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Des toilettes et des hommes

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Saint Tanguy, bénissez-nous. C’est aujourd’hui la journée mondiale des toilettes. Voilà l’occasion de se soulager de quelques anecdotes et remarques…

Le héros malheureux d’une histoire authentique

Un homme d’affaires coréen en mission de deux jours à Paris.

Le lieu du drame

Une avenue dans le VIIe arrondissement.

L’intrigue

M. Kim (appelons-le ainsi : il y a plus de 10 millions de Kim en Corée du Sud), vient de passer la matinée en réunion pour une négociation importante avec un partenaire français. A midi, le voici en plein Paris, fatigué mais satisfait du devoir accompli. C’est alors que son corps se rappelle à lui. L’envie d’uriner, qu’en homme poli et bienséant il a su refouler durant les trois heures de réunion, se réveille douloureusement.

Tel un naufragé sur son radeau, il scrute l’avenue. Il cherche une indication, un panneau, un signe annonçant la terre promise où se soulager. Mais rien, bernique, que couic, l’horizon est vide et les passants indifférents. Où donc tous ces gens urinent-ils ? Peut-être sont-ils faits différemment ? C’est alors que le miracle se produit. Il aperçoit ceci à une cinquantaine de mètres :


Il se hâte… lentement – tout en se demandant comment fonctionne cet endroit. Mais – second miracle ! – une personne sort à l’instant de la sanisette. N’en pouvant plus… de joie, M. Kim se précipite avant que la porte automatique ne se referme.

Le dénouement

Nous passerons sous silence la scène d’horreur qui a suivi. Signalons seulement que le système autonettoyant des sanisettes est d’une remarquable performance.

Paris, ville propre…

… tellement propre que les Parisiens et les touristes ne font jamais leurs besoins. Si tel était le cas, il serait facile de trouver des toilettes. C’est du moins l’impression que l’on a quand la Ville de Paris affirme fièrement qu’il y a « près de 400 sanisettes » dans la capitale, et c’est pourtant un progrès car il y a quelques années la recherche d’une sanisette s’apparentait à une chasse au trésor. Mais est-ce bien suffisant pour une des villes les plus touristiques au monde ?

Quant au métro… Il compte 300 stations, 1,4 milliard d’usagers par an, plus de 4 millions par jour – et combien de toilettes publiques ? 11 ! Dont 7 dans le réseau RER.

Faut-il voir dans cette indigence une raison économique (pas de budget pour installer des toilettes, qui en plus coûtent cher à entretenir), une discrimination sociale (les toilettes sont fréquentées par des SDF et des drogués, alors ne les multiplions pas), une défiance (le manque de civisme des Français entraîne une dégradation rapide des lieux), une raison culturelle (les toilettes, c’est sale, cela touche aux déchets du corps, tout l’opposé de l’esprit et de l’intellect) ? Voire les quatre à la fois ?

Le regard indiscret de la Commission Européenne

La Commission Européenne a été raillée pour avoir rendu public fin octobre une masse considérable de documents au sujet des toilettes dans les pays membres de l’Union. Vous trouverez ici la totalité des documents et (pdf) le rapport analysant le marché des toilettes et les habitudes des usagers.

Les railleries, notamment du Times, se nourrissaient du contraste entre les enjeux majeurs de la crise économique en Europe et l’intérêt de la Commission pour ce qu’il se passe derrière la porte des toilettes. Mais on aurait tort de prendre le sujet à la légère car il y va de préoccupations environnementales non négligeables quand on considère la gaspillage en eau qu’entraînent des toilettes trop consommatrices en ressources. Par ailleurs, la Commission a pour objectif de mettre en place des normes communes pour les pays membres, ce qui va bouleverser le marché des différents acteurs du secteur.

Pour parvenir à ses fins, la Commission a chargé des experts d’enquêter sur le sujet. Et parmi leurs conclusions, la France apparaît en effet bien en retrait par rapport aux autres grands pays européens en ce qui concerne les toilettes et urinoirs (habitations, écoles, hôpitaux, etc):

  • en Espagne, il y en a 49,2 millions, ce qui représente 1,04 lieu d’aisance par habitant
  • en Allemagne : 77 millions, soit 0,95 par habitant
  • en Italie : 46,5 millions, soit 0,76 par habitant
  • en Grande-Bretagne : 45,3 millions soit 0,75 par habitant
  • en France : 42 millions, soit 0,63 par habitant

Pourquoi ce déficit en France ? Je n’en ai aucune idée. Ce n’est pas une question de cultures « lat(r)ines » : les Espagnols sont mieux équipés. Ce n’est pas une question économique : l’Italie est mieux équipée. Il est possible que ce soit une question de logement : les Britanniques (j’en suis sûr pour avoir consulté récemment des statistiques sur le sujet) et les Espagnols (il me semble) sont plus nombreux que les Français à habiter dans une maison individuelle, d’où un plus grand nombre de toilettes par foyer. Mais si vous avez d’autres éléments d’explication, ils sont bienvenus en commentaire de cette note.

