Cet article a été coécrit avec Héloïse Dufour, docteure en neurobiologie. La Dr. Dufour a travaillé de nombreuses années dans la recherche aux États-Unis. Depuis 2014, elle s’est spécialisée dans l’engagement des chercheurs dans la médiation scientifique. Elle copilote notamment le réseau européen EuroScitizen qui vise à développer la culture scientifique dans la société. Elle dirige en France le Cercle FSER qui a pour vocation de rapprocher la recherche et le grand public.
* * *
Allô, docteur? Êtes-vous médecin?
Si vous attrapez la COVID-19 ou la grippe, vous aurez certainement pour réflexe d’aller consulter votre « docteur ». En entrant dans son cabinet, vous saluerez « Dr » Bidule. Lors de la consultation, vous répondrez à ses questions par oui ou non « docteur ». Quoi de plus habituel? C’est son titre et c’est l’usage.
Mais tous les docteurs ne sont pas médecins. Si vous avez un doctorat en histoire ou en littérature, vous pouvez légitimement porter le titre de docteur. Pourquoi alors ce titre est-il si peu présent dans notre contexte français, allant même souvent jusqu’à l’effacement pour les docteurs de disciplines non médicales? Comment se fait-il qu’il semble évident pour la très grande majorité des Français que la désignation de docteur soit avant tout réservée au médecin?
C’est tellement évident que le Syndicat National des Scientifiques Hospitaliers déplore, dans un rapport de 2012 sur la situation professionnelle des docteurs en sciences travaillant dans les CHU (qui ne sont pas des médecins mais des chercheurs, par exemple en pharmacologie ou épidémiologie), qu’ils se heurtent souvent aux médecins hospitaliers qui voient d’un mauvais œil ces collègues porter le même titre qu’eux, au point que:
Seuls 29% de nos collègues utilisent le titre de Docteur en milieu hospitalier. Parmi eux 10% nous avouent que l’utilisation de ce grade pose problème avec l’encadrement médical du service. L’un de nos adhérents nous confiait dernièrement: « Le titre de Docteur nous a ainsi été retiré des lettres à en-tête du service (…) car il gênait énormément les médecins ». (souce ici, pdf)
Ces médecins un peu trop jaloux de leur titre sont dans l’erreur. En France, peut se prévaloir du titre de docteur tout titulaire d’un doctorat (obtenu à bac +8), quelle que soit la discipline concernée. C’est ce qu’a rappelé la Cour de cassation le 20 janvier 2009 lorsqu’elle a tranché un litige opposant un scientifique titulaire d’un doctorat en physique-chimie à un journaliste, ce dernier lui ayant dénié le titre de docteur parce qu’il n’était pas médecin.
Là-dessus, l’article 78 de la loi du 22 juillet 2013 relative à l’enseignement supérieur et à la recherche est très clair:
Les titulaires d’un doctorat peuvent faire usage du titre de docteur en en mentionnant la spécialité, dans tout emploi et toute circonstance professionnelle qui le justifient.
Et pourtant, l’usage établi est tenace. Ainsi, la corédactrice du présent article, titulaire d’un doctorat en neurobiologie, a eu la désagréable surprise en 2014 de se voir reprocher par un haut responsable de l’Éducation nationale l’utilisation du titre de Docteur (Dr.) dans sa signature d’email au motif que ce titre était “réservé aux médecins”.
De même, lors d’une formation interculturelle, il est demandé aux participants français si certains d’entre eux ont un doctorat. Trois personnes lèvent la main, aucune n’a l’habitude d’indiquer son titre dans sa signature d’email. Pourquoi? “C’est réservé aux médecins”, affirment-ils, et puis, surtout, “ça fait prétentieux”. Mais alors comment perçoivent-ils le fait que leurs partenaires allemands et chinois mentionnent leur titre de Docteur sur les cartes de visite et dans leur signature d’email? “Prétentieux”, encore une fois, voire “arrogant”.
Cet usage exclusif du titre de docteur qui entraîne des incompréhensions sur les pratiques des partenaires étrangers rappelle un passage du Joueur d’échecs de l’autrichien Stefan Zweig. Quand le narrateur s’adresse pour la première fois à Mirko Czentovićn une phrase commence ainsi: “Lorsque j’expliquais au Dr. B…”. Conscients du risque de méprise pour les lecteurs français, les traducteurs se sentent obligés d’ajouter à cet endroit une note de bas de page (Livre de Poche, p.59):
Dans les pays germaniques, l’appellation Doktor est d’usage courant pour quiconque a soutenu une thèse à l’université. Un Herr Doktor est loin d’être toujours un médecin, à la différence du docteur français. C’est pourquoi nous adopterons pour la suite la désignation M.B… (à prononcer monsieur B…).
