Nous sommes souvent prompts à nous moquer des étrangers qui, pour nommer des magasins ou des produits, utilisent des mots français, parfois de manière bancale ou avec des fautes d’orthographe, dans le but de « faire français ». L’intention est de procurer à ce qui est ainsi francisé une image de chic, de luxe, de romantisme, de sophistication ou d’intellectualisation, selon les clichés sur la France et les Français qui circulent dans le pays en question.
Mais ce phénomène est également très présent en France, et nous ne sommes pas exempts des ridicules que nous repérons chez les autres. Précisions bien qu’il ne concerne pas l’utilisation de mots étrangers en français mais le recours à des éléments linguistiques de langues étrangères pour « faire étranger » en français. Il s’agit pour les rédacteurs de donner aux messages une impression ou une apparence étrangère en misant moins sur leur exactitude que sur le visuel des mots et lettres venant d’une autre langue.
On en vient ainsi à produire des chimères linguistiques sous forme d’assemblage d’éléments français et étrangers, et ce dans un double but, l’un direct qui consiste à activer des représentations stéréotypées concernant les cultures auxquelles renvoient des signes exotiques importés en français ; l’autre, indirect, qui cherche à reporter sur le produit ainsi nommé les attributs d’exotisme indiqués par le visuel du mot, quitte à ce que ce dernier soit une aberration sur le plan linguistique.
Prenons un premier exemple qui me poursuit depuis plusieurs années, lorsque je suis resté en arrêt devant une drôle de salade linguistique :
On comprend que l’ajout du tilde « ñ » vise à hispaniser l’adjectif et à donner au produit un « goût espagnol authentique ». Mais la chose est aussi aberrante que si une marque espagnole lançait une salade au magret et gésiers de canard en l’appelant « Salada françesa ».
Voilà qui nous mène au deuxième exemple, avec le « o barré » qui donne une apparence scandinave aussi bien à une salade qu’à des yaourts :
Or, le mot “fjørd” n’existe ni en danois ni en norvégien (la lettre ø ne fait pas partie de l’alphabet suédois). De plus, il se prononcerait différemment : “fyeurd” au lieu de “fyourd”. En norvégien, « fjord » s’écrit tout simplement… « fjord ». Mais cette simplicité manque d’exotisme pour les adeptes du marketing linguistique. Si l’on inverse de nouveau le point de vue, c’est aussi aberrant que si dans une boulangerie danoise on trouvait des baguettes avec une étiquette bleu-blanc-rouge où il serait inscrit “païn”.
Toujours dans le même ordre d’idée, on peut penser aux « Я » ou « И » que l’on retrouve dans les produits censés « faire russe ». Voyez par exemple l’affiche du film Le Concert :
Or, cette lettre « И » correspond en fait à la lettre « i » dans l’alphabet latin ! Et “concert” en russe s’écrit ainsi : « концерт». Il faudrait mettre plutôt un « H » dans le titre figurant sur l’affiche, ce qui serait juste sur le plan linguistique mais décevant sur le plan visuel. L’erreur volontaire montre bien combien nous sommes ici dans le registre de l’image, et non du sens, et même des stéréotypes activés par la seule vision d’une lettre d’un alphabet étranger. Les tenants du marketing linguistique parient ici sur la méconnaissance de cet alphabet, sans quoi tout le monde percevrait le ridicule du message affiché.
Enfin, si l’on pousse à l’extrême la logique de l’exotisme linguistique, on en vient à dépouiller la langue elle-même de toute signification pour laisser « parler » le visuel des mots étrangers et de leurs sonorités inhabituelles, quitte à ce que ces derniers soient purement inventés dans le but de susciter des images liées à leur lecture et à leur écoute. La démarche a au moins le mérite d’évacuer les laideurs et erreurs signalées précédemment.
C’est celle de Peugeot avec une publicité très originale pour la 308, où les mots inventés font référence à une multitude de langues, et donc de représentations plus ou moins conscientes en chacun de nous:
Vous connaissez d’autres exemples de ce phénomène? Je suis preneur! N’hésitez pas à les partager en commentaire…
Pour prolonger la lecture de cet article, je vous invite à consulter La langue allemande récupérée par les constructeurs automobiles
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Un lecteur me signale l’affiche du film “Mariage à la grecque” où des lettres sigma (équivalentes donc à notre “S”) figurent des “E”:
Voici un autre exemple: