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Un stage de culture arabe pour la police nationale

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Un stage interculturel pour la police de Rhône-Alpes

Le 7 mai dernier, la rédaction du Post a mis en ligne un document de la police nationale de Rhône-Alpes-Auvergne. Celui-ci a été transmis à un contributeur du Post par un policier. On apprend ainsi que la Délégation Régionale au Recrutement et à la Formation de la région Sud-Est de la police nationale propose un stage intitulé « Repères pour un comportement adapté vis-à-vis des familles d’origine maghrébine ». Objectif du stage : « Le policier sera capable d’intégrer dans sa pratique professionnelle des repères fondamentaux sur l’immigration et la culture arabe » :

Valérie Robert-Castoldi, commissaire divisionnaire et responsable des formations à la Direction Régionale des Formations de Rhône-Alpes, donne des précisions sur le contenu de ce stage : formation théorique sur l’immigration en France (les différentes vagues d’immigration, les données démographiques), projection du film « Police et religion » où interviennent des représentants des trois grandes religions monothéistes, présentation des pratiques du rite, de la structure familiale, de cas pratiques et d’éléments linguistiques liés à la langue arabe.

Suite à cet article, RMC organise un « débat » entre un représentant du syndicat policier SGP-FO, Nicolas Comte, et un représentant de SOS Racisme, Samuel Thomas :

Tandis que le premier met en avant l’utilité pour les forces de police d’être sensibilisées aux différents courants de l’islam ainsi qu’à ses pratiques, comme le ramadan et le jeûne qui peuvent expliquer le bruit la nuit et les tensions en journée, le second fait part de ses appréhensions concernant la qualité de cette formation sachant que la police a « l’habitude de cultiver des stéréotypes pour ranger les gens dans des catégories et stigmatiser les populations en raison de leur origine ». Ainsi, le représentant de SOS Racisme redoute qu’avec une telle formation « on peut avoir un enchaînement de stéréotypes et de préjugés qui sont enseignés ».

Fausse polémique mais vrai débat

Quelques éléments de commentaires sont nécessaires pour débusquer le vrai débat qui se cache derrière cette fausse polémique.

1) Qu’il s’agisse des commentaires sur le Post, du journaliste de RMC ou même du représentant de SOS Racisme, tous partent du principe que la police, ayant l’habitude de cultiver des stéréotypes, ne saurait sortir de ces stéréotypes. Et, justement, ce stage n’aurait pour but que de reproduire ces stéréotypes en les faisant passer, en quelque sorte, du statut de préjugés naïfs à celui de clichés cultivés.

2) La polémique naît du fait que ce stage présuppose chez une partie de la population une prééminence de la culture arabe sur la culture française. En proposant ce type de stage, la police ne ferait que consolider le soubassement à connotation raciste de la représentation qu’elle se fait des populations de confession musulmane en les renvoyant systématiquement à leur origine culturelle.

La polémique est stérile car elle repose sur un cercle vicieux initié par une représentation communément admise de la police : celle-ci ayant « pour habitude de cultiver des stéréotypes » ne saurait que reproduire ces mêmes stéréotypes. Ce stage, en insistant sur l’importance de la culture musulmane, ne ferait que réactiver les stéréotypes courants à propos de la population musulmane.

Passons à un niveau supérieur d’analyse. Le policier qui a transmis l’information au contributeur du Post l’a accompagnée du commentaire suivant :

« Pourquoi, au-delà du principe évident d’adaptation nécessaire des immigrés à la culture et à la réglementation française, véhiculé par notre ministre de tutelle, c’est finalement aux agents de la force publique d’apprendre à s’adapter à certaines communautés étrangères? »

Cette question est très intéressante pour trois raisons très différentes :

D’abord, parce qu’elle pointe du doigt une contradiction entre le discours gouvernemental dominé ces derniers mois par l’identité nationale, l’intégration et la question de la burqa et la réalité du terrain où l’on voit bien que le contact avec des populations maghrébines des banlieues, mais aussi asiatiques du XIIIe arrondissement de Paris par exemple, nécessite une connaissance des cultures d’origine de ces communautés pour en comprendre certaines pratiques et certains modes de fonctionnement.

Ensuite, elle est révélatrice d’une particularité de la matrice culturelle française qui refuse de voir que, malgré l’universalité de son modèle et de ses valeurs, des différences existent. Ainsi, cette question du policier français aurait-elle par exemple pu être posée par un policier britannique, canadien ou américain ? Assurément pas, elle serait parfaitement incongrue.

Enfin, en tant que formateur en management interculturel dans le contexte des entreprises multinationales, c’est une question qui m’est familière. Combien de fois, en effet, ne m’a-t-on pas objecté lors d’un séminaire : Mais pourquoi faut-il toujours s’adapter à eux, et non pas eux à nous ? Autant dire que la nécessité d’entrer dans le mode de fonctionnement intrinsèque de partenaires et collaborateurs étrangers se heurte de la part des Français à de fortes résistances. Pourquoi ? Car nous n’en avons culturellement pas du tout l’habitude et parce que nous pensons toujours être le meilleur et l’ultime référent auquel les autres devraient toujours s’adapter.

Un stage cohérent pour une société contradictoire ?

Franchissons encore un palier. S’il y a un malaise à propos de ce stage – par ailleurs très demandé par les policiers – c’est qu’il met en évidence les contradictions du modèle français. En effet, qu’un tel stage soit nécessaire, est-ce l’aveu de l’échec du modèle assimilationniste qui n’empêcherait pas les communautarismes ou est-ce l’aveu de notre immaturité culturelle en matière de compréhension des différences ?