Une absurde singularité française…
Ce qui pourrait n’être qu’un débat pointilleux sur l’utilisation des titres, voire une simple question d’étiquette, révèle pourtant une différence culturelle majeure avec le reste du monde, aux importantes implications économiques. Pour comprendre la singularité française dans la relation au doctorat et au titre de docteur, il faut revenir à notre système de formation où les grandes écoles sont considérées comme l’aboutissement de la réussite scolaire et le sésame pour l’emploi et le statut social tout au long de la vie.
Or, certains éléments de distinction ne dépassent pas nos frontières. La “grande école” ne parle pas aux étrangers, le doctorat si. Lors d’une formation en Grande-Bretagne dans le secteur de l’armement, les participants britanniques ont avoué leur ignorance quand il leur a été demandé de citer une seule grande école française: ce système leur était entièrement inconnu.
De même, dans le cadre du rapprochement entre deux entreprises française et allemande, une équipe de quatre responsables français se déplace à Hambourg. Lors d’échanges informels, les protagonistes en viennent à échanger sur leurs parcours respectifs, leurs expériences, leurs études. Les Allemands apprennent ainsi que trois des Français sont issus d’une grande école et que le quatrième est titulaire d’un doctorat dans une discipline scientifique.
La suite de l’histoire nous est racontée par ce dernier qui en garde un excellent souvenir:
A partir de ce moment, les Allemands se sont toujours adressés à moi en premier !
A contrario, un Japonais travaillant en France pour une entreprise basée en Haute-Savoie l’avait bien compris. Titulaire d’un doctorat, il avait pour habitude de faire précéder son nom du titre de Dr dans sa signature d’email quand il envoyait un message aux partenaires allemands – “ça marche”, disait-il simplement avec un léger sourire. Et il le retirait quand il communiquait avec les collègues et contacts français.
Ces anecdotes sont révélatrices d’une singularité française qui est à peine croyable quand on l’explique aux étrangers: le doctorat, valorisé au plus haut point dans les autres pays du monde (aux États-Unis, le titre de PhD peut figurer sur la carte bleue; en Allemagne, le titre de Dr se trouve sur la carte d’identité), est en France peu considéré, voire même mal vu, à tel point que des employés de grands groupes français ont confié en formation interculturelle avoir dissimulé dans leur CV la détention d’un doctorat au moment de leur recrutement.
Crainte de passer pour de doux rêveurs déconnectés des réalités, crainte aussi de ne pas entrer dans les grilles d’évaluation de recruteurs ignorants les compétences des docteurs et plus sensibles aux profils issus des grandes écoles (dont ils sont eux-mêmes souvent issus), conscience également que bien des entreprises sont très en retard dans la reconnaissance des docteurs, comme le rappelle le rapport de 2012 d’Adoc Talent Management “Compétences et employabilité des docteurs” (voir ici, pdf):
En France, la connaissance du marché de l’emploi présente deux difficultés pour les docteurs. La première est que la quasi-totalité des conventions collectives ne reconnaissent pas le doctorat. De ce fait, le doctorat est rarement demandé dans les offres d’emploi, même si le poste peut s’adresser à ce type de profil. (p.13 du rapport)
Autrement dit, ce qui est un point fort dans tous les autres pays du monde peut en France se renverser en point faible. Voyez ainsi le témoignage de Claire Guichet, doctorante, membre du CESE, lors des Rencontres Universités Entreprises (RUE), des 20 et 21 mars 2014 sur le thème L’insertion des docteurs: quelle mise en œuvre de la loi?:
“Dans certaines branches, faire un doctorat après un master universitaire vous met plus en danger pour votre insertion professionnelle. C’est-à-dire qu’avec vos trois années d’études [de doctorat], vous risquez de vous trouver plus en difficulté que vos copains qui se sont arrêtés au bac+5 avec le même master. (…) Pourquoi on aurait plus de mal à insérer quelqu’un qui a juste fait plus que le reste de sa promotion?” (transcription des propos de Mme Guichet)
… aggravée par une méconnaissance des compétences des docteurs
Telle une culture lointaine et ignorée dont on n’a d’autres perceptions que stéréotypées, le doctorat est vu en France surtout comme un diplôme ultra-spécialisé, et donc ultra-spécialisant : on ne perçoit que le sujet de recherche extrêmement pointu, auquel se consacrent des Professeurs Tournesol sans lien avec le monde “réel”. Ce qu’on ne voit pas, par ignorance du monde de la recherche et de ce qu’implique le doctorat au quotidien, c’est l’ensemble des compétences complexes acquises et mises en œuvre par le chercheur, lesquelles sont immédiatement opérationnelles pour un recruteur.
