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Entreprises et influence culturelle : le cas de Renault

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Ancien siège de Renault - à gauche: oeuvres de Vasarely, à droite: oeuvres de Dubuffet

Pourquoi l’automobile ?

D’une part, l’industrie automobile est emblématique de la société de consommation du XXe siècle. Depuis les méthodes mises en place par Ford pour équiper les foyers américains jusqu’aux campagnes actuelles pour promouvoir la voiture dans un contexte de crise économique et environnementale, cette industrie se trouve au croisement des problématiques signalées dans l’article précédent Entreprises et influence culturelle : les origines.

D’autre part, l’industrie automobile est née quasiment en même temps que l’industrie cinématographique. Louis Renault apparaît déjà au volant de sa voiturette en 1899 dans un film des frères Lumière. La voiture sera plus qu’un accessoire dans de nombreux films. Elle est l’acteur principal de la série de la saga des Coccinelle qui permit à Volkswagen de donner une nouvelle image de cette voiture conçue par le régime hitlérien. Le personnage de James Bond doit beaucoup à sa voiture de sport. Peugeot marque un grand coup avec la série des films Taxi.

Enfin, la voiture est un produit fortement ancré dans la culture nationale des constructeurs. La marque d’une voiture appartient à l’histoire d’un pays et d’une société. Dotée d’une puissante charge émotionnelle, elle incarne sa culture d’origine. Or, dans le contexte de la mondialisation et de la compétition acharnée entre constructeurs, cette dimension nationale doit composer avec les particularités culturelles d’autres nations sans pour autant se renier. C’est toute la difficulté de l’approche interculturelle pour ce marché hautement stratégique.

L’étude de cas présente se situe donc sur deux plans :

  • les actions mises en place en termes d’influence culturelle
  • les mesures destinées à promouvoir le management interculturel

Il ne s’agit pas de faire l’inventaire complet de toutes les actions initiées par Renault mais de se focaliser sur les plus importantes ou les plus récentes.

Rappel historique : l’expérience « Recherches Art et Industrie »

Qui sait encore que Renault a été la première entreprise en France à s’investir fortement dans le mécénat artistique dès le milieu des années soixante? Jusqu’en 1985, année où le programme « Recherches Art et Industrie » a été interrompu pour des raisons économiques, Renault a constitué une importance collection d’art contemporain rassemblée par Claude Renard, cadre de Renault et grand amateur d’art contemporain. Un site internet archive cette expérience originale.

Un sculpteur tel qu’Arman a ainsi été invité à travailler dans l’usine Renault. 21 panneaux sculptés par Dubuffet pour les bureaux de la direction et 29 panneaux peints par Vasarely pour la salle à manger des cadres ont ainsi été intégrés à l’entreprise. Mais bien d’autres artistes ont participé à cette expérience, comme on peut le voir en suivant ce lien. Le grand architecte Oscar Niemeyer avait même été approché pour la construction du nouveau siège de l’entreprise.

En 1985, Renault est en crise. Des sites ferment, les budgets non directement liés à l’activité industrielle sont supprimés par Georges Besse. C’est la fin du programme « Recherches Art et Industrie ». La collection, aujourd’hui conservée par Ann Hindry, ne dispose toujours pas d’un musée accessible au public. Elle est visible lors d’expositions organisées par Renault.

Peut-on réellement parler avec ce programme d’une volonté d’exercer de l’influence culturelle ? Dans un entretien filmé, Catherine Millet, fondatrice de la revue Art Press, raconte qu’elle a plusieurs fois été invitée par Claude Renard pour évoquer l’art contemporain avec les responsables de Renault. Elle confie combien elle a été surprise par l’abîme d’ignorance de cadres ne lui posant de question que sur l’art du… XVIIe siècle.

Malgré tout, Renault s’est fortement investi dans cette action de mécénat. Il est certain qu’une telle implication d’un grand groupe dans une activité qui est fortement éloignée de son cœur de métier et qui est plus que méconnue par ses dirigeants n’est pas due au simple hasard ni à une volonté désintéressée. Le programme a commencé en 1967, au moment même où la société de consommation s’apprête à entrer en crise, rejetée au nom des valeurs culturelles, morales et intellectuelles.

Ainsi, l’art contemporain représentait un formidable compromis entre l’image de modernité, l’approche critique et la rencontre artistique, autant de facteurs en contradiction avec l’ancienneté de l’industrie automobile, le conformisme qu’elle incarne en termes de comportement et la culture d’ingénieurs. Sans jeter le discrédit sur cette expérience inédite pour l’époque et encore inégalée aujourd’hui, ce programme qui a duré près de vingt ans a réellement permis à Renault de s’inscrire dans le paysage culturel, et même dans l’histoire artistique, pour le bénéfice de son image.

