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Dangereuses simplifications : Batman à Clichy et clichés dans Le Monde

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Cliché – Expression toute faite devenue banale à force d’être répétée; idée banale généralement exprimée dans des termes stéréotypés. Dictionnaire du CNRTL

Le Batman de Clichy-sous-Bois

Connaissez-vous Bilal Asselah ? Sa famille est d’origine algérienne, il a vingt-deux ans et vit à Clichy-sous-Bois. Bilal est un as du parkour – cette discipline née dans nos banlieues et qui consiste à escalader et franchir le décor urbain. Non, toujours rien ? C’est que vous n’êtes pas un fan de Batman en bande dessinée. Car Bilal Asselah est un personnage de fiction récemment créé par l’américain DC Comics. Et Bilal va connaître un fabuleux destin : être repéré par le célèbre Batman pour rejoindre la Batman INC (pour Incorporated), cette équipe de superhéros recrutés à travers le monde par Batman pour l’épauler dans sa lutte contre le crime.

La Batman INC est une sorte de franchise Batman. Et l’heureux élu en France est donc Bilal Asselah, promu superhéros français par le superhéros américain dans les numéros 12 et 28 de l’Annual Detective Comics:

Bilal a connu les émeutes de 2005 alors qu’il était enfant. Sa mère est une musulmane pratiquante et voilée. On peut d’ailleurs voir le jeune Bilal prier avec sa mère alors que se déchaîne la violence dans les banlieues :

Bilal devient donc Nightrunner, un justicier qui a abandonné les cheveux en bataille et le jogging pour la tenue du Ninja urbain :

Un jeune de banlieue prometteur repéré, recruté et valorisé par les Américains ; une grille de lecture des violences urbaines en France limitée aux considérations ethniques et religieuses ; une vision du monde binaire où les Etats-Unis apparaissent comme une puissance bienfaisante : cela ne vous rappelle rien ? Les lecteurs de ce blog ne seront pas surpris : nous sommes dans le droit fil des précédents articles consacrés aux Banlieues françaises, cibles de l’influence culturelle américaine et à La stratégie américaine pour influencer les minorités en France.

(Par ailleurs, sur les bouleversements qu’ont connus récemment les figures emblématiques de Batman, Superman et Spiderman, voyez Le basculement historique des super-héros américains.)

Le cercle vicieux des clichés

Dans ces deux articles, et à présent avec cette figure du Batman des banlieues, nous voyons les Américains imposer leur propre grille de lecture des questions liées aux banlieues et aux minorités en France qui se limite aux considérations raciales, ethniques et religieuses. Cette interprétation balaie tout contexte historique et essentialise les clichés. Or, orienter le débat sur une réalité, c’est à la fois contrôler et le débat, et la réalité. Il est de toute première instance que ces deux éléments ne nous échappent pas car alors nous aurons affaire à une situation littéralement incontrôlable.

Dans un excellent article publié dans la revue Esprit (L’Europe islamisée : réflexions sur un genre littéraire américain), Justin Vaïsse remarque que, dans les très nombreux ouvrages américains sur « l’islamisation de l’Europe », on aboutit à « une validation tautologique des hypothèses culturalistes » selon lesquelles on ne peut pas être à la fois Européen et musulman.

Ces auteurs opèrent par réduction des phénomènes complexes et par amplification de schémas interprétatifs simplistes (tels que le “choc de civilisation”). Comme le note Justin Vaïsse, « une exagération par-ci, une exagération par-là aboutissent à dresser un tableau qui n’est simplement pas exact, et déforment la réalité des rapports sociaux en France aujourd’hui ». Progressivement, les clichés deviennent des thèses, et les thèses deviennent des objets d’étude engendrant de nouveaux clichés dont la forme désormais savante, sociologique ou statistique, détermine le discours et l’action politiques, désormais démagogiques, qui renforcent les clichés d’origine – cercle vicieux dont l’issue ne peut qu’être violente.