Concernant la première question, il faut être d’un grand aveuglement pour ne pas voir que la société française, immigration ou pas, est structurellement communautariste. Il suffit de considérer les arrondissements de Paris pour s’en rendre compte. Je vous renvoie là au plan de la ligne 2 du métro analysée sur ce blog dans l’article Comment portez-vous la cravate ? En outre, quand les mouvements migratoires étaient essentiellement d’origine provinciale dans le sens province/capitale, aucune ville n’était aussi communautaire que Paris avec ces quartiers auvergnat, breton, alsacien, etc. D’où un communautarisme horizontal (juxtaposition de différents groupes d’appartenance culturelle) et vertical (hiérarchisation par l’élitisme de naissance et de fortune).

Concernant la deuxième question relative à notre immaturité culturelle en matière de compréhension des différences, j’emploie le terme « immaturité » au sens propre : nous sommes encore au stade enfantin de l’approche des différences culturelles. Enfantin, c’est-à-dire capricieux et obsessionnel dans la mesure où la culture française est encore dotée d’une universalité idéale couplée à un puissant jugement de valeur culturel (voir ici même l’article Culture du jugement et jugement de la culture).

Or, le fait est que des différences existent au sein de la société française. Il n’est pas imaginable qu’un Algérien, un Sénégalais ou un Chinois se dépouillent de leur culture une fois franchie la frontière ou une fois obtenue la nationalité française. Cela signifie que, sans même parler de pratiques religieuses, le système des représentations et des perceptions, le rapport au temps et à l’espace, le type de sociabilité, la structure familiale, les relations hommes/femmes, l’éducation des enfants, et bien d’autres éléments, continuent d’exercer leur influence. Sur ces différences, il y a un blackout en France.

Dans son livre La dimension cachée consacré aux notions d’espace et de territoire, le grand anthropologue Edward Hall, qui fut l’un des précurseurs des cultural studies aux Etats-Unis, avait remarqué dans les années 60 à propos de la société américaine que « le fait le plus important demeure que nous avons toujours refusé de reconnaître la présence de cultures différentes à l’intérieur de nos frontières nationales ». Il avait notamment étudié l’agencement de l’espace urbain et domestique aux Etats-Unis pour montrer son inadaptation à certaines communautés ethniques et les effets néfastes qu’il produisait en termes de violence sociale.

Sans promouvoir le communautarisme à l’américaine, il faut cependant reconnaître que, suite à l’afflux massif d’immigrés après la Seconde guerre mondiale et au moment des décolonisations, la France a accueilli des populations d’origine culturelle différente en refusant de penser et comprendre ces différences pour les intégrer dans l’espace social. Cet impensé est notre faute originelle dont nous ne cessons de payer les effets, ce que met bien évidence le philosophe et historien Marcel Gauchet dans un entretien consacré à la dépression nationale et intitulé Dialogue de sourds à la française :

“Pour faire évoluer les gens, il faut les prendre comme ils sont, avoir une idée des raisons qui font ce qu’ils sont, et leur tracer un chemin plausible pour leur permettre de changer tout en restant ce qu’ils sont. C’est très exactement le travail que les élites dirigeantes françaises, de droite ou de gauche, ont été incapables de faire, faute de mesurer le hiatus entre l’identité héritée et la nouvelle configuration dans laquelle il s’agissait d’entrer. Le pays a beaucoup changé dans les faits, mais sans que ces changements soient intégrés dans l’identité collective.”

Annexe : l’interculturel appliqué aux armées

Si la police ressent la nécessité de se former aux différences culturelles, l’armée n’est pas en reste. J’ai déjà consacré des articles à l’importance de l’approche interculturelle dans le contexte d’occupation d’un pays (voir le cas de l’occupation du Japon par les Etats-Unis après 1945 dans Quand Obama s’incline…) ou dans l’assistance humanitaire (voir le cas de l’aide au développement en Iran dans La faillite de Roberts : un cas d’école).

Pour avoir négligé cet aspect culturel dans leur occupation de l’Irak, les Américains connaissent de grandes difficultés. Conscients de devoir redresser la barre, ils ont mis à disposition des soldats un guide (assez sommaire) sur la culture arabe. Vous pouvez consulter cette curiosité ici (pdf).

De son côté, la Royal Navy forme ses commandos à la langue et à la culture pachtounes lors d’un stage à temps plein de quarante semaines. Ils apprennent ainsi les valeurs, croyances et perceptions des Afghans. A cela s’ajoute la reconstitution dans la campagne anglaise d’un village afghan. « Cette compréhension et ce comportement respectueux sont vitaux pour de meilleures relations de confiance avec les Afghans. »

N’ayant actuellement pas (assez) d’éléments sur de telles formations pour les soldats français, n’hésitez pas à apporter des précisions en commentaire ou en privé.

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  • Vous pouvez consulter mon profil, la page des formations et des cours et me contacter pour accompagner votre réflexion.

Quelques suggestions de lecture:

2 Comments

  1. He bien, cet article a bien mal vieilli…

  2. Benjamin PELLETIER

    @Thomas Bohm – Depuis 12 ans, il serait surprenant qu’il n’ait pas vieilli!… Mais le sujet de fond reste toujours critique: la difficulté pour l’Etat à intégrer une meilleure compréhension de la complexité culturelle de notre société dans le contexte de l’universalisme.

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