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Gestion des risques psychosociaux : la France n’est pas un pays performant

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Un état des lieux de la gestion des risques psychosociaux

L’Agence européenne pour la sécurité et la santé au travail (OSHA) a réalisé en 2009 une vaste enquête auprès des entreprises sur les risques nouveaux et émergents (ESENER). L’enquête ESENER consiste en près de 36 000 entretiens avec des dirigeants et des représentants de la santé et de la sécurité travaillant dans les secteurs public et privé dans les 27 États membres de l’Union européenne, ainsi qu’en Croatie, en Turquie, en Norvège et en Suisse.

Une attention toute particulière a été portée sur les risques psychosociaux. Ces risques ont la particularité d’être liés à la conception, à l’organisation et à la gestion du travail. En exacerbant ces risques, le contexte de la crise économique met en évidence les défaillances managériales et organisationnelles. Les pays performants pour gérer les risques psychosociaux sont alors ceux qui ont développé depuis de nombreuses années une véritable culture de la sécurité psychosociale.

L’enquête ESENER peut être explorée en ligne en suivant ce lien. Elle comprend de très nombreux volets sur les obstacles et les difficultés pour gérer les risques psychosociaux. En faisant varier les paramètres (taille de l’entreprise, secteur d’activité), on obtient 639 données pour chacun des 31 pays étudiés, ce qui permet une approche comparative d’une très grande richesse.

Or, quand on observe les classements de l’enquête, la position de la France est à la fois singulière et préoccupante :

  • elle ne se trouve jamais en tête sur un seul critère de performance,
  • elle est parmi les derniers pays, sinon le dernier pays, sur certains critères de performance,
  • la comparaison avec l’Allemagne montre que cette dernière n’est pas forcément parmi les pays les plus performants mais qu’elle est toujours un cran au-dessus de la France,
  • enfin, sur de nombreux critères, la France se trouve beaucoup plus proche de l’Estonie que de l’Allemagne en matière de gestion des risques psychosociaux.

J’ai choisi 5 critères pour illustrer cette situation. Pour plus de clarté, j’ai effectué un travail de mise en forme pour faire figurer sur un seul graphique les 31 pays étudiés. Ces graphiques n’épuisent pas les ressources de l’enquête ESENER dans la mesure où vous pouvez faire varier les résultats selon la taille de l’organisation et son secteur d’activité.

1. Le manque de ressources

  • Dans votre établissement, quelles sont les principales difficultés dans le traitement de la santé et de la sécurité? Pour chacun des éléments suivants, pourriez-vous me dire si cela constitue une difficulté importante, une difficulté mineure ou si ce n’est pas du tout une difficulté?

Voici les résultats à la réponse « oui, une difficulté importante » sur le critère « Le manque de ressources, telles que le temps, le personnel ou l’argent » (panel : entreprises de 500 salariés et plus) :

Si le manque de moyens n’explique pas tout, il est néanmoins l’indice d’une prise en compte déficiente, soit parce que l’entreprise n’a pas la maturité suffisante pour consacrer du temps à la gestion des risques psychosociaux, soit parce que la direction ne mobilise pas les ressources humaines nécessaires, soit parce que le budget alloué ne suit pas l’ampleur du chantier.

 2. La relation hiérarchique

  • Plusieurs facteurs peuvent contribuer au stress, à la violence et au harcèlement au travail; ils concernent la façon dont le travail est organisé et sont souvent qualifiés de « risques psychosociaux ». Pourriez-vous me dire si les risques psychosociaux suivants sont une préoccupation dans votre établissement?

Voici les réponses « Oui » au facteur de risques psychosociaux que constituent « les problèmes dans les relations supérieurs-salariés » (panel : entreprises de 500 salariés et plus) :

Le classement de la France se passe de tout commentaire. Nous sommes là au cœur du problème : alors que la gestion de la relation hiérarchique doit permettre à un collectif de travailler ensemble, elle est en France un facteur de dysfonctionnement. Ce constat rejoint les analyses de l’article 5 inquiétantes singularités du management français basé lui aussi sur une étude comparative de l’Union européenne.

3. L’implication des cadres

  • Dans l’ensemble, comment évalueriez-vous le degré d’implication des responsables opérationnels et du personnel d’encadrement dans la gestion de la santé et de la sécurité ? Diriez-vous qu’il est très élevé, plutôt élevé, plutôt faible ou très faible?

Voici les réponses pour le degré d’implication « très élevé » (panel : entreprises de toutes tailles) :

Encore une fois, le classement français est très préoccupant. L’Allemagne est également en bas de tableau mais la différence qui sépare les deux pays n’est pas négligeable (9,46% de réponses pour un degré d’implication très élevé en France, 13,32% en Allemagne). En fait, la France est plus proche de la Lettonie (8,57%) et de l’Estonie (8,53%) que de l’Allemagne.

Nous sommes loin du degré d’implication sur les questions de santé et de sécurité qu’on est en droit d’attendre d’un pays où – par exemple – le nucléaire, l’aéronautique et la chimie sont des industries majeures.

4. L’information sur les risques psychosociaux

  • Informez-vous les salariés à propos des risques psychosociaux et de leur influence sur la santé et la sécurité?