C’est ainsi qu’est évacuée la dimension historique, pourtant fondamentale pour s’approprier une réalité et agir en connaissance de cause. Sans cette dimension, on en vient à estimer que les phénomènes sociaux se répètent à l’identique et qu’un même schéma explicatif peut leur être appliqués indépendamment du contexte particulier. Justin Vaïsse rappelle que l’histoire des pays européens est justement constituée de multiples défis à relever : « les régionalismes et séparatismes, l’intégration des “classes laborieuses, classes dangereuses” dans le jeu démocratique au XIXe siècle, la lutte des classes (pensons au Front populaire), les luttes idéologiques (fascisme, communisme, etc.), les totalitarismes (Italie, Allemagne, guerre d’Espagne…), etc. » A quoi on peut ajouter la séparation de l’Eglise et de l’Etat ou la reconstruction après 1945. L’intégration des populations immigrées récentes relève d’un nouveau défi et il n’y aucune raison pour que les pays européens ne parviennent pas à trouver leurs propres solutions à une situation qui n’est pas si négative qu’elle paraît.

Or, justement, en se focalisant sur les éléments négatifs et les prédictions alarmistes, en oubliant les éléments positifs et les réussites en cours, en évacuant toute dimension historique et tout facteur social, ces auteurs américains essentialisent des différences culturelles, ethniques et religieuses pour en faire des obstacles insurmontables à l’unité nationale en France. Le personnage de Batman des banlieues entre totalement dans ce schéma explicatif réducteur qui accentue les clichés et aggrave les divisions de la société française.

Le Monde des clichés

Il est malheureux que cette grille de lecture réductrice trouve un crédit supplémentaire en étant reprise par le journal Le Monde. C’est là le signe inquiétant d’une contamination générale. Le Monde – et plus précisément sa journaliste spécialiste des religions Stéphanie Le Bars – a une vision des musulmans en France et en Allemagne qui est très proche des clichés de la bande dessinée Batman. (Au passage, c’est à se demander si ce superhéros n’est pas devenu la référence ultime en termes d’analyse, WikiLeaks ayant révélé que, pour les diplomates américains en Russie, le tandem Poutine-Medvedev s’apparentait au tandem Batman-Robin…).

Le mercredi 5 janvier, la version papier du Monde titrait en Une : « L’islam est considéré comme une menace par 40% des Français et des Allemands », ce qui dans la version électronique donnait : « Islam et intégration : le constat d’échec franco-allemand ». Ces articles s’appuient sur un sondage « révélé en exclusivité » par Le Monde. Ah, la douce jouissance d’une révélation exclusive, ah le délicieux frisson de la « menace »… Après des mois de matraquage sur la burqa, puis sur les minarets, sur notre identité nationale en danger, après les dérapages racistes des uns et des autres, après Marine Le Pen et l’occupation de nos rues par les musulmans en prière, demandons à 809 Français, via un questionnaire en ligne :

“Diriez-vous que la présence d’une communauté musulmane en France est :
– Plutôt une menace pour l’identité de notre pays ?
– Plutôt un facteur d’enrichissement culturel pour notre pays ?”

Petite analyse de texte :

« Diriez-vous »: si vous n’êtes pas certain(e) de votre réponse, ce n’est pas grave, ce n’est que du conditionnel, vous ne risquez rien à répondre, lâchez-vous, c’est permis, et puis ce  n’est qu’une parole, un « dire », c’est inoffensif.

« la présence d’une communauté musulmane » : la présence, hein ? vous saisissez les sous-entendus ? les musulmans qu’on voit, ceux qui s’affichent, ceux qui sont trop présents.

« d’une communauté musulmane » : communauté, ça sonne un peu communautarisme, vous voyez ? Ces gens sont toujours ensemble, ils ne se mélangent pas, c’est bien connu.