Le mécénat de Renault aujourd’hui

La séduction ne passe pas uniquement par le prestige artistique. Alors que le programme « Recherches Art et Industrie » était entièrement tourné vers le siège de l’entreprise par l’intégration de l’art dans ses murs, les actions de mécénat marquent désormais une projection de l’entreprise vers l’extérieur de façon à multiplier sa présence et à conditionner cet environnement à son profit.

En cela, Renault ne se différencie pas des autres grands groupes qui agissent à la façon de micro-Etats : investissements dans l’éducation, la formation, l’humanitaire, la culture, l’environnement, la lutte contre les discriminations, exerçant ainsi un véritable soft power dans les zones stratégiques pour leur image et leur activité (sur cette notion de soft power, voir le début de l’article Soft power chinois en Afrique). Soft power qui porte en l’occurrence un autre nom : le développement durable. Voici quelques actions initiées en la matière par Renault :

  • aides d’urgence : envoi de 50 tonnes de céréales dans le nord du Mali et prise en charge de la cantine d’un orphelinat au Mali pendant 6 mois avec Planète Urgence
  • aides sanitaires : dotation pharmaceutique continue au dispensaire créé par RRG au Sénégal
  • parrainage de 10 projets de création d’entreprise de jeunes en difficulté (avec l’ADIE – Association pour le Droit à l’Initiative Économique)
  • éducation et formation (Aide et Action, Enfants de l’Ovale avec Philippe Sella, joueur de rugby français)
  • missions santé : à Madagascar avec Médecins de l’Océan Indien, au TOGO avec EVADEH et en Mauritanie avec Santé Sud

Il faut également citer les programmes Valued Citizens : cette opération, dont Renault est le partenaire principal, vise à développer une citoyenneté responsable chez les enfants sud-africains, et Women for Education : cette action, initiée par le Women’s Forum et le magazine ELLE, a pour but de promouvoir l’éducation des jeunes filles et la formation des femmes.

La culture et l’interculturel

Alors que le programme « Recherches Art et Industrie » reposait sur l’enthousiasme d’un seul homme, Claude Renard, et sur une approche de la culture au sens de la “grande” culture de la pratique artistique contemporaine, les actions de Renault se concentrent désormais sur la culture au sens d’éducation et de formation via la Fondation Renault. Celle-ci a été créée en 2001 et concentre son action sur la formation d’étudiants étrangers issus d’universités prestigieuses. L’objectif est de favoriser les rencontres entre cultures et de promouvoir le management interculturel.

Les cibles ne sont donc plus les artistes reconnus mais la jeunesse en devenir. Renault se pose en médiateur entre la jeunesse et ses aspirations en termes d’éducation et d’avenir professionnel. Indirectement, le groupe cherche à s’inscrire dans le paysage mental des « managers de demain », comme il est dit sur le site de la Fondation Renault. C’est que Renault est en première ligne dans une guerre mondiale où s’affrontent les grands groupes : la guerre pour les compétences locales.

En effet, le grand défi actuel concerne la possibilité pour les entreprises internationales de trouver et recruter les hommes et femmes qui ont à la fois l’expertise technique requise et la connaissance de leur environnement local. Il est donc fondamental d’anticiper et de créer aujourd’hui des liens précoces et intenses avec ces jeunes gens qui seront la richesse de l’entreprise de demain. Selon le rapport d’activité 2008 de la Fondation Renault (disponible ici en pdf), les partenariats de Renault avec les universités se distribuent ainsi :

En France :

  • Paris Dauphine, Paris 1 Panthéon Sorbonne, HEC, Ecoles ParisTech (Mines, Ponts et Chaussées, Polytechnique, ENSCP, Telecom, etc.), Institut des Hautes Etudes Scientifiques (IHES)

A l’étranger :

  • Brésil : Université de Sao Paulo et Université Technologique Fédérale du Paraná
  • Corée : Université Nationale de Séoul, KAIST et POSTECH
  • Inde : Indian Institute of Technology, Madras (IITM), de Chennai et l’Indian Institute of Management d’Ahmedabad (IIMA)
  • Iran : Université de Téhéran
  • Japon : Université d’Hokkaido, Université de Tohoku, Université de Keio, Université de Sophia, Institut Technologique de Tokyo, Université de Tokyo, Université de Hitotsubashi, Université de Meiji, Université de Waseda, Université de Nagoya, Université de Kyoto, Université d’Osaka et Université de Kyushu
  • Liban : Université Saint-Joseph de Beyrouth
  • Maroc : Ecole Mohammadia d’Ingénieurs (EMI), Ecole Hassania des Travaux Publics (EHTP), Ecole Nationale de l’Industrie Minérale (ENIM)
  • Roumanie : Université Polytechnique de Bucarest
  • Russie : Université Technique de Bauman

Ces partenariats sont très divers : soutiens financier, tutorats, stages en entreprise, participations aux programmes, supervisions de travaux de recherche, remises de prix, échanges d’étudiants, visites et voyages de découverte, animation de réseaux, séminaires, conférences, etc. A noter la création d’une chaire Renault-Polytechnique-HEC « Management multiculturel et performances de l’entreprise » en 2007. Le contenu des enseignements est consultable sur le site de la chaire.

