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Formation interculturelle à distance : 5 enseignements majeurs pour les entreprises et les formateurs

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Un basculement durable

Le 12 mars dernier, je faisais ma dernière intervention en présentiel. Il s’agissait d’une conférence de deux heures dans l’amphithéâtre d’une banque. Déjà, depuis une semaine, l’ambiance avait changé, l’inquiétude grandissait, les gens avaient en partie cessé de se serrer la main. Le 11 mars, j’avais rendez-vous chez mon assureur qui, à mon étonnement, continuait de faire la bise à ses collègues. Ce 12 mars, la banque avait réservé l’accès à la conférence à une vingtaine de collaborateurs seulement, alors que plus de 80 étaient initialement prévus. Moins de 15 sont finalement venus. Le 17 mars commençait le confinement et, depuis cette date, toutes mes interventions ont eu lieu à distance.

Ce changement radical s’est poursuivi après le déconfinement et il est appelé à durer. Dans l’immédiat, les entreprises avec lesquelles je travaille n’ont pas prévu de session en présentiel en septembre. Octobre et novembre pourraient tout à fait s’inscrire dans la continuité tant l’incertitude est grande en ce qui concerne la situation épidémiologique à l’automne. Faut-il alors imaginer qu’il n’y aura pas non plus de grand retour au monde d’avant cet hiver ? C’est tout à fait possible.

Il n’est donc pas inutile de faire un bilan d’étape de ces trois derniers mois et de tirer quelques enseignements d’une grande diversité d’interventions à distance : ateliers d’1h30 pour des groupes de 12 personnes, conférences pour 80 personnes en entreprise ou pour 110 étudiants, formations sur 3h ou sur des journées de 7h, cours en école de 8h sur une seule journée, etc. Qu’en retenir ? Quels enseignements en tirer à la fois pour les entreprises et pour les formateurs?

1. La formation à distance : une opportunité nouvelle

Tout comme le télétravail s’est imposé à nombre d’entreprises du jour au lendemain, la formation à distance est devenue soudainement une réalité. Ce qui était encore exceptionnel à la mi-mars s’est transformé en normalité avant la fin du mois. Pour certaines entreprises, notamment pour celles qui avaient une grande expérience de la gestion de projet en contexte multiculturel, cette normalisation a été facilitée par leur maturité pré-covid, et elles n’ont eu qu’à accentuer une tendance déjà importante pour elles.

Mais pour d’autres, bien plus nombreuses, le basculement s’est fait avec inquiétude et hésitation. C’est que ces dernières ont pour premiers réflexes:

  1. de concevoir la formation à distance en fonction de la formation en présentiel, autrement dit comme une formation atténuée, amoindrie, dénaturée par rapport au présentiel;
  2. de rester paralysées par les contraintes du distanciel sans parvenir à en percevoir les opportunités.

Or, il faut garder à l’esprit que la formation en présentiel et la formation en distanciel sont deux types de formation spécifiques, chacun avec ses contraintes et opportunités. Ainsi, n’oublions pas que la formation en présentiel comporte elle-même des contraintes non négligeables, comme la présence des participants sur site et leur disponibilité durant tout le temps de formation (ah ces participants qui doivent partir 30mn à 1h avant la fin pour attraper un train…), l’accès à une salle de formation (ah ces salles qu’on a oublié de réserver des semaines ou des mois à l’avance…), des conditions matérielles (espace propice pour faire des sous-groupes, vidéoprojecteur qui fonctionne, accès à internet, etc. – voyez sur ce blog Le bêtisier des formations interculturelles).

Premier enseignement – La formation à distance doit être conçue en tant que telle, avec ses propres contraintes et opportunités, et non pas comme une sous-catégorie de la formation en présentiel.

2. Des formations reformatées pour le distanciel

Si du côté de l’entreprise il y a un effort à produire pour sortir des habitudes de la formation en présentiel, il en va de même pour le formateur. Celui-ci ne peut pas aborder la formation à distance sur le même mode. Or, tout comme l’entreprise, sa réaction première est de supposer qu’à distance il y aura bien moins de participation et d’interaction qu’en présentiel.

Car lui-même a certainement l’habitude de capter les regards, de se mouvoir dans une salle, d’identifier les non-dits et les incompréhensions aux signes discrets du langage corporel, d’avoir recours à du matériel pour des jeux de rôle, de construire et d’animer dans un espace 3D des séquences programmées sur une journée entière, de profiter des pauses café et déjeuner pour tisser des liens et libérer la parole. Face à l’écran de son ordinateur, avec des participants qui parfois ne peuvent activer leur caméra, il se sentira démuni.

Et il le sera s’il ne pense pas sa formation en fonction des contraintes et des opportunités du distanciel. Ainsi, ce n’est pas parce que les participants se trouvent devant un écran qu’ils doivent restés passifs comme s’ils écoutaient un reportage ou un documentaire à la télévision. La formation à distance impose en fait plus de séquences mais plus courtes, moins de contenu mais plus d’interactions, ce qui implique un important travail de préparation. En effet, dans la plupart des cas, raccourcir une activité en la faisant passer de 10 à 3 minutes signifie la recréer, et non pas simplement diminuer sa durée.

Deuxième enseignement – Pour le formateur, le passage du présentiel au distanciel ne consiste pas à raboter ses formations en présentiel mais à les repenser et à les reformater.

