De Châteauroux l’Américaine…
Châteauroux a connu son heure de gloire de 1951 à 1967. Plus grande base de l’OTAN en Europe, la ville accueille à cette époque plus de 8 000 soldats américains. L’aéroport de Châteauroux-Centre est alors le CHAD (le Châteauroux Air Depot) et le CHAS (le Châteauroux Air Station). C’est l’époque du lycée international, des boîtes de nuit, des jeeps et des voitures américaines dans les rues, comme le rappelle avec nostalgie le site internet de la mairie de Châteauroux. Ce dernier évoque également « l’engouement » d’alors et parle de « l’euphorie américaine » et même de « la frénésie américaine » qui s’emparent de la ville.
En 1967, l’euphorie prend fin: les Américains quittent Châteauroux. L’armée française installe sur le site militaire les 1 100 soldats du 517e régiment du train. Mais la ville ne retrouvera jamais le dynamisme des années 50 et 60. La population connaît un pic démographique en 1975 avec 53 429 habitants pour ensuite décliner lentement et atteindre 47 559 habitants en 2007. En 2008, la ville est durement touchée par la crise économique. « Depuis, le ciel nous est tombé sur la tête », s’exclame le sénateur-maire, Jean-François Mayet, lors d’une intervention au Sénat.
En effet, comme le rappelle Jean-François Mayet, non seulement Châteauroux doit faire face à la crise économique, mais en plus la ville doit se préparer « au plus grand choc économique de ces 45 dernières années : le départ du 517e régiment du train » prévu pour fin 2011. Avec le départ de 1 000 familles, la ville s’attend à perdre 1 500 emplois. Autrement dit, Châteauroux voit se profiler un marasme économique et social d’une envergure inédite.
…. à Châteauroux la Chinoise
Temps de crise pour les uns, temps d’opportunité pour les autres. En l’occurrence, pour les Chinois. Un projet un peu fou est en train de se concrétiser pour redynamiser la ville. Il consiste à faire venir à Châteauroux des dizaines d’entreprises chinoises (une quarantaine selon France Info, entre 30 et 50 selon Le Monde du 21 mai denier). L’opération vise à créer 4 000 emplois dont 80% seraient promis aux Français.
A cet effet, la mairie a commencé à viabiliser un terrain de 500 hectares, le « Châteauroux Business District ». Il s’agit d’aménager l’ancienne caserne afin de loger plus de 800 cadres chinois. Une SARL a été créée afin de faciliter les échanges, la Société d’exploitation sino-française de la zone de développement économique de Châteauroux. Dans les prochains jours de ce mois de juin, une délégation française se rendra à Pékin pour participer au processus de sélection des premières entreprises candidates.
Châteauroux a tout pour plaire aux Chinois : un aéroport pourvu d’une piste de 3 500 mètres, de vastes terrains, des infrastructures héritées de l’armée, une position centrale en France qui, à l’échelle de la Chine, place Châteauroux en bord de mer (Bordeaux à 282 km) et aux portes de Paris (à 234 km), une tradition d’accueil des étrangers et, bien sûr, des perspectives de développement si négatives qu’elles deviennent des atouts pour négocier avec les Français.
Une opportunité sans risques?
Au fait, d’où vient pareille idée ? Qui en a eu l’initiative? La réponse est donnée par le directeur de l’aéroport de Châteauroux-Centre, Mark Bottemine. En 2007, il s’était alors rendu à Pékin avec le projet de développer le fret. L’aéroport pouvant accueillir des gros porteurs, il voulait obtenir des Chinois un marché pour un 747 par semaine avec 100 tonnes de fret. Mais les discussions ont porté sur tout autre chose : « Nous sommes finalement revenus avec un projet politique du gouvernement central » (Le Monde, 21 mai 2010). Le journaliste du Monde note d’ailleurs que le maire a reçu ce projet « sans avoir rien demandé au départ ».
Voilà qui est très intéressant : l’idée d’implanter des dizaines d’entreprises chinoises en plein cœur du Berry vient donc du gouvernement central de la République populaire de Chine. Mais pourquoi donc ? Certes, les raisons mentionnées ci-dessus (infrastructures, localisation, etc.) donnent déjà des éléments de réponse. Il faudrait ajouter qu’il s’agit certainement d’une volonté de dynamiser et rééquilibrer les échanges entre la France et la Chine. D’autant plus qu’on estime le nombre d’entreprises chinoises présentes en France à une centaine, soit environ 10 000 emplois (à comparer avec le millier d’entreprises françaises en Chine qui emploient 250 000 personnes).
Mais n’y aurait-il pas derrière la raison économique une raison stratégique ? La question mérite d’être posée quand on considère l’activité de ces entreprises chinoises prévues dans le Berry et les quelques indices qui parsèment les comptes-rendus de ce projet.
En effet, ces entreprises chinoises devraient créer à Châteauroux de simples unités d’assemblage. Les pièces détachées restent fabriquées à moindre coût en Chine. Mais alors pourquoi assembler en France des pièces détachées qui pourraient l’être en Chine ? Pour le savoir, il suffit d’écouter la récente interview du maire de Châteauroux à France Info. Je vous transcris le passage en question :
« Certainement que la Chine est arrivée à un moment où elle a besoin de présenter une image plus vertueuse, et le choix qu’ils font, c’est d’européaniser leur production, de peut-être marquer dessus made in Europe ou made in France. »
De son côté, le journaliste du Monde remarque qu’« estampillés “made in Europe” – un label plus rassurant que le “made in China” – les produits finis pourront alors s’envoler pour le monde entier… »
Question, donc :
- Une réflexion a-t-elle été engagée sur les risques en termes de perte de réputation et de crédibilité encourus par le label made in France lorsque certains produits fabriqués à bas coût en Chine et assemblés en France pourront s’en prévaloir pour asseoir leur notoriété et augmenter ainsi leur valeur ajoutée, parfois au détriment des produits français ?
Note: pour prolonger sur l’opportunisme chinois en temps de crise, je vous invite à lire sur ce site une autre étude de cas: Implantation de 2000 entreprises chinoises en Moselle: questions et zones d’ombre, ainsi que l’article Les Grecs parlent-ils chinois?
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Quelques suggestions de lecture:
- Implantation de 2000 entreprises chinoises en Moselle – questions et zones d’ombre
- 2010: une nouvelle année chinoise en Afrique
- Le combat des voraces et des coriaces – revue de presse
- Coups et contrecoups – revue de presse
- Le monde n’est jamais en vacance(s) – revue de presse
- Les Grecs parlent-ils chinois?
Monsieur,
Vous avez su apprécier mes modestes travaux de mémoire sur le recrutement des DSS, et faire partager votre savoir, lors de la formation INHESJ-IERSE ; donc, par la lecture de cet article, je me permet de vous adresser les informations de veille ‘Février 2010’, que j’avais osé soumettre à bon escient à tout les auditeurs de la treizième promotion en IE.
Bien cordialement. Perrot D.
http://www.agglo-chateauroux.fr/index.php?eID=tx_nawsecuredl&u=0&file=uploads/media/JDA7.pdf&t=1280695935&hash=13f72b1f52849358363b99cbe6e7885b
Bonjour, merci pour ce lien qui permet de contextualiser ce dossier des entreprises chinoises à Châteauroux. Il y a quelques jours, le 27 juillet exactement, un article du Parisien a fait le point sur l’avancement de ce projet (Une “silicon valley” chinoise dans le Berry, article payant).
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