Plusieurs études viennent d’être publiées sur les moins de trente ans, aussi appelés la génération Y, et leur rapport au travail – l’une par CEGOS et deux par PwC.
Intitulées Les jeunes et le travail (pdf), Millennials at work: Reshaping the workplace et Talent Mobility 2020 (pdf), elles permettent de faire un état des lieux sur les évolutions des pratiques qu’entraîne la montée en puissance de cette génération marquée par la société de l’information, les nouvelles technologies et un goût bien plus prononcé pour le fonctionnement en réseau que pour les organisations pyramidales.
Sur le plan interculturel, ces enquêtes proposent un intéressant comparatif international dont je vais reprendre ci-dessous quatre éléments pour en synthétiser les principaux enseignements.
1. La révolution culturelle du management
Le titre de cette partie peut sembler excessif. Mais il indique une tendance forte de la part des 20-30 ans : les pratiques managériales de leurs aînés ne leur conviennent pas et ils entendent le faire savoir, soit en imposant de nouvelles pratiques, soit en faisant preuve d’infidélité pour rejoindre une entreprise plus conforme à leurs attentes.
Le point positif est que, du fait de leur contact direct et permanent avec les jeunes talents, les DRH comprennent et approuvent ce changement. Voici par ordre d’importance les évolutions que les DRH ont remarqué de la part de ces jeunes et dont ils approuvent massivement l’efficacité (source CEGOS) :
Si l’on résume ces différentes pratiques autour de quelques mots clés, on trouve : travail en équipe et leadership, remise en question et évolution, diversité et facteur humain. Or, ce sont précisément les points faibles du management à la française. Voyez sur ce sujet les articles du blog :
- 5 inquiétantes singularités du management français
- Défaillances managériales des entreprises françaises
- Les difficultés pour développer le leadership en France
- Gestion des risques psychosociaux : la France n’est pas un pays performant
2. La génération Y face aux archaïsmes français
Si la jeune génération est porteuse d’évolutions positives pour des relations au travail plus humaines, moins hiérarchisées et plus collaboratives, encore faut-il qu’elle ait les moyens de les mettre en pratique. Or, l’enquête CEGOS constate un décalage entre la France et les autres pays européens quand il s’agit de confier aux jeunes des fonctions d’encadrement. Voici ce que les 20-30 ans ont répondu à la question Encadrez-vous une ou plusieurs personnes ? Je remets en forme les données de CEGOS pour une meilleure lisibilité:
Qu’il soit bien clair qu’il ne s’agit pas d’avoir une approche démagogique en faisant du « jeunisme », mais l’écart entre la France et, par exemple, l’Allemagne est tout à fait frappant. Il reste un fond archaïque dans l’idée que l’encadrement doit être affaire uniquement de séniorité et d’autorité. L’archaïsme consiste ici à se fermer aux innovations managériales susceptibles d’entraîner une véritable adhésion de la part des employés.
Vineet Nayar, le patron indien de l’entreprise de technologies informatiques HCL, a saisi tout l’intérêt de ces évolutions en mettant en place une vision collégiale du management où, par exemple, chacun peut consulter l’évaluation à 360 degrés de son manager. L’étude PwC cite d’ailleurs Vineet Nayar :
« Avec la génération Y qui arrive aux affaires, les hiérarchies doivent disparaître. La génération Y entend travailler dans des communautés d’intérêt et de passion partagés, et non dans des hiérarchies structurées. Par conséquent, les stratégies de gestion des ressources humaines doivent évoluer pour ressembler plus à Facebook qu’aux structures pyramidales auxquelles nous sommes habitués. »
3. De la flexibilité à la mobilité
Il y a maintenant une quinzaine d’années que le terme de « flexibilité » est devenu à la mode. L’évolution des entreprises et de leur environnement amenait chacun à s’interroger sur sa capacité à évoluer et à suivre ces changements pour le meilleur (acquisition de nouvelles compétences, transversalité des approches et des fonctions) et pour le pire (travail à temps partiel imposé, chômage technique, plan sociaux).
La « mobilité » est désormais à la mode. Elle peut se décliner selon trois modalités : mobilité au sein de l’entreprise (évolution des fonctions et métiers), mobilité d’une entreprise à une autre (changement d’employeur) et mobilité à l’international (expatriation). Ces trois modalités sont en passe de devenir des marqueurs identitaires pour la génération Y. L’idée de ne faire carrière qu’avec un seul employeur ne semble désormais réservée plus qu’aux fonctionnaires:
Outre les 54% de 20-30 ans qui pensent connaître entre 2 et 5 employeurs durant leur carrière, il faut noter que 25% pensent en avoir plus de 6, voire plus de 10. Cette mobilité d’une importante proportion d’employés risque d’être perçue comme infidélité par les entreprises qui n’auront pas intégré la forte demande pour des pratiques managériales moins archaïques. Car ce seront elles qui seront quittées en premier par la génération Y.
4. Un monde d’expatriés
La mobilité, c’est aussi le déracinement volontaire et le désir d’aller travailler dans un autre pays que le pays de naissance. A ce titre, le monde de 2020 s’annonce comme un monde d’expatriés si les jeunes de la génération Y voient leur désir d’expatriation se réaliser.
Voici en effet le pourcentage pour chaque pays de jeunes de moins de 30 ans qui souhaitent travailler hors de leur pays durant leur carrière (je remets en forme les données de PwC pour une meilleure lisibilité) :
Notons bien qu’il s’agit ici de l’expression du désir d’expatriation des jeunes de ces différents pays, et non d’une mesure de l’expatriation actuelle. Néanmoins, ces proportions sont tout à fait impressionnantes, d’autant plus que l’on relève parmi les scores les plus élevés aussi bien les pays émergents que les pays développés. Les motivations au départ sont certainement très différentes, entre la fuite du marasme économique pour les uns, la recherche de carrières accélérées ou bien l’esprit de pionnier et d’aventure pour les autres.