3. Quand la participation et l’interactivité sont démultipliées

Les entreprises frileuses pour se lancer dans la formation à distance doivent souvent leur réticence à un excès de communications descendantes et de « formations » magistrales où une figure d’autorité ou un intervenant expert récite ou lit sa présentation à un public passif, dont une grande partie décroche rapidement pour traiter discrètement ses emails ou surfer sur Internet.

Sur le plan méthodologique, la démarche n’est pas différente du présentiel: chaque information nouvelle doit être apportée soit suite à une sollicitation des participants qui partagent une observation ou un retour d’expérience (démarche inductive), soit être formulée, détaillée, exemplifiée par les participants (démarche déductive). Mais en distanciel, le rythme est différent et l’équilibre doit être trouvé en jonglant entre les deux approches pour produire des micro-séquences.

Celles-ci visent à produire des sessions aussi interactives qu’en présentiel, sinon plus dans le cas de groupes très larges. C’est que la contrainte de la distance recèle de nombreuses opportunités. Il faut pour cela tirer parti des outils en ligne : utilisation de la fenêtre de discussion, partage de témoignages à l’oral, travail en sous-groupes, visionnage de vidéos sur Youtube ou ailleurs, recours à des quiz et sondages, élaboration de documents collaboratifs, construction collective d’un plan d’action et d’une conclusion.

Il faut cependant prendre garde à ne pas sombrer dans une sorte d’ivresse technologique et et à ne pas démultiplier les outils au risque d’égarer les participants. La simplicité de l’usage et la choix judicieux des outils doivent prédominer. Voici par exemple une carte Padlet faite en moins d’une minute par des participants indiquant dessus les pays où ils rencontrent le plus de défis interculturels :

Troisième enseignement – La formation à distance ne se déploie efficacement qu’en intégrant les ressources du numérique, ce qui implique un effort de la part du formateur pour sélectionner les plus pertinentes et se former à leur usage.

4. Une opportunité pour diversifier les profils des participants

Lors d’une formation à distance, la contrainte majeure tient justement à la présence de tous les participants. Beaucoup d’entreprises qui demandent des formations interculturelles se disent « trop franco-françaises ». Le formateur se déplace alors et intervient une journée auprès d’une équipe de 15 personnes, toutes françaises. C’est que sur site il y a souvent très peu d’étrangers, voire aucun. Il manque la plupart du temps “le point de vue de l’autre”, ses retours d’expérience, ses questionnements sur sa relation professionnelle avec les collègues français, sa capacité à partager des conseils en matière de communication et coopération pour les Français qui gèrent des projets à l’international ou des équipes basées dans son pays.

La formation à distance est une formidable opportunité de diversifier le public invité à la formation. La contrainte de la présence sur site ayant été éliminée, les entreprises doivent en profiter pour intégrer cette part manquante de trop de formations : les collègues étrangers, dans une démarche de compréhension mutuelle et d’ajustement des pratiques. Si jamais l’outil de communication ne permet pas de faire des sous-groupes, le formateur peut lancer des activités entre les sessions, comme des entretiens mutuels entre Français et étrangers, qui seront ensuite discutés lors de la session suivante.

C’est aussi la possibilité d’inviter aux formations des Français venant de différents sites et de mieux connaître les enjeux, les retours d’expérience et les pratiques de collègues se rencontrant rarement, voire jamais.

Quatrième enseignement – La dimension interculturelle des formations peut être fortement dynamisée par la formation à distance en permettant la rencontre et le dialogue avec des collègues et partenaires qui n’auraient pas pu participer à une formation en présentiel.

5. Une (très) utile montée en compétence

La formation à distance comporte une contrainte parfois difficile à assimiler pour les Français : la nécessité de respecter la parole de l’autre, autrement dit l’impossibilité d’être plusieurs à prendre la parole en même temps. C’est que lorsque quelqu’un prend la parole en présentiel, nous avons tendance à deviner la fin de sa phrase avant qu’elle ne soit terminée et à l’interrompre pour placer une idée qui nous vient soudainement à l’esprit.

Ce style de communication où se succèdent interruptions et improvisations est impossible à reproduire dans une formation à distance où le formateur donne la parole à une seule personne à la fois en lui imposant une durée limitée pour s’exprimer, avant de faire réagir les autres participants via la fenêtre de discussion et de sélectionner une réaction écrite pour donner la parole à son auteur afin d’apporter des compléments.

Pour ceux qui ne sont pas habitués aux formations à distance, ce mode de communication peut se révéler frustrant. Mais il permet justement de faire intervenir tout le monde à tour de rôle et de contrôler ceux qui ont pour habitude de monopoliser la parole en présentiel (l’arme ultime consistant à couper les micros des récalcitrants). Le formateur doit agir ici comme un médiateur, tout en rappelant régulièrement les règles de fonctionnement et de courtoisie pour garantir le bon déroulement de ces échanges très codifiés.

Autre avantage non négligeable : cette prise de parole disciplinée correspond bien mieux aux réunions en présentiel avec des partenaires étrangers qui sont très mal à l’aise avec l’interruption de la parole, par exemple allemands (en langue allemande, les verbes des propositions subordonnées sont à la fin des phrases), coréens (tous les verbes sont à la fin des phrases), scandinaves, britanniques (pour lesquels la prise de parole doit être respectueuse et équitable), etc. 

Cinquième enseignement – La formation à distance permet de réapprendre à s’exprimer et à s’écouter en intégrant des codes différents de communication, ce qui sur le seul plan de son fonctionnement constitue aussi une opportunité pour les participants de développer une discipline qui est en elle-même une compétence interculturelle.

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