (j’ai déjà mis en évidence certaines singularités inquiétantes du management français). A l’occasion de la sortie de son nouvel ouvrage (un prolongement du désormais classique Les décisions absurdes), Christian Morel en appelle à une « contre-culture du management » en mettant l’accent sur la responsabilisation des subordonnés.
Le modèle managérial dominant est trop autoritaire, il empêche la libre circulation de la parole, notamment quand il s’agit de signaler des erreurs, et surtout son principe dominant « est celui de la punition, qui a des effets pervers ». Christian Morel met en évidence les résistances culturelles qui s’opposent à une approche pragmatique des risques :
« Ainsi, l’Institut national de la sécurité a voulu diffuser l’arbre des causes afin d’analyser en profondeur les origines d’un accident du travail. Des plaquettes ont donc été imprimées mais les syndicats de salariés et patronaux se sont opposés à leur diffusion, craignant que cela ne mette des individus en cause et pointe les responsabilités dans les accidents du travail. Finalement cette méthode a malgré tout été appliquée mais par le bas, de façon progressive et non officielle, puisque à la fois salariés et patrons l’ont trouvée bonne. Quant aux milliers de plaquettes, elles ont été mises au pilon. »
Enfin, si vous souhaitez mieux connaître la pensée stimulante de Christian Morel, vous lirez également cet entretien dans Le Point : Ces décisions catastrophiques qui nous menacent.
Carences françaises
Si les carences structurelles des PME françaises sont bien connues, il n’est pas inutile de donner des éléments de contexte avec les statistiques publiées par les Echos:
– Les grosses PME, appelées également ETI (entreprises de taille intermédiaire), qui emploient entre 250 et 5 000 salariés, sont 2 800 en France contre 10 000 en Allemagne.
– Ce sont là les entreprises les plus dynamiques sur le plan de l’emploi et des exportations: elles représentent en France 23 % de l’emploi salarié, 26 % des dépenses de recherche, et 33 % du chiffre d’affaires à l’exportation.
– Ces dix dernières années, l’Allemagne a fait passer de 30 % à près de 32 % sa part dans les exportations totales de la zone euro. La part de la France a, elle, regressé, passant de 15 % à 13 %.
D’où la question : le plafond de verre qui affecte le développement des PME est-il dû à un complexe culturel (peur de la prise de risque), à un environnement décourageant (timidité des banques pour financer leurs investissements) ou un protectionnisme des grands groupes (influence des entreprises du CAC40 pour empêcher les PME de grandir) ?
Quoi qu’il en soit, cette carence des PME ne doit pas masquer le fond du problème : le manque global de compétitivité des produits français, et même le reflux de leur présence en France même. Ainsi, selon deux députés qui ont rédigé un rapport sur l’état de la recherche en France :
« Aucun des 25 produits de haute technologie les plus vendus en France n’est conçu ni fabriqué en France, alors que 40 % des produits les plus utilisés par la génération antérieure étaient conçus et fabriqués chez nous. Ceci indique la capacité défaillante de nos entreprises face aux besoins de la société. »
Or, le monde de la recherche publique française se caractérise par une carence identique à celle des PME. Du fait « de multiples structures de petite taille », il n’y a pas assez d’organismes assez solides pour réduire l’écart entre la découverte et la mise en production. D’où les efforts actuels pour concentrer ces structures et éviter le « mille-feuille institutionnel ».
Et si l’on remonte encore en amont des déficiences françaises, il faut alors s’interroger sur le système scolaire qui marche sur la tête, avec ce paradoxe que les moyens attribués renforcent les inégalités. Cet article du Monde commence avec ce constat lapidaire : « L’éducation n’est plus nationale ».
Ainsi, le ministère de l’Education nationale concentre les moyens humains et financiers dans les académies les plus favorisées au détriment des académies les plus en difficulté, accroissant ainsi les inégalités qu’il est censé résoudre :
« Au vu de ces chiffres et de leur évolution récente, aucun élément attestant d’une politique particulière en matière de réduction des inégalités n’apparaît donc de manière flagrante. (…) Alors même que les outils sont disponibles, le ministère ne se met pas en position d’analyser précisément les inégalités territoriales, leurs causes et leurs moyens de les limiter. »
Il en va de même avec l’apprentissage qui pâtit toujours d’une image très négative. Alors même que 1,8 millions de jeunes Allemands se dirigent vers cette voie, ils ne sont que 600 000 Français à faire de même. Or, même en ayant choisi la voie professionnelle, les élèves sont nombreux à renoncer à leur choix sous la pression de facteurs extérieurs :
« Car si 46 % des interrogés ont à un moment de leur parcours envisagé un apprentissage, 54 % ont fini par renoncer à leur projet, soit parce qu’ils n’ont pas réussi à trouver de patron, soit parce qu’ils ont rencontré l’opposition de leurs parents, des enseignants ou des conseillers d’orientation. »
Par suite, l’apprentissage reste modeste en France alors même que les besoins en termes d’emplois spécialisés existent. Mais il manque à la France ce qui fait la force de l’Allemagne : « une culture technique très valorisée »…
Carences, défaillances, déficiences, nombreux sont malheureusement les constats d’inadéquation de la France avec le monde, et nombreux sont les domaines de régression.
Faut-il y voir un rapport de cause à effet ou un simple reflet d’une réalité plus générale ? Mais l’Institut National de l’Audiovisuel a publié en mars son baromètre thématique des journaux télévisés (ici, en pdf) et l’analyse et le décompte des sujets internationaux montrent que les journaux télévisés s’intéressent essentiellement aux pays proches de la France. Hors Union européenne, la Russie et les Etats-Unis dominent l’information internationale d’où ce commentaire désabusé de la part des rédacteurs de l’étude :
« Comme si le monde n’avait pas changé depuis cinquante ans. »
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