Rien ne dit que ces jeunes pourront réaliser leur désir d’ailleurs. Mais si l’opportunité se présente, ils seront prêts au départ. Voilà qui change tout par rapport à leurs aînés quand ces derniers avaient le même âge. L’idée de l’expatriation est déjà là au moment de finir les études et la préparation au départ se fait longtemps avant sa réalisation. C’est une raison de plus pour estimer que le marché de la formation en management interculturel recèle un potentiel gigantesque.
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Quelques suggestions de lecture:
- Alerte : la formation professionnelle régresse en France
- La séduction infinie – revue de presse
- Aux étudiants en panne d’idées pour leur mémoire en management interculturel
- Gestion des risques interculturels – 6 articles de 2011
- Défaillances managériales des entreprises françaises (2) – Fractures multiples
- Génération émigration – revue de presse
Merci pour l’article Benjamin. Ma petite expérience concernant les RH (personnes ou politiques) françaises me pousse à dire qu’inertie voire sclérose sont les deux tares culturelles de nos entreprises et que l’arrivée des jeunes générations dans ce système pose de nombreux problèmes managériaux, donc de compétitivité des entreprises, etc.
Je m’arrêterai là, préférant porter à l’attention des lecteurs de ton blog sur l’étude de 2011 de l’Institut pour la maîtrise des risques (pdf) concernant les risques nouveaux qui préoccupent les industriels dans les prochaines années.
Parmi ceux-ci, l’étude met en avant les risques liés à des modes inadaptés de management :
“L’évolution des cultures, des modes de vie, des environnements technologiques et des formations des jeunes générations amène dès maintenant à constater des modes de fonctionnements différents de ces générations, tant dans leur implication technique que dans leurs rapports avec les générations précédentes et dans leur attitude vis-à-vis de l’entreprise. Cela peut se traduire par des rejets de procédures ne laissant pas suffisamment d’autonomie, par une attitude vis-à-vis des autres plus axée sur la reconnaissance des compétences que sur le respect hiérarchique et par une confiance limitée en l’entreprise se traduisant par une volonté de changement au gré des opportunités. En même temps, ces nouvelles générations, très à l’aise avec les nouvelles technologies, fonctionnent de façon plus intuitive et sont souvent plus entreprenantes.
Les risques et opportunités qui en résultent ont déjà été constatés dans les générations récemment entrées sur le marché du travail et amènent à être vigilants sur l’impact à attendre des générations en cours de formation quand elles entreront sur ce marché. Les entreprises doivent anticiper et se ‘’repenser’’ pour mieux accueillir ces nouvelles générations et adapter leurs modes de management.”
@Augustin – Merci vivement de rappeler les résultats de cette étude.
Ce complément indispensable à l’article met en évidence la thématique des risques et, pour les entreprises les plus performantes, de la gestion des risques que ce blog essaie de mettre en avant lorsqu’il est question de facteurs humains et culturels.
Au risque d’être désagréable risque et danger ne doivent pas être confondus. Le danger est une réalité objective, le risque a une dimension subjective. Par exemple le vol en avion est un danger le risque lié au vol peut être réduit avec un avion bien conçu, bien entretenu et des pilotes bien formés et entr’ainés. Confondre
c’est prendre le risque d’être inaudible un peu comme les ecolo avec le nucléaire. Le danger est avéré mais les mesures prises tendent a réduire le risque .
Si ce n’est qu’un “risque” d’être désagréable, alors ce n’est pas bien dangereux… 😉
Ceci dit, on retiendra la distinction en question.
Merci pour cet article clair et chiffré.
Ce qui m’a frappé, c’est le très faible pourcentage d’individus de la génération Y en France qui encadrent, autrement dits qui sont managers, par rapport aux autres pays.
La relation à l’autorité est une différence flagrante entre la génération Y et leurs aînés. Et ce n’est pas seulement dû à leur jeune âge. Pour mériter ses galons, plus besoin d’avoir beaucoup d’expérience ou de revendiquer un titre ronflant, il suffit juste de démontrer sa compétence. Les anglo saxons ont bien plus intégrés cela dans leur méthode de management. Et d’après moi c’est une raison pour laquelle on voit bien plus de génération Y aux commandes dans ces pays.
Et sinon le projet du trampoline à Paris, ça a l’air génial ! Ca va vraiment se faire ou c’est juste un délire ?
@Rémi – J’ai mis cette photo que j’ai aussi beaucoup aimée et que j’ai vue dans un article d’un quotidien gratuit la semaine dernière. Ce projet avait gagné un concours d’architecture mais, apparemment, le projet serait abandonnée (trop risqué?).
Voici un article qui risque de demeurer d’actualité encore longtemps ! En France, la prise de conscience “génération Y” est là, à mon avis, mais la volonté de changer les choses, hum ! Entreprises, attention à vos talents ! Le spécimen Y est un citoyen du monde pour qui l’expatriation se vit comme on respire.
@Dominique – Pour ma part, je le constate lors des cours que je donne dans des écoles d’ingénieur. Je n’ai nul besoin de convaincre les étudiants de l’importance des enjeux interculturels: ils sont déjà convaincus.
C’est un gouffre quand on compare leurs réactions à celles de leurs aînés qui sont en responsabilité et qui restent difficiles à convaincre (même s’il ne faut pas voir tout en noir: ceux qui sont sur la “ligne de front” du commerce international et des projets à l’étranger ont également une grande sensibilité à ces questions).