« en France » : oui, on sait bien, c’est un peu aux gros sabots mais on insiste : on parle de leur présence en France, ils pourraient être ailleurs, mais bon ils sont en France, c’est ainsi, pas le choix.

Alors, on aurait pu simplement demander : « Les musulmans français sont… ? », mais bon, on voulait du lourd, du ressenti, de l’opinion, de quoi faire un gros titre sur la menace de l’islam, ça n’aurait pas aussi bien marché que : « Diriez-vous que la présence d’une communauté musulmane en France est… ? »

« Plutôt une menace » : « plutôt » pour indiquer votre préférence, ce qui veut dire que vous penchez peut-être également pour le deuxième choix, mais vous devez choisir, il le faut, sinon ça fausse la clarté du résultat. Et si on met la “menace” en premier, avant “l’enrichissement culturel”, ce n’est pas parce qu’on a déjà choisi nous-mêmes ni parce qu’on veut vous orienter, c’est juste que la menace, ça sonne mieux.

« pour l’identité de notre pays » : tremblez, l’identité de la France, c’est vous, car la France, c’est « notre » pays, pas le leur, et vous n’êtes pas musulman, je suppose ? La France non plus.

« Plutôt un facteur d’enrichissement culturel » : bon, fallait trouver un truc positif, mais pas trop, histoire de ne pas déséquilibrer notre belle « menace », alors va pour le « facteur d’enrichissement culturel », ça ne mange pas de pain et c’est dans l’air du temps. D’un autre côté, faut dire que c’est assez bien pensé, mettre de l’enrichissement culturel en réponse à une question sur la communauté musulmane, ça peut en décourager certains.

Résultat de ce brillant sondage révélé en exclusivité ? « L’islam est considéré comme une menace par 40% des Français. » L’islam, ah bon ? La journaliste Stéphanie Le Bars ne devait pas avoir en main le même sondage au moment où elle a rédigé son article. On n’ose suspecter une forme de malhonnêteté intellectuelle de sa part. On ose encore moins imaginer qu’elle opère des simplifications à la Batman…

Bon, ne soyons pas de mauvaise humeur, reprenons notre journal, passons la Une et allons à la page 9 où Stéphanie Le Bars commente les résultats du sondage. Parfois en se livrant à d’étranges contorsions :

« L’installation durable de l’islam dans les pays européens et sa visibilité accrue vont clairement de pair avec une crispation des opinions publiques, même si des clivages apparaissent entre jeunes et personnes âgées et entre électeurs de droite et de gauche. »

« Installation durable » ? Voilà une curieuse expression. Pourquoi ajouter l’adjectif “durable” à “installation”? Serait-ce qu’une installation “temporaire” serait souhaitable? Et, d’ailleurs, pourquoi ce terme: “installation”? D’après mon dictionnaire, « installation » s’entend au double sens de s’établir dans un endroit pour l’occuper (par exemple, s’installer dans un appartement) et d’asseoir sa domination dans un pays, ce qui a pour synonyme, selon le dictionnaire, « occupation », d’où la citation de Victor Hugo : « L’installation de la Prusse dans les provinces rhénanes a été le fait capital du congrès de Vienne ». (Hugo, Rhin, 1842, p. 458).

Installation durable, occupation durable ? Voilà qui sonne plutôt mal après les propos de Marine Le Pen sur les prières de rue. Tiens, mais au fait, la version électronique de l’article du Monde est illustrée par… une prière de rue en France. Voilà qui tombe mal…

Dans la phrase citée ci-dessus, Stéphanie Le Bars évoque également la « visibilité accrue » de l’islam: en se basant sur quoi, quels faits, quelles évolutions ? Faut-il parler de visibilité ou de perception accrue ? Car un phénomène dont on ne parle pas, on ne le voit pas, le contraire étant furieusement vrai.