M. Kim retourne à Séoul

Après sa mésaventure parisienne, il n’est pas difficile d’imaginer que M. Kim sera soulagé de rentrer chez lui – et de pouvoir se soulager facilement hors de chez lui. Je fais régulièrement des séjours à Séoul pour des interventions, et je suis chaque fois étonné par l’équipement du métro de Séoul en toilettes publiques et gratuites. D’abord, il faut louer la précision des indications, comme sur cette photo que j’ai prise fin octobre :

 

220 mètres, c’est précis. Mais plus on s’approche et plus les indications gagnent en précision, de telle façon que la part d’incertitude se réduise au maximum pour ceux qui ont des envies pressantes. Voici l’indication suivante que l’on peut trouver dans la station de Gangnam :

59 mètres! Pas 60, mais 59 précisément. Vous admirerez la précision. Le panneau suivant indiquait 17 mètres! Si seulement j’en avais eu la possibilité, j’aurais vérifié l’exactitude de l’information (je n’ai pas pris de photographie car on commençait à regarder bizarrement cet étranger fasciné par les panneaux indiquant les toilettes). Autrement dit, on est autant guidé par la main pour trouver les toilettes à Séoul qu’on est quasiment volontairement égaré à Paris pour faire de même. Dans le premier cas, les toilettes sont montrées, alors que dans le second cas on a l’impression qu’elles sont cachées.

Non seulement les toilettes publiques sont clairement indiquées dans le métro de Séoul, mais en plus elles sont nombreuses. Regardez par exemple le plan d’une seule station, Gangnam, qui comprend trois toilettes publiques, soit presque autant que tout le métro parisien (4 pour le métro, 7 pour le RER) :

N’est-ce pas le rêve de vos vessies et autres ? Mais, à rebours, pouvez-vous imaginer la déconvenue des Coréens qui viennent à Paris ? Eux qui ont une image si positive de Paris et de la France voient leurs illusions s’évanouir dès qu’ils cherchent des toilettes – et il arrive même qu’on regrette parfois de les avoir trouvées… Etrange contraste entre l’image publique de notre pays, entre sa réalité de puissance majeure, entre son niveau de vie développé, et l’archaïsme de ses toilettes. Il paraît qu’on juge d’un restaurant à la qualité de ses toilettes – et d’un pays ?

Pour prolonger cette délicieuse thématique: après les toilettes, penchez-vous sur les poubelles ! Retrouvez sur ce blog mon exploration des poubelles du XVIème

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Quelques suggestions de lecture:

5 Comments

  1. La propreté d’un restaurant s’évalue en prenant en compte, notamment, celle de ses toilettes. Et, un restaurant est un lieu d’accueil, de partage et de satisfaction d’un besoin physiologique tout aussi récurrent.

    Il est vrai que le “retour sur investissement” des toilettes est difficile à calculer. Il y a quelque temps, les évangélisateurs de la nécessité de créer des postes de community managers dans les entreprises utilisaient cet argument, pour arriver sur la conclusion que le risque était de ne pas en avoir (toilettes ou community manager).

    Que ce soit dans un restaurant, pour l’accueil du public dans la rue ou les transports ou pour prendre en compte les discussions sur le web, l’écoute et l’accueil est le fil conducteur. Quel que soit le niveau de besoin concerné dans la pyramide de Maslow, basique ou de socialisation, il s’agit de comprendre l’autre – et quand il s’agit de besoins physiologiques simples, universels il est d’autant plus étonnant que cette démarche ne soit pas faite, comme l’illustre cet article.

  2. on pourrait utilement prévenir proposer à nos partenaires étranger qui nous rendent visite une tournée des grands magasins et des musées, non seulement parce que la plupart d’entre eux aimeraient y faire un tour mais surtout parce que dans ces lieux il y a des toilettes!
    sommes nous encore persuadés que nous, français, nous sommes des “anges”? …à en constater le manque d’installations bien utiles au genre humain.

  3. Benjamin PELLETIER

    Ajoutons aux magasins et musées, les Mc Do et les grands hôtels pour une pause urgente…

  4. CHRETIEN Claire

    Non seulement il n’y a que très peu de toilettes publiques en France (et pas qu’à Paris) mais en plus les rares existantes sont dans un état d’hygiène déplorable! Je suis d’accord que c’est un sujet extrêmement sérieux qui donne une image très intime d’un pays et celle que donne la France est véritablement honteuse! Que ce soit en ville, dans les restaurants, sur les pistes de ski, sans parler du pire du pire: les aires d’autoroutes! Et là encore, impossible d’invoquer la culture méditerranéenne car, pour avoir skié en Italie, je peux attester de la propreté des toilettes qui sont mêmes chauffées! Nous sommes bien au-delà d’une volonté politique mais bien plutôt au niveau du sens civique de tout un chacun: si ce n’est pour l’image que les étrangers en visite dans notre beau pays (tant qu’on ne pousse pas la porte des toilettes!), je ne comprends pas que les utilisateurs (c’est à dire tout le monde) ne le fassent pas pour soi! C’est à se demander ce qu’il en est de l’hygiène des Français chez eux. Pour les étrangers, pas la peine de se demander, c’est clair: les Français sont sales!

  5. Benjamin PELLETIER

    @Claire – La comparaison avec l’Italie est intéressante. S’il y a une telle différence, nous avons réellement un problème avec cette question. Je ne suis pas sûr que ce soit culturel, mais il faut peut-être rapprocher ce problème d’un sérieux manque de civisme en général, et d’une crise de la confiance en particulier. D’un côté, les autorités estiment que la question des toilettes est secondaire car elles ne font pas confiance aux citoyens pour les respecter, d’un autre côté les citoyens se méfient entre eux et renvoient leurs manquements sur les autres.
    C’est juste une hypothèse, mais le sujet me semble de plus en plus intéressant!

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