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La langue allemande récupérée par les constructeurs automobiles

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Le handicap de l’histoire

Imaginez que pendant des décennies votre langue ait été associée à la pire tragédie du XXe siècle, au point de susciter dans l’imaginaire collectif international un lien direct entre votre langue et l’horreur absolue. Ajoutons que dans d’innombrables films, le personnage qui parle votre langue est très probablement un nazi, et celui qui a l’accent de votre langue est à coup sûr le méchant, comme Goldfinger joué par Gert Fröbe :

 

La langue allemande a ainsi un sérieux handicap dans sa projection à l’international. Peu parlée et peu apprise en dehors des frontières de l’Allemagne, elle est également peu appréciée pour ses sonorités – un jugement qui ne rend pas justice à la longue et riche tradition du chant classique et de l’opéra en allemand. Un stéréotype négatif est depuis longtemps et pour longtemps attaché à la langue allemande, d’où la difficulté mais aussi la nécessité pour les Allemands de promouvoir leur langue pour mettre à mal ce préjugé.

Ainsi, le gouvernement fédéral a lancé en 2010 une campagne mondiale sous le thème de L’allemand, langue des idées. En 2011, des événements ont été organisés pour valoriser L’allemand, langue de science. Ces efforts visent à influer sur la perception de l’allemand en le rattachant à des idées positives, ainsi que le revendique l’un des objectifs de la campagne de 2010 :

« Inspirer de l’enthousiasme pour la langue allemande auprès de la jeunesse dans le monde tout en ouvrant des portes pour la science, les affaires et la culture allemandes. »

La démarche des constructeurs automobiles

Pour les entreprises allemandes, c’est là un vrai défi dans leur communication à l’international. Or, depuis quelques années, en fait depuis que le gouvernement fédéral s’efforce de positionner l’allemand comme langue des idées et de la science, il y a un secteur d’activité qui a commencé à relever ce défi de manière très intéressante : l’automobile.

L’idée consiste à utiliser les stéréotypes associés à la langue allemande elle-même : difficile, précise, technique, pour en faire une métaphore de la technologie allemande. Ainsi, il est devenu fréquent de voir des publicités en allemand. Par exemple, Audi n’hésite pas à mettre en avant le slogan qui est le sien depuis 1982, en indiquant sa traduction en petits caractères :

Opel fait de même en plaçant le slogan en allemand au-dessus de sa traduction en français :

Quant à Volkswagen, il se limite à l’essentiel, avec un slogan aussi bref que dominateur :

Enfin, Opel Corsa a franchi le pas en 2010 en proposant un clip publicitaire (presque) entièrement en allemand :

 

Ce qui a amené Renault à répliquer par une parodie :

 

Certes, la démarche est amusante mais Renault se positionne ainsi par rapport au concurrent allemand, lequel a été l’initiateur de cette guérilla publicitaire. Du coup, Renault a du mal à sortir du cercle rivalité/parodie dans lequel il est quelque peu enfermé. Voyez la nouvelle publicité parodique de Renault en 2013 :

https://www.youtube.com/watch?v=3Hfvj1SWQEk

 

Des stéréotypes renforcés ?

Les constructeurs allemands ont osé une communication en allemand en s’appuyant sur des stéréotypes culturels associés aux Allemands dont on vante à l’étranger le rigueur et le sérieux. La langue est alors utilisée pour renforcer cette image. Les slogans (Vorsprung durch Technik, Wir leben Autos, Das Autos) sont d’ailleurs eux-mêmes explicites et à faible contexte – reflétant en cela le style de communication allemand, décrit par Edward Hall.

Du signifiant au signifié, le lecteur va droit au but. Dans les idées véhiculées par ces mots très pauvres en suggestion indirecte, nous ne sommes pas là dans le registre de l’implicite ou du fantasmatique. Mais ce sont les mots eux-mêmes, dans leur forme, voire dans leur sonorité, qui suggèrent les idées de sérieux, d’excellence, de qualité. Les mots allemands renvoient au caractère allemand, lequel renvoie au produit allemand.

C’est le même phénomène qui est à l’œuvre par exemple dans le textile, lorsque des jeunes gens de pays non anglophone achètent un pull ou un t-shirt où figurent des mots en anglais, ou lorsque des magasins de pays non francophones choisissent un nom français. La langue est d’abord et avant tout – avant les images par exemples – le moteur du désir, de « l’enthousiasme », pour reprendre l’expression de la campagne allemande de 2010.

Et la langue véhicule une culture, ou plus précisément la représentation d’une culture. C’est sur cette représentation qu’Audi, Opel et Volkswagen ont décidé – de façon concertée ou non – d’agir pour être efficaces dans leur communication à l’international. En ce sens, ils renforcent des stéréotypes culturels, comme c’est généralement le cas avec le marketing (voir sur ce blog L’interculturel pris au piège du marketing).

Enfin, je vous invite à regarder la performance de Rowan Atkinson, lancé dans une interprétation malheureuse de la 9e Symphonie de Beethoven. Si vous tendez l’oreille, vous reconnaîtrez dans le sabir allemand d’Atkinson le slogan d’Audi, Vorsprung durch Technik :

 

* * *

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Quelques suggestions de lecture:

5 Comments

  1. Bonjour Benjamin,

    aujourd’hui vous me semblez exceptionnellement “pécher” par une vision de la chose limitée par des “oeilleres hexagonales”. Je me permets donc de la compléter à la “Carl Zeiss”:

    Premiere remarque:

    Il est exact que l’on constate une baisse constante de l’apprentissage de l’Allemand dans les pays non germanophones. Effectivement, entre 2005 et 2010, l’anglais a dammé le pion à l’allemand dans le ranking des langues étrangères apprises en Russie – Tiens, un grand marché …!