Enfin, Stéphanie Le Bars est très gênée : si, en généralisant ses résultats, le sondage entre dans sa grille de lecture simplificatrice, dans le détail ce n’est pas toujours le cas : « … même si des clivages apparaissent entre jeunes et personnes âgées et entre électeurs de droite et de gauche ». Elle pourrait mentionner par exemple que les jeunes français de 18 à 24 ans sont 37% à considérer la communauté musulmane comme un facteur d’enrichissement culturel contre 28% à la considérer comme une menace. Voilà qui ferait un joli titre au Monde : Musulmans en France : la leçon d’espoir des jeunes Français. Mais, comme les auteurs américains dénoncés par Justin Vaïsse, Stéphanie Le Bars passe sous silence les enseignements positifs du sondage.

Et c’est ainsi que les clichés se renforcent…

Au fait, gros éclat de rire, toujours en page 9 du Monde. Sous l’article de Stéphanie Le Bars se trouve un encadré rédigé par Frédéric Lemaître. Il s’intitule « En Allemagne, la thématique anti-islam fait politiquement recette ». Le journaliste mentionne un autre sondage mené dans cinq pays européens (France, Allemagne, Danemark, Pays-Bas, Portugal) par TNS Emnid.

Et on peut y lire cette information absolument sans intérêt: selon cette étude, 56% des Français ont une opinion positive des musulmans ! Pas de quoi en faire un titre en Une…

* * *

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Quelques suggestions de lecture:

11 Comments

  1. Bonjour,

    Merci pour cette analyse pertinente et sans concession de cette actualité.
    En vous lisant, je n’ai pu m’empêcher d’avoir à l’esprit ce brillant exposé de Chimanda Adichie sur “Le danger d’une histoire unique”.
    Deux aspects de votre analyse résonnent avec la démonstration de C.A: les risques d'”orienter le débat sur une réalité, c’est à la fois contrôler et le débat, et la réalité.” Mais également sur le fait que “progressivement, les clichés deviennent des thèses, dont la forme désormais savante, sociologique ou statistique, détermine le discours et l’action politiques…”

    Ainsi si vous ne l’avez pas encore vu, je vous recommande le lien que voici: : http://www.ted.com/talks/lang/fre_fr/chimamanda_adichie_the_danger_of_a_single_story.html

    Kisoued

  2. Benjamin PELLETIER

    Bonjour kisoued, quant à moi je vous remercie vivement non seulement pour ce retour de lecture mais aussi et surtout pour ce lien: cette conférence TED permet en effet de mettre en évidence l’enjeu fondamental de la maîtrise de la représentation de soi. Pour une culture, il y va de sa dignité, comme le dit Adichie, et par suite de son existence en tant que telle…
    Voilà qui entre également en résonance avec un autre article de ce blog consacré aux représentations imposées par le cinéma: Guerre des mondes, guerre des représentations.

  3. – “Bilal Asseiah est un personnage de fiction récemment créé par l’américain DC Comics” est inexact. On peut difficilement dire d’un super-héros qu’il a été créé “par” D.C. Il est plus juste de dire un personnage “de” D.C. “par” son créateur. La nuance est importante puisque ce personnage a été créé par David Hine, qui est un Anglais. Donc la vision des banlieues françaises ne se situe pas du point de vue des Américains, même si l’on pourrait trouver refuge en ce que David Hine le prolonge, mais européen.
    – Partir de cette bande-dessinée pour parler des clichés est délicat puisque les comics sont pour partie fondés sur les clichés. Lorsqu’ils s’en dégagent avec des oeuvres abouties, ils s’évertuent justement à les battre en brèche en présentant des anti-héros, comme les Watchmens ou Syn City.
    Mon propos n’est pas d’entrer dans le débat sur l’influence, possible ou non, d’une culture américaine sur celle des jeunes de banlieue, sur “La stratégie américaine pour influencer les minorités en France”, ni de disserter sur les mythes et les clichés dans les comics, mais force est de constater que l’argumentation de l’article est amorcée par deux a priori.
    Mettons que l’on partage l’idée que cette bande-dessinée expose une schéma manichéen et réducteur de la situation de la banlieue en France, il n’en demeure pas moins que le seul fait de donner un héros qui puise à la culture propre des banlieues (islam, révolte, parkour…) et selon ses codes sociaux (vêtements sports, importance petit frère…) n’est pas limité à être juste un cas qui “aggrave les divisions de la société française”, mais est aussi de nature à faire entrer dans l’imaginaire collectif, et donc dans la culture, les attributs de ce héros. En somme, à faire exister la banlieue autrement que comme un monde en-dehors, un monde qui ne serait pas de France.
    Post-scriptum :
    – La polémique sur Nightrunner a pris corps à cause de mouvements conservateurs aux Etats-Unis, hostiles à voir un personnage de fiction être à la fois un super-héros et un musulman ;
    – Son identité est Bilal Asselah, (mais peut-être aviez-vous voulu respecter son anonymat en vous trompant dans son orthographe!!!).

