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Reuters, 13/10/09
Clément Dossin
La récente vague de suicides à France Télécom a mis en lumière de manière dramatique les conséquences d’un phénomène longtemps minimisé en France, si ce n’est ignoré: le stress au travail.
Selon plusieurs experts, la France accuse un train de retard dans la prise de conscience, et a fortiori dans les réponses à apporter à cette tendance modélisée sous l’appellation de “risques psychosociaux” en entreprises.
Pour Dominique Huez, médecin du travail et auteur de “Souffrir au travail, comprendre pour agir”, il y a toujours en France “une vraie difficulté à accepter que l’organisation du travail puisse générer des effets délétères pour la santé”.
“Plutôt que de réfléchir à ce qu’il faudrait changer dans les organisations du travail, les responsables d’entreprises cherchent des réponses du côté sanitaire en jouant au ‘Docteur Mabuse'” avec la mise en place de cellules de suivi psychologique ou de numéros verts”, regrette-t-il.
Selon un récent sondage LH2 pour L’Express, 44% des Français disent éprouver un “stress important” ou “très important” dans leur activité professionnelle.
Surcharge de travail, peur de “ne pas y arriver”, manque de reconnaissance, évaluations individualisées, mise en concurrence des salariés, les causes avancées par les experts sont multiples.
Au-delà des difficultés humaines, les conséquences économiques du stress – arrêts de travail, absentéisme, perte de productivité – se chiffrent en millions d’euros.
Selon une étude de l’Institut national de recherche et de sécurité pour la prévention des accidents du travail et des maladies professionnelles (INRS), le coût direct et indirect du stress s’évalue entre 830 et 1.656 millions d’euros par an, soit 10 à 20 % du budget de la branche maladies professionnelles de la Sécurité sociale.
Face à ce constat, le ministre du Travail, Xavier Darcos, a présenté vendredi dernier un plan d’urgence préconisant l’ouverture de négociations sur la prévention du stress dans les 2.500 entreprises françaises de plus de 1.000 salariés.
“POINTE DE L’ICEBERG”
Cette mesure vise en réalité à accélérer l’application d’un accord interprofessionnel sur la question conclu en novembre 2008, qui transpose lui-même des orientations européennes.
A titre comparatif, le Danemark, pays pionnier en la matière comme nombre de ses homologues scandinaves, a étendu depuis 1975 sa législation sur la sécurité et la santé au travail à la problématique du stress en entreprises.
Pour Matthieu Poirot, psychologue spécialiste du stress professionnel, le gouvernement s’empare aujourd’hui de cette question par principe de précaution: “Dès que la société dit ‘aïe, aïe, aïe, attention danger pour la santé’, il y a une réaction politique nécessaire.”
Le retard de la France sur certains de ses voisins européens s’explique notamment, selon lui, par le système désuet de formation des élites.
“La plupart des gens au pouvoir dans notre pays ont été sélectionnés sur des capacités analytiques – via Polytechnique, HEC ou l’Ena – et très peu sur les sciences humaines et psychologiques. Il y a donc une mauvaise perception de ces enjeux-là”, dit-il.
De même, les responsables des ressources humaines sont à son avis insuffisamment formés à l’accompagnement des mutations du travail nécessaire “pour mieux concilier efficacité et bien-être”.
Philippe Douillet, chargé de mission à l’Agence nationale pour l’amélioration des conditions de travail (Anact), un organisme sous la tutelle du ministère du Travail, estime pour sa part que “la France a bien rattrapé son retard”.
“Il y a aujourd’hui un effet d’entraînement et de médiatisation. Comme on en parle partout, il est devenu difficile pour une entreprise de dire: ‘je ne fais rien sur le sujet'”, estime-t-il.
L’Anact, qui joue un rôle consultatif auprès des entreprises en concertation avec la direction et les syndicats, a enregistré en 2008 150 demandes d’intervention portant sur la problématique du stress au travail. “Il y a une vraie mobilisation des entreprises”, juge Philippe Douillet.
Dominique Huez reconnaît que “le patronat français et le gouvernement sont doucement en train de sortir de leur logique de ‘médicaliser pour ne pas penser'”.
Mais, prévient-il, “l’émergence de la visibilité des suicides (chez France Télécom) ne représente que la petite pointe de l’iceberg. Il y a beaucoup d’autres situations tout aussi dramatiques mais moins médiatisées”.
“La société ne peut plus faire l’impasse sur la question de la mort en rapport avec le travail”, juge-t-il. “C’est effrayant.”
Édité par Yves Clarisse
Quelques remarques concernant cet article :
1) Cette soudaine prise de conscience du stress en entreprise est encore une fois symptomatique de l’incapacité – typiquement française ? – à anticiper une crise et de la résignation à ne la traiter la crise qu’une fois qu’elle s’est manifestée.
2) L’article insiste surtout sur le système de formation des élites en France:
– qui est d’une part trop “intellectualisant” au sens où tout ce qui concerne le “facteur humain” n’est pas valorisé – voire déprécié – par le système éducatif,
– qui d’autre part fige les “élites” dans des systèmes de pensée et des catégories peu compatibles avec le changement.