Parmi celles-ci, nous pouvons mentionner:
- ouverture d’esprit, autonomie, rigueur, créativité, persévérance,
- communication écrite et orale,
- facultés d’adaptation,
- recherche d’information, gestion de données, veille,
- gestion de projet, planification des tâches, gestion du temps et des délais,
- humilité et capacité à se remettre en question,
- utilisation de l’anglais,
- gestion des problématiques complexes, élaboration de solutions,
- développement et entretien d’un réseau,
- recherche de financement,
- management de l’innovation.
Il y a là un vivier largement sous-exploité en France. Certains acteurs économiques ne s’y trompent pas quand ils mettent en place une politique active de recrutement de docteurs. Le cabinet de conseil Boston Consulting Group en est un des pionniers en France, comme l’explique un article du 2014. Des acteurs étrangers savent ainsi s’émanciper des absurdes a priori français concernant les docteurs:
Cette position marginale des docteurs dans le secteur du conseil en stratégie parisien vient d’un paradoxe bien connu du système éducatif français. Dans les économies matures les plus dynamiques, États-Unis et Allemagne en particulier, le PhD (dénomination courante du doctorat dans les pays anglo-saxons) est un diplôme très prisé par les recruteurs, les grands groupes de conseil en stratégie ne faisant pas exception, avec environ 10-15 % de PhD parmi les consultants du BCG ou de McKinsey. (source ici)
Face à cette approche pragmatique, l’incompréhension des Français reste malheureusement immense. Ainsi, lors de la table ronde Rencontres Universités Entreprises mentionnée précédemment, Jean-Michel Catin, directeur de rédaction d’AEF Info, rappelle que Serge Villepelet, directeur de PWC France, issu lui-même de l’ESSEC, lui a un jour confié son étonnement en apprenant que le directeur britannique de PWC monde était quant à lui docteur en études byzantines. “Mais j’ai appris plein de choses!” a-t-il répondu au Français qui s’étonnait qu’il puisse diriger un cabinet de conseil.
Si vous connaissez un docteur français qui ne travaille plus dans la recherche académique, il aura certainement rencontré bien des personnes qui auront eu cette réaction typiquement française mais tellement incongrue aux yeux des étrangers:
Mais à quoi ta formation de docteur peut bien te servir dans ton métier?
Un facteur d’affaiblissement à l’international
Sur le plan national, le secteur privé tout comme le secteur public pâtissent de la sous-valorisation des docteurs en dehors du secteur de la recherche: ce sont des compétences précieuses qui ne trouvent pas à s’exercer. Un article du Monde rappelait en 2013 que la France se distingue des autres pays de l’OCDE par son très faible nombre de docteurs dans la fonction publique : “à peine 300 l’intègrent, sur les 13 000 diplômés, par an, et moins de 2% des cadres du public sont titulaires d’un doctorat, contre 35 % aux Etats-Unis ou en Allemagne.”
Cet article faisait le point sur les enjeux d’une bataille aussi feutrée que furieuse qui avait alors lieu afin de permettre aux docteurs d’accéder au concours interne de l’ENA. Malgré une opposition puissante de cette dernière, ce droit leur a été acquis avec la loi du 22 juillet 2013 relative à l’enseignement supérieur et à la recherche. Celle-ci est l’aboutissement de débats intenses qui ont notamment permis de mettre en lumière l’absurdité d’un pays où “les docteurs ne trouvent pas leur place dans la société”, selon les mots de la députée Marie-Françoise Bechtel.
Or, à l’international, il en va tout autrement. Dans le reste du monde, le doctorat constitue souvent la voie obligée pour accéder des fonctions à responsabilité. Être issu d’une école, aussi grande soit-elle, sera de peu de poids si on n’a pas complété ce parcours par un doctorat. C’est ce que certains énarques hauts fonctionnaires français ont découvert lorsqu’ils ont postulé à des postes au sein de la Commission européenne et qu’ils ont été recalés parce qu’ils n’avaient pas le diplôme requis.
C’est bien ce que déplore en mars 2018 le directeur de l’ENA d’alors, Patrick Gérard, lors d’une émission sur la réforme de cette école (source ici, intervention à 2’20):
Sur des très hautes fonctions européennes, de l’OCDE ou l’UNESCO, on voit que de très hauts fonctionnaires français qui sont avancés dans leur carrière, n’arrivent pas à décrocher ces postes parce qu’ils sont en concurrence avec des hauts fonctionnaires étrangers qui eux sont titulaires du doctorat.
Quelques suggestions de lecture:
- De l’influence des mythes sur la pratique des affaires : le point de vue d’un Indien
- Paris : l’imaginaire japonais et la réalité
- Conférence – La dimension stratégique des enjeux interculturels
- Interview sur France 24: Coca-Cola, le global et le local
- L’absurde lucidité de certaines entreprises sur leurs défaillances interculturelles
- L’interculturel à travers l’histoire : 5 articles à lire à la plage ou… au bureau
S’agirait-il tout simplement de l’acme de la souffrance indicible des diplômés des Grandes Ecoles qui ne disposent d’aucun titre reconnu sur le plan international ? 😉
… et que l’on a cessé de nous envier depuis bien longtemps.