  4. Benjamin PELLETIER

    @ M. – merci pour cette lecture attentive et pour la correction du nom de Bilal (modifié sur le champ). Je reprends les éléments principaux de votre commentaire:

    « Bilal Asseiah est un personnage de fiction récemment créé par l’américain DC Comics » est inexact. On peut difficilement dire d’un super-héros qu’il a été créé « par » D.C. Il est plus juste de dire un personnage « de » D.C. « par » son créateur. La nuance est importante puisque ce personnage a été créé par David Hine, qui est un Anglais. Donc la vision des banlieues françaises ne se situe pas du point de vue des Américains, même si l’on pourrait trouver refuge en ce que David Hine le prolonge, mais européen.

    Rendons à Hine ce qui appartient à Hine. Il n’empêche que la création du personnage de Bilal et le scénario de ses aventures n’ont pu se faire sans l’aval de DC Comics. Le fait qu’il soit anglais n’a aucune importance. L’article ne décrit pas les Américains faisant main basse sur la France mais l’influence grandissante d’une grille de lecture américaine de la France. Celle-ci peut-être portée par un créateur anglais de BD mais aussi par un journaliste français du Monde.

    Partir de cette bande-dessinée pour parler des clichés est délicat puisque les comics sont pour partie fondés sur les clichés. Lorsqu’ils s’en dégagent avec des œuvres abouties, ils s’évertuent justement à les battre en brèche en présentant des anti-héros, comme les Watchmens ou Syn City.

    En quoi le fait que les comics soient pour partie fondés sur les clichés empêcherait-il de développer une analyse sur ces mêmes clichés ? Par ailleurs, les anti-héros ne sont pas forcément des anti-clichés. Il y a aussi du cliché dans le non-conformisme. Du coup, je ne vois pas en quoi on ne pourrait par analyser la vision du monde et des hommes dont ces héros sont les supports.

    Mettons que l’on partage l’idée que cette bande-dessinée expose une schéma manichéen et réducteur de la situation de la banlieue en France, il n’en demeure pas moins que le seul fait de donner un héros qui puise à la culture propre des banlieues (islam, révolte, parkour…) et selon ses codes sociaux (vêtements sports, importance petit frère…) n’est pas limité à être juste un cas qui « aggrave les divisions de la société française », mais est aussi de nature à faire entrer dans l’imaginaire collectif, et donc dans la culture, les attributs de ce héros. En somme, à faire exister la banlieue autrement que comme un monde en-dehors, un monde qui ne serait pas de France.

    Nous n’avons pas la même analyse de ce comics car nous divergeons sur les moyens (pour vous : les attributs de la culture populaire des banlieues ; pour moi : les clichés sur les banlieues) et la fin (pour vous : faire entrer ces attributs dans l’imaginaire collectif et dans la culture ; pour moi : diffuser une grille de lecture non-française des problèmes sociaux en France).