Il est encore trop tôt pour juger de l’efficacité de ces actions. Ce qui est certain, c’est qu’il semble qu’il y ait une réelle prise de conscience de la nécessité de prendre en compte les réalités locales pour adapter la stratégie commerciale et le mode de management. Or, cela n’a pas toujours été le cas. En témoignent les aberrations culturelles de Renault en Inde, voyez sur ce blog l’article Pourquoi Renault a échoué en Inde avec la Logan?

Le programme Very Good Trip

Pour boucler ce panorama consacré aux actions d’influence de Renault, je tiens à revenir sur une thématique abordée dans l’article précédent, à savoir : comment les entreprises utilisent aujourd’hui les ressorts du désir individuel dans leurs campagnes de marketing publicitaire.

A travers le cas de Sony pour promouvoir le Vaio, j’avais analysé comment étaient utilisées les ressources individuelles et la participation effective d’internautes mobilisés en tant qu’« idiots utiles » de la marque japonaise. Renault vient de lancer un programme qui pousse encore plus loin cette logique avec un jeu-programme intitulé Very Good Trip (par allusion au film récent Very Bad Trip).

Ce programme a été lancé début avril. Les internautes ont jusqu’au 14 mai pour participer à un casting en ligne visant à sélectionner huit équipes de deux personnes, chacune ambassadrice d’un pays européen, qui vont sillonner l’Europe pendant quatre semaines (du 14 juin au 9 juillet 2010) à bord de la nouvelle Mégane Coupé-Cabriolet et de la Renault Wind. Les candidats relèveront chaque semaine des défis sportifs et culturels. Les gagnants remporteront les voitures en question.

Voici la présentation de ce programme :

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Or, sur quels critères seront désignés les vainqueurs ? Sur leur capacité à mobiliser le plus grand nombre de soutiens d’internautes via les réseaux sociaux. L’idée consiste donc à faire en sorte que les candidats soient à la fois acteurs et promoteurs du programme Very Good Trip. Le discours officiel de Renault est donc médiatisé par des candidats de la société civile qui mobilisent leurs réseaux personnels et auxquels chacun peut s’identifier.

Comme le Vaio de Sony par rapport au scénario participatif de Malkovich (cf. article précédent), la Mégane de Renault devient le support secondaire d’une histoire vécue par les candidats. Renault ayant une grande expérience de l’industrie cinématographique, il n’est pas surprenant que nous nous trouvions là dans la même configuration que dans le placement d’objets dans le cinéma. A cette différence près que le programme Very Good Trip utilise tous les ressorts de la télé-réalité.

En effet, tout est filmé : l’inscription en ligne où les internautes doivent déposer une vidéo d’une minute présentant le binôme, les entretiens de sélection des binômes, la « cérémonie » de l’annonce finale des candidats sélectionnés, le périple. « Ce jeu sera filmé et fera l’objet de divers programmes visibles sur internet et sur la chaîne RENAULT TV, chaîne auto promotionnelle et à caractère généraliste », précise le règlement.

Or, à chacune de ces étapes, il est également stipulé que les candidats cèdent gratuitement à la société Auditoire leurs droits de représentation et de reproduction de leur vidéo, l’usage et l’exploitation de leur image, de leur voix et de leur nom. Les nouvelles règles qui encadrent les candidats de la télé-réalité s’appliquent aux participants de ce programme : « Les candidats qui auront été sélectionnés pour participer au programme de Jeu Very Good Trip signeront avec la société Auditoire, un contrat de travail de droit français pour leur participation au programme. »

Pour résumer:

  1. Ce programme mobilise la participation de candidats qui vont indirectement promouvoir un nouveau modèle de la Mégane.
  2. Ce programme utilise les ressorts de la télé-réalité qui exacerbe le fantasme d’une célébrité désirée par tous et accessible à chacun.
  3. Les acteurs de ce programme ne sont pas des stars du cinéma ou du sport, mais des « gens », comme vous et moi : ils ne sont pas des médiateurs distants du désir mais des médiateurs proches auxquels chacun peut s’identifier.
  4. Il ne s’agit par d’une course automobile mais d’une course virtuelle : les candidats s’efforçant de mobiliser le maximum d’internautes, ils deviennent les acteurs indirects et bénévoles de la campagne publicitaire.
  5. Le discours corporate s’efface devant le récit individuel destiné à susciter le mimétisme, autrement dit : l’entreprise n’a plus qu’à orienter les idiots utiles qui se seront volontairement unis à elle.
  6. L’aliénation librement consentie par les candidats qui acceptent de céder tous leurs droits à la société de production disparaît derrière l’argumentation mise en avant, notamment dans les premières secondes du clip de présentation ci-dessus : Assoiffé de liberté ? Evadez-vous ! CQFD.

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