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L’essor de l’expertise chinoise sur l’Afrique

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De l’influence à l’expertise

Il y a deux ans quasiment jour pour jour, j’ai mis en ligne l’article Soft power chinois en Afrique qui faisait le point sur les multiples actions d’influence culturelle des Chinois sur le continent africain. Ces actions cherchent à renforcer les liens entre Chinois et Africains en suscitant un désir de Chine auprès des Africains et un désir d’Afrique auprès des Chinois. J’attirais alors l’attention sur l’enjeu de la production d’une expertise mutuelle :

« Ces diverses actions visent à combler un déficit d’expertise dans la relation sino-africaine : il s’agit de créer une expertise chinoise sur l’Afrique et africaine sur la Chine. L’enjeu est fondamental pour asseoir la relation : supprimer les intermédiaires, notamment européens et anglo-saxons, et traiter directement, d’égal à égal. »

Ce déficit d’expertise est en cours de résorption. S’étudier, apprendre à se connaître, produire du savoir sur les cultures en interaction, favoriser les échanges intellectuels et développer des compétences interculturelles, telles sont pour les Chinois et les Africains les étapes nouvelles de leurs relations. Nous ne sommes qu’au début de ce processus de compréhension mutuelle mais certains signes montrent qu’il est déjà bien entamé.

L’Africa Center de Shanghai

Le Centre africain de Shanghai ouvrira en septembre prochain. Ce bâtiment abritera les consulats et des bureaux d’entreprises privées de plus de 30 pays africains. A la fois centre diplomatique, d’affaires et culturel, il offrira un guichet unique pour favoriser les échanges entre l’Afrique et la Chine.

Africa Center de Shanghai

Le Centre africain comprendra de nombreuses infrastructures pour l’organisation d’événements d’affaires et internationaux, notamment :

  • un Centre de demandes de visas afin « d’encourager de plus en plus de visiteurs à se rendre en Afrique »
  • un Centre de promotion du commerce et des investissements afin « d’aider les pays africains à attirer des investisseurs chinois »
  • un Centre culturel et artistique afin « de répandre en Chine la brillante culture et l’art diversifié d’Afrique et de développer les échanges culturels entre la Chine et l’Afrique »
  • un Centre de promotion du tourisme afin « de faire du continent africain une importante destination touristique pour le marché chinois »
  • un Centre d’expositions afin « de rapprocher la Chine et l’Afrique et d’aider le peuple chinois à mieux comprendre l’Afrique »

Think tanks et centres de recherche

Development Research Center (DRC)

Le DRC est un organisme de recherche et de conseil placé directement sous l’autorité du Conseil d’Etat de la République Populaire de Chine. Il fait des recommandations au Comité Central et au Conseil d’Etat au sujet de l’économie et du développement social de la Chine. La recherche sur l’Afrique se trouve au sein d’une de ses divisions : l’Institut de Recherche sur le Développement Asie-Afrique.

China Institute of Contemporary International Relations (CICIR)

Le lien web indiqué ci-dessus est la page wikipedia dans la mesure où le lien du CICIR est inaccessible à la date de rédaction de cet article. Généralement, il ne faut pas juger de l’importance de ces organismes en fonction de leur site internet qui est souvent indigent et peu esthétique. Le CICIR est le plus important et le plus ancien organisme de recherche civil sur les études internationales. Il est affilié au ministère de la Sécurité d’Etat et supervisé par le Comité Central. Il est considéré comme le meilleur groupe de réflexion chinois sur la politique étrangère.

Le CICIR emploie 380 personnes dont 150 chercheurs répartis dans 11 instituts dont un institut consacré à l’Asie de l’Ouest et aux études africaines. L’axe principal des recherches sur l’Afrique concerne les questions de politique et de sécurité. Le CICIR organise chaque année des voyages d’étude en Afrique.

Chinese Academy of Social Sciences (CASS)

La CASS est le plus important et le plus prestigieux organisme de recherche académique en Chine. Elle a un statut ministériel et reporte directement au Conseil d’Etat. Au sein de la CASS se trouve un Institut des Etudes sur l’Asie de l’Ouest et sur l’Afrique. Par son ancienneté et son importance, cet institut concentre une grande partie de l’expertise chinoise sur les cultures africaines. La section africaine de cet institut comprend quatre départements qui se répartissent ainsi :

– politiques et économies d’Afrique : mouvements de libération, développement du socialisme, transformation politique et démocratisation, tribalisme et culture politique traditionnelle, développement économique, coopération économique sino-africaine, développement durable des pays africains,

– études internationales : relations inter- et intra-régionales, relations entre grandes puissances et pays africains, intérêts nationaux et politiques des grandes puissances, économies interrégionales, relations sociales et politiques, religions transfrontalières, problèmes ethniques et idéologiques, facteurs de paix et de stabilité,

– études d’Afrique du Sud : focus sur les 14 membres de la Communauté de Développement d’Afrique du Sud (SADC), spécialement leur économie politique, collecte de données sur des pays clés tels que l’Afrique du Sud et le Zimbabwe,

– études culturelles et sociales : focus sur l’histoire, les relations ethniques, la religion, la société et la culture des pays africains.