Ainsi, l’universalisme des contenus enseignés rend peu sensible aux particularismes individuels et l’intemporalité des structures et catégories de pensée rend difficile l’adaptation au changement. Donc panique à bord quand il faut gérer le stress des employés qui résulte du croisement du facteur humain individuel avec des mutations liées à l’environnement de travail incomprises et mal accompagnées.
Or, nous retrouvons ces deux aspects dans bien des domaines. En tant qu’ancien étudiant en philosophie, je me souviens très bien en quoi il y avait une vraie répugnance de nombreux étudiants vis-à-vis de l’épistémologie contemporaine qui s’efforce de penser et problématiser les mutations provoquées par la société de l’information, les techno-sciences et la biologie génétique. Cette répugnance trouve son origine dans la résistance de professeurs de philosophie à affronter de telles questions exigant de se frotter au monde contemporain qui ne s’éclaire pas seulement à la bougie de Descartes…
Autre élément : le facteur humain. A trop valoriser le « pur » savoir au détriment de son exercice, à savoir l’enseignement qui est la finalité de leurs études pour la majorité des étudiants, les facultés de philosophie délaissent la pédagogie, souvent méprisée par ailleurs. Les IUFM ont alors la charge de pallier ce manque mais durant tout son cursus l’étudiant n’aura jamais été confronté à la réalité de ce qui l’attend après avoir réussi un concours très exigeant (CAPES ou Agrégation).
3) Dernière remarque pour revenir au sujet principal de l’article. Cette spécificité française n’a pas seulement des effets néfastes en interne sur les employés. Elle en a aussi en externe en affectant d’une part la relation client (voir l’article et les commentaires sur Le CRM à la française, un problème culturel ?) et d’autre part sur la relation avec les étrangers. Rigidité d’esprit et faiblesse de la prise en charge du facteur humain sont des éléments qui plombent souvent les équipes multinationales (par contraste, voir l’approche du marché brésilien par une entreprise coréenne).
Quelques suggestions de lecture:
- Sécurité des données en France: facteur humain et facteur culturel
- Gestion des risques psychosociaux : la France n’est pas un pays performant
- GRI a un an! Index des articles publiés
- Des conflits au travail à géométrie variable
- Les salariés, caméléons au travail – La Tribune
- Entretien: Le Français, homo aculturalis ?
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Formation professionnelle et crise
La situation économique actuelle renforce les tensions et les pressions que subissent les équipes dans les entreprises.
Comment aborder efficacement ces situations et laisser aux collaborateurs des outils utilisables au quotidien ?
Très souvent les formations expliques et décomposent les mécanismes qui sont à l’origine du stress, des conflits, de l’absentéisme.
Il faut aller plus loin si l’on veut que ces formations soient reconnues comme efficaces, c’est-à-dire donner des outils utilisables au jour le jour,
Que chacun puisse s’approprier et surtout éviter les écueils des formations déviant sur le développement personnel.
Pouvoir proposer aussi des formations courtes, car les entreprises ont du mal a dégager leurs collaborateurs .
On peut saluer en la matière l’initiative d’une société qui a avancé dans ce domaine.
D’autres initiatives devraient voir le jour
Je vous conseille de jeter un coup d’œil a leur site qui est assez explicite
http://www.doxygene.com
Francois
Excellentes observations une fois de plus en particulier sur l’absence d’authentique reflexion pratique sur la technologie. la résistance de professeurs de philosophie à s’affronter à de telles questions qui exigent de se frotter au monde contemporain qui ne s’éclaire pas seulement à la bougie de Descartes…. C’est tellement vrai.
Nous ne disposons pas de chercheurs tels que danah boyd ou Chris Locke aux US ou Alexander Bard en Scandinavie. Des gens qui peuvent citer Foucault, Deleuze ou Harendt et hacker leur distrib Linux : cette reflexion qui a le recul intellectuel du chercheur et du sociologue et un evrai vécu technologique fait cruellement défaut.
Le rapport à la technique et technologie est en effet un no man’s land dans notre culture intellectuelle. C’est toute la promesse du “progrès technologique” qui est en question. D’une part, une grande adhésion à ce progrès, un trop grand optimisme et on est classé aussitôt dans les rangs de l’Adversaire (lire le salaud libéral qui va profiter de la technologie pour s’engraisser). L’ouvrage de Gerard Grunberg (en finir avec le pessimisme social) montre celà très bien et souligne l’incapacité d’une reflexion politique des TIC au PS par exemple.
Lorsque l’on entend des Paul Virillio par exemple, on se dit que le chemin va etre long, très long.
Pour conclure, mon sentiment est que le problème principal est un problème de management. On en va pas tourner autour du pot : nous commes tout simplement très mauvais en matière de management.
Je vous invite à aller parcourir ce blog instructif et rigolo à ce sujet : http://www.management-a-la-con.com
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