    Notez que sur la finalité, nous ne nous situons – ni vous ni moi – dans l’intention : ainsi, je ne pense pas qu’il y ait une intention consciente du créateur de Bilal de populariser la culture des banlieues en France ni de diffuser une grille de lecture américaine de la société française. Mais que Hine soit sensible à un « air du temps » qui conditionne et oriente sa création, c’est indéniable. Pour ma part, je suis sensible à ces petits éléments de l’air du temps qui me semblent nuisibles et que l’on retrouve jusque dans un journal aussi sérieux que Le Monde…

  5. Le parkour, les yamakasi, les acrobates urbains relèvent bien de la culture, cela n’a rien d’un cliché. Figures acrobatiques, vêtements, attitudes, reprises par le cinéma, la bd, les chorégraphies, les arts-martiaux, les attributs du héros ne sont pas à classer dans les images d’Epinal. C’est une amplification, pas une déformation. L’assassinat du petit frère du héros par des assimilés CRS prolonge aussi une réalité, celle des assassinats ou des mutilations d’adolescents par des policiers, au cours de circonstances troubles, par abus de pouvoir ou par incompétence, rarement punis par la Justice, restés souvent à l’état de faits divers, ou mis au grand jour suite à une émeute. Cela est plus de nature à aggraver les divisions de la société française. Vous pouvez taper autant que vous voulez sur un article du Monde, mais ne voir dans cette bande-dessinée que des clichés, qui sous-tendent un conditionnement, est finalement pénible. Vous passez sur la créativité, sur le risque de se rapprocher d’un sujet sensible, sur le fait que cette bande dessinée bouscule les principaux clichés qui minent la réception des banlieues qu’ont les bons français devant TF1 : l’adolescent hors intra-muros d’origine maghrébine est un délinquant en puissance, un sans-culture française ; la solution aux tensions est policière ; et surtout : l’adolescent est coupable car toute situation de révolte est assimilée à de la délinquance. L’histoire de l’alter ego de Batman en est à contre-courant. Oui, l’auteur reprend des images vues maintes fois, comme les émeutes, mais l’intention, loupée ou non, est bel est bien de changer l’angle de vue, ne serait-ce que de voir la banlieue à partir de l’intérieur. Le salut culturel, s’il n’est pas américain comme vous le soutenez, ne viendra en tout cas sûrement pas des médias français (nous sommes semble-t-il d’accord), ni des politiciens français en place, ni de certains bloggeurs (histoire de finir par un tacle du genre banlieusard vengeur).

  6. Benjamin PELLETIER

    @ M. – vos commentaires me font penser que l’article n’a peut-être pas été assez précis sur un point : la question des clichés. Ce ne sont pas les éléments que vous mettez en avant (parkour, etc.) que j’analyse comme étant des clichés mais deux dimensions sous-jacentes :
    – la grille de lecture des banlieues à travers le prisme religieux, racial ou ethnique
    – l’essentialisation des différences culturelles (ainsi que cela apparaît dans le discours que Bruce Wayne tient à Bilal en tête de l’article)
    Ce sont ces éléments-là qui se retrouvent de plus en plus dans le discours politique et dans les médias et que je considère comme de dangereuses simplifications. Et d’après la suite de vos analyses, il me semble que nous nous retrouvons sur ces points.
    Ceci dit sans tacle vengeur de ma part…