China Institute of International Studies (CIIS)

Le CIIS est affilié au ministère des Affaires étrangères et s’intéresse uniquement aux questions de politique étrangère. Le CIIS a récemment nommé du personnel à plein temps pour s’occuper des questions africaines. Si la place des études africaines y est plus modeste, il ne faut pas négliger le fait que le CIIS développe une expertise approfondie sur les institutions multilatérales comme les Nations Unies, une expertise utile pour les liens diplomatiques avec les pays africains.

Par ailleurs, les chercheurs du CIIS reçoivent un appui constant des ambassades chinoises dans le monde, d’où un lien unique avec la réalité du terrain. Les diplomates les plus expérimentés rejoignent le CIIS avant de progresser plus en avant dans leur carrière. Cette circulation entre chercheurs du CIIS et diplomates des ambassades assure à cet institut un ancrage permanent dans la réalité et les évolutions du monde.

Hong Kong Institute for the Humanities and the Social Science (HKIHSS)

Le HKIHSS a pour mission de promouvoir une approche multidisciplinaire dans le champ des sciences humaines et sociales et de partager des expériences avec des universitaires du monde entier. Sur l’Afrique, il a un partenariat avec l’université de Yale pour conduire des recherches sur les diasporas chinoises et africaines, sur les modes d’opération des Chinois en Afrique et des Africains en Chine.

Institute of African Studies (Zhejiang Normal University)

Cet institut comprend quatre centres de recherche : le centre des études des relations politiques et internationales africaines, le centre des études des relations économiques africaines, le centre des études sur l’éducation en Afrique et le centre des études sur l’histoire et les cultures d’Afrique.

School of International Relations and Social Sciences (Tongji University)

L’université Tongji a signé un partenariat avec l’ONG britannique Saferworld qui lutte contre la prolifération d’armes dans le monde. Dans ce cadre, elle produit des études consacrées aux transferts d’armes de la Chine vers le continent africain.

International Poverty Reduction Center in China (IPRCC)

L’IPRCC a depuis 2005 un partenariat avec le Programme de Développement des Nations Unies (UNDP). En 2010, l’IPRCC et l’UNDP ont signé un protocole d’accord pour le développement Sud-Sud et pour établir une « Fenêtre Chine-Afrique » dans le cadre de l’UNDP. L’IPRCC produit ainsi des études et documents de travail sur les questions liées au développement de l’Afrique

Forum on China-Africa Cooperation (FOCAC)

Le FOCAC est un sommet triennal qui réunit depuis 2000 les autorités chinoises et la plupart des chefs d’Etat africain. Chaque FOCAC donne lieu à des documents de travail fixant les prochaines orientations de la coopération sino-africaine.

La dernière vaste rencontre culturelle de l’humanité

Cette liste des principaux centres d’étude chinois sur l’Afrique n’est pas exhaustive. En outre, elle devrait être complétée par les centres d’étude africains sur la Chine. Ils sont moins nombreux et dotés de moins de moyens que les centres chinois d’expertise sur l’Afrique mais ils gagnent peu à peu en importance, avec des pays en pointe, notamment l’Afrique du Sud avec le Center for Chinese Studies et le South African Institute of International Affairs, ou le Sénégal avec le Conseil pour le Développement de la Recherche en Sciences Sociales en Afrique.

Pour ce deuxième volet de l’expertise africaine sur la Chine, je renvoie le lecteur à une étude très complète du Social Science Research Council (SSRC) publiée en janvier dernier et sur laquelle je me suis appuyé pour cette synthèse : A Preliminary Mapping of China Africa Knowledge Networks (pdf).

En Occident, ces efforts des Chinois et des Africains pour mieux se connaître passent inaperçus. Nous nous intéressons principalement aux déboires de nos entreprises face à la concurrence chinoise en Afrique. Nous interrogeons la présence chinoise uniquement sous l’angle de la comparaison en nous demandant si les Chinois se comportent sur le continent africain mieux ou moins bien que les Occidentaux. Mais nous ne voyons pas d’autres types d’interaction, au premier rang desquels figurent l’influence culturelle et la production d’expertise sino-africaine.

En effet, nous sommes les témoins passifs de ces balbutiements interculturels entre Chinois et Africains. Or, ces efforts de compréhension mutuelle mériteraient d’être plus mis en lumière car nous assistons en direct à une rencontre culturelle d’une ampleur sans précédent. C’est certainement la dernière fois que deux zones culturelles immenses entrent en contact d’une façon inédite. Il serait dommage de rester ignorant d’un tel événement sous prétexte que ces efforts de compréhension servent une stratégie bien définie et des intérêts spécifiques.

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