    Mais si le gouvernement fédéral Allemand a lancé la campagne mondiale “Deutsch, Sprache der Ideen” (L’allemand, langue des idées), c’est aussi pour continuer à attirer les “Cerveaux”, ingenieurs, chercheurs et étudiants dont son Industrie a et aura besoin compte tenu du probleme de vieillissement demographique, dont les effets commencent à se faire clairement sentir.

    C’est donc en toute logique économique sous jascente, qu’elle cherche à “influer sur la perception de l’allemand en le rattachant à des idées positives, ainsi que le revendique l’un des objectifs de la campagne de 2010”

    Seconde remarque:

    Vous dites “Peu parlée et peu apprise en dehors des frontières de l’Allemagne” – peut être moins qu’il n’y parait. Je vous livre donc quelques chiffres faciles à vérifier:

    Il y a environ 110 millions de germanophones de par le monde, soit de personnes « sachant lire et écrire le l’allemand » plus encore, dont l’allemand est langue maternelle. Un chiffre relativement appreciable.

    En Allemagne, en Autriche et au Lichtenstein, il s’agit de la langue officielle unique. En Belgique, au Luxembourg, en Suisse, en Italie et au Vatican, l’Allemand est l’une des langues officielles.

    La communauté européenne germanophone et de culture germanique se trouve dans les pays descendant de l’ancien Empire allemand et de l’Empire d’Autriche-Hongrie, et des Flux migratoires, soit les nouveaux Etats membres de l’Union Européenne situés en Europe de l’Est: Pologne, Lituanie, Slovaquie, Tchequie, Hongrie, Roumanie, Croatie… Ajoutez les minorités germanophones présentes pour des raisons historiques dans bien d’autres pays
    comme la Russie, le Kasakhstan, la Namibie, le Brésil…

    Enfin, la Germanophonie surprendra encore avec un cas particulier: le yiddish, langue voisine de l’allemand et parlée par la majorité des juifs ashkénazes. Or, les 9 à 10 Millions d’Ashkénazes constituent la catégorie la plus nombreuse du judaïsme mondial et et les communautés les plus importantes sont historiquement ancrées en Israel et aux Etats Unis d’Amerique du Nord.

    Troisieme remarque:

    Pour aller plus loin encore, je repositionnerais volontier le phénomene publicitaire évoqué dans le contexte historique actuel de l’Allemagne: Ses efforts depuis la Seconde Guerre Mondiale portent leurs fruits économiques, politiques et diplomatiques. Par conséquent, il est temps aussi de délivrer la Langue de Goethe des vicissitudes d’origine autrichienne.

    Quel meilleur profil que celui du partenaire de tandem pouvait y parvenir

    Quatrieme remarque:

    A l’origine, il ne s’agit moins d’une récuperation de la langue allemande par la publicité, que d’une guerilla dans ce contexte entre les agences de publicité McCann pour Opel et Publicis coté Renault.

    En septembre 2010, Opel lançait effrontément en France le spot “Deutsch Qualität” et le slogan « Pas besoin de parler allemand pour comprendre que cette Opel est une vraie voiture allemande ». Un an plus tard, Renault la parodiait par la visite guidée “Teutonitruante” de la Mégane. Cela a duré jusqu’en 2012, et m’avait permis un certain blogsuccess sur Viadeo et Xing

    Vous pouvez en suivre les épisodes ici:
    http://lareclame.fr/renault+parodie+opel

    Herzliche Grüße & Cordi-Allemand,
    Nathalie Laurent

    http://cordi-allemand.fr
    Consulting Franco-Allemand

  2. Benjamin PELLETIER

    Bonjour Nathalie,

    Merci pour toutes ces précisions, notamment sur la germanophonie.

    Il est vrai qu’en indiquant que la langue allemande était peu parlée en dehors des frontières allemandes, je dois dire que j’avais pensé à préciser que le contexte de la crise économique de 2008 a entraîné un vigoureux regain de l’enseignement de l’allemand dans de nombreux pays – phénomène d’ailleurs analysé dans mon article de 2011 L’Europe en crise et la fuite des cerveaux.

    Et puis… j’ai oublié d’ajouter cette précision! Donc merci de me permettre de le faire à présent.

    Dans l’article présent, ce qui m’intéresse, c’est comment la langue est utilisée à des fins de marketing, jouant en cela à la fois sur des stéréotypes mais aussi sur des dimensions culturelles propres à la “communication allemande”.

  3. Benjamin PELLETIER

    Tiens, une curiosité. Un article de ce jour: Un allemand sur trois souffrirait aujourd’hui d’un traumatisme lié à la Seconde guerre mondiale.

    D’où la nécessité de poursuivre le travail de “résilience culturelle”, notamment en ce qui concerne la langue – pour faire écho à la première partie de mon article (écrit hier)…

  4. Il y a quelque chose que vous n’avez pas compris dans la première pub en Allemand d’OPEL, c’est une attaque directe de Renault:
    Elle fait référence au régulateur de vitesse. Il y a quelques années certains automobilistes propriétaire de Renault avaient justifié leurs excès de vitesse par un problème de régulateur. Je vivais à l’époque en Allemagne et l’ensemble de la presse et notamment spécialisée dans l’automobile s’était gaussée de ces histoires et du possible manque de fiabilité des régulateurs de Renault. C’est pour cela que Renault a répliqué aussi vite…

    Quant à la langue allemande, elle n’est enseignée en France que pour ses qualités élitistes, comme dit la prof de ma fille, c’est la voie ROYALE…

  5. Benjamin PELLETIER

    @Sophie – Merci pour ces précieux éléments de contexte!

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