  7. J’avais bien compris le fond de votre problématique, mais mon propos est donc que vous ne pouvez focaliser sur ces aspects, sur une poignée de cases, sans tenir compte de l’ensemble, notamment du personnage lui-même. Bilal est musulman, pratiquant, sa mère porte un voile. Voilà un fait, commun désormais en France. Il aurait été subtile de la part de Hine de contourner cela, en présentant un super-héros issu de ce milieu sans cette dimension. Donc l’aspect religieux, communautaire est bien un aspect du héros. Pas le seul. Loin de là. Et d’ailleurs ces dimensions (religieuses, “ethniques”) ne se retrouvent pas dans son costume. Par ailleurs, je ne vois pas le “prisme […] racial” dans ces dessins et bulles. Ensuite ce n’est pas Batman qui s’exprime “My mother said…”. Enfin, la différenciation culturelle affirmée est peut-être prégnante dans cette bande-dessinée, et cela serait précisément la vision communautariste anglaise, et pas américaine, puisqu’il existe aux Etats-Unis une sur-identité, celle d’être Américain, susceptible d’englober le reste. La vision anglaise possède ses avantages et ses inconvénients. Je ne veux pas entrer dans ce débat, n’étant pas assez au fait de ce type d’analyse, et je préfère voir les aspects positifs de cette bd, qui gomment voir rendent intelligente une vision manichéenne, secondaire, discutable, traditionnelle dans les comics, et à mon sens peu significative, et en tout cas qui ne justifie pas de la poser en étendard des raccourcis médiatiques auxquels nous avons constamment droit, d’alimenter par votre modeste article et nos modestes commentaires la polémique que ce nouveau super-héros, réussi, ne mérite pas.

  8. Benjamin PELLETIER

    @ M. – je vous suis également sur ces éléments, attendons donc la traduction en français de ces nouvelles aventures pour voir l’ensemble et quelle en sera leur écho en France – et pour approfondir et affiner les analyses. A suivre donc…

  9. @ M:

    Vous écrivez: L’assassinat du petit frère du héros par des assimilés CRS prolonge aussi une réalité,celle des assassinats ou des mutilations d’adolescents par des policiers, au cours de circonstances troubles, par abus de pouvoir ou par incompétence, rarement punis par la Justice, restés souvent à l’état de faits divers, ou mis au grand jour suite à une émeute.”

    Vous n’exagérez pas un peu là? Je ne suis pas dans le secret des affaires de maltraitances et des violences au cours d’interventions de policiers, mais je crois qu’il ne faut pas exagérer le problème qui est déjà assez grave.

    Les policiers peuvent faire des erreurs, et le problème avec une erreur de police, c’est immédiatement son degré de gravité vu le contexte. Je serais le dernier à défendre les exactions de mauvais policiers mais je crois aussi à la capacité en général des policiers à contenir des violences.

    Pour le reste, je suis à 100% d’accord avec vous sur le traitement fait par TF1 qui ne représente pas la Presse a elle tout seule même si sa part de marché du spectacle de l’information/désinformation est importante.

    Je vais sortir un peu du sujet mais je me demande s’il n’y a pas une société de journaliste comme pour la Presse papier qui décide du bien fondé d’une ligne éditoriale?

    En revanche, je partage à 100 % l’avis de Benjamin sur la tentative d’influence américaine sur les jeunes français issus de l’immigration. Même si au fond, si cela peut faire rêver un enfant en quête d’identité, je dirais pourquoi pas puisque cela permet de concilier une identité hérité de ses parents et des valeurs de justice.

    Ce qui est un peu exagéré aussi, c’est la dimension religieuse qui est plus que surlignée… avec la prière sur le toit. Les mulsulmans n’ont pas assez de lieu de culte, on est tous d’accord, mais ils font comme les autres français qui prient Dieu. Ils le font tranquillement chez eux.

    Et si Batman était mulsulman? après tout pourquoi forcément mettre en avant le religieux? En France, il y a plein de catholiques, il y a peut-être même des super-héros catholiques et on ne les voit pas forcément prier… sur un toit.

    Jean

  10. Je suis un grand fan de Batman mais là… Je boycotte.

  11. Benjamin PELLETIER

    @William – Faites signe si vous avez des échos d’épisodes de Batman en France. Je ne me suis pas tenu au courant de cette actualité depuis un bon bout de temps…

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