Voici les résultats pour la réponse « Oui » (panel : entreprises de toutes tailles) :

Il y aurait beaucoup à dire sur les raisons culturelles et organisationnelles qui incitent les cadres à ne pas informer les employés sur les risques psychosociaux. Par exemple, on peut citer :

  • l’ignorance : les subordonnés peuvent difficilement être informés si leurs superviseurs ne le sont pas eux-mêmes,
  • la distance hiérarchique : les subordonnés n’ont pas à se soucier de ce qui est du ressort de leurs responsables,
  • la réticence anxieuse : mieux vaut ne pas parler de ces choses-là pour ne pas affoler les salariés,
  • la paresse managériale : si les subordonnés sont informés, ils vont exiger de l’encadrement de s’impliquer et de prendre des mesures pour faire face aux risques psychosociaux,
  • l’indifférence au facteur humain : les risques psychosociaux, ça ne touche que les gens faibles,
  • le manque de moyens et de compétences : difficile d’informer quand on n’en a pas le temps et quand on ne sait pas comment communiquer sur le sujet.

5. Le contrôle par l’inspection du travail

  • Est-ce que l’inspection du travail a visité cet établissement au cours des trois dernières années afin de contrôler les conditions de santé et de sécurité?

Voici les résultats pour la réponse « Oui » (panel : entreprises de 500 salariés et plus) :

La France se classe dernière. En somme, c’est un résultat logique : aux déficiences des entreprises correspondent les déficiences du système de contrôle. Autrement dit, de part et d’autre, ce qui reste encore archaïque en France, c’est tout simplement la reconnaissance des risques psychosociaux. En 2012, nous en sommes encore à une approche professionnelle du facteur humain qui reste balbutiante.

En 2010, le Nouvel Economiste relate une affaire de harcèlement moral lié à l’organisation du travail chez France Telecom. Elle a fini par être transmise à la justice, ce qui « constitue désormais un précédent ». Le journaliste conclut alors son article en notant qu’il s’agit là d’une étape de plus « sur le long chemin de la reconnaissance des risques psychosociaux ». Le chemin est en effet encore long pour que la prise en compte du facteur humain par les organisations soit à la hauteur du rang que revendique la France en Europe et dans le monde.

Note: je remercie Jean-Gabriel Charrier, l’un des animateurs du blog Mentalpilote sur les facteurs humains dans l’aéronautique, de m’avoir orienté vers cette enquête ESENER de l’Union européenne. Mention spéciale également à Cecil Dijoux, rédacteur du blog The Hypertextual, dont l’œil de lynx a repéré l’article du Nouvel Economiste.

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Quelques suggestions de lecture:

6 Comments

  1. Kebaili Charef

    Merci encore une fois pour cette analyse.

    La multiplication des formations à la gestion des risques psycho-sociaux au moins sur l’année 2011 et la forte demande de formateurs pour cette expertise (que j’ai pu constater dans le secteur automobile) corroborent parfaitement les carences expliquées ci-dessus.

    PS : Belle photo, certainement de Mohawk skywalkers…

  2. Benjamin PELLETIER

    @Charef – C’est une photo très célèbre qui date de 1932. Sur sa fiche Wikipedia, il est en effet indiqué que certains ouvriers sont des Mohawk.

  3. Bravo pour cette analyse à laquelle j’adhère parfaitement.
    Attention toutefois à ne pas oublier que les données de l’enquête date de 2009 !!
    Entre 2009 et 2012, il y a bcp d’eau qui a coulé sous les pont. (Rapport Nasse-Legeron, Rapport DAB, Plan Darcos, etc)
    En 2009, je travaillais dans l’un des rares cabinets conseillant déjà en France sur ces RPS.
    2010 et les années suivantes ont vu se créer un véritable marché des RPS.
    Aujourd’hui, il y a pléthore de cabinets de consultants et bcp de direction se tournent régulièrement vers eux (en particulier en contexte de changement ou de réorganisation).
    Il y a fort à parier qu’aujourd’hui, même si tout n’est pas rose, nous avons rattrapé de notre retard de 2009. Nous sommes partis en retard mais avons aussi bénéficié de l’expérience de nos voisins européens ou Québecois dans la prise en charge de ces questions à un niveau corporate !!
    Vivement une nouvelle enquête ESENER pour voir où nous en sommes.
    Benjamin.

  4. Benjamin PELLETIER

    @Benjamin – Merci pour ce rappel des évolutions récentes dans le domaine. Apparemment une prise de conscience a eu lieu. Espérons qu’elle ne s’arrête pas au simple respect d’une contrainte réglementaire mais qu’elle est l’amorce d’une véritable culture de la gestion des risques psychosociaux…

  5. Deux livres à conseiller pour comprendre les risques psychosociaux en France :
    – GOLLAC et VOLKOFF,”Les conditions de travail”, Ed.La Découverte. Sur les conditions de travail vues par un sociologue et un statisticien.
    – BAUGÉ et PIERREJEAN,”Mal-vivre au travail”, Ed.Paulo-Ramand. Sur le stress, le harcèlement au travail, le burn out, les incivilités, les risques suicidaires, etc., et leur prévention quand elle est possible.

  6. Benjamin PELLETIER

    @Jules Ferry – Mes remerciements pour ce partage de références. Il serait également intéressant d’avoir une référence sur une approche comparée des risques psychosociaux en Europe – et ailleurs éventuellement…

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