Bonjour et merci pour l’article,
Quelques initiatives pour faire évoluer tout ça : https://twitter.com/TheMeta_News & https://twitter.com/FranceDoctorat et bien d’autres évidemment…
A.R.
@A.R – Merci pour ces utiles compléments!
@Candide – C’est surtout que chaque contexte doit prendre en compte ses points forts et points faibles, notamment à l’international. Mais des évolutions (lentes, certes) sont en cours…
Merci pour cette article opportun. Comme vous le dite “à peine 300 l’intègrent, sur les 13 000 diplômés, par an, et moins de 2% des cadres du public sont titulaires d’un doctorat, contre 35 % aux Etats-Unis ou en Allemagne.” Résultat… meme pas de vaccin contre le Covid produit dans le pays de “Pasteur” .
Lors de mon doctorat, j’ai travaillé quelques années dans une des plus grosses boites de consulting, et je me rappelle bien que mon manager une fois m’a fait un reproche en me disant que sa boite c’était pas un labo… Je pense qu’il y a effectivement une incompréhension des habilités des doctorants et pas mal de clichés associés au fait d’avoir fait un doctorat, et le double système de l’éducation supérieur en France a beaucoup a voir là-dessous
Merci beaucoup pour cet article. C’est tout à fait vrai que non seulement exclure mais aussi ne pas valoriser une tranche importante de la force intellectuelle d’un pays risque de jouer des tours en termes de compétitivité et d’innovation. Heureusement, des mesures ont été initiées sur les créneaux justement de la R&I (recherche et innovation) par des financements et facilitations fiscales (CIR, CII,…) pour intégrer les docteurs dans le secteur industriel. Aussi, à travers la mise en place et l’accroissement des partenariats publics-privés via les pôles de compétitivité et clusters ou centre R&D axés sur l’innovation technologique. Il existe aussi des possibilités de valoriser le statut des docteurs entre autres via les aides à la création d’entreprises innovantes avec des leviers financiers européens. Mais malgré cela, il faut reconnaître l’ayant vécu moi même on s’excuse presque d’être docteur et il est préférable presque de l’occulter en industrie car peut paraître en décalage ou dérangeant sur certains postes. Comme évoqué à juste titre dans l’article le phénomène est culturel. L’idéal est de créer une réelle réconciliation entre les différents courants de formation médecins versus docteurs universitaires et les profils d’ingénieurs de grandes écoles …en tous cas en parler permet d’en prendre conscience et de travailler sur le changement des mentalités notamment avec l’ensemble des sphères impliquées dans le recrutement et l’intégration des Phd dans les équipes en industrie.
@Nassima Houyou – Merci pour cet attentif retour de lecture et ces utiles compléments!
Ces curiosités franco-françaises ont des explications historiques lointaines. Au-delà des doctorats, c’est la relation entre le Pouvoir et l’Université qui est en cause en France depuis Colbert au moins. Avec des collègues d’une vingtaine de pays nous publions (en anglais) des études sur l’évolution des doctorats dans le monde. Un premier ouvrage a paru en 2021 sur la supervision des docteurs et un autre paraitra début 2023. J’y ai mentionné cette particularité nationale.
Ancien président d’une association européennes de programme doctoraux et acteur d’autres institutions académiques internationales, je pourrais raconter des anecdotes similaires à celles du texte sur l’usage du titre de docteur selon différents pays. Le paradoxe est qu’en France, les seul professionnels auxquels on dit “docteur” sont précisément ceux qui ne le sont pas (aux termes de l’arrêté de 2016 qui régit tous les “doctorats” publics) . Ils ne le sont pas non plus dans la plupart des pays européens. Dans les grandes entreprises allemandes, le “plafond de verre” vers le comité de direction générale est difficilement franchi sans ce titre (d’où parfois un trafic comme l’avait révélé un scandale ancien d’un ministre l’ayant indument reçu). Au contraire en France alors que je dirigeais l’école doctorale de mon université j’ai entendu dans les années 2000 un grand chef d’entreprise, ingénieur d’une prestigieuse grande école, proclamer publiquement qu’un ingénieur avec un doctorat représentait pour l’entreprise une “valeur retranchée » !
Les chose évoluent sous la pression conjuguée de plusieurs facteurs : la raréfaction des débouchés dans les université française, la faiblesse des rémunérations, la concurrence mondiale en matière de formation doctorale qui détourne les bons étudiants d’Afrique et d’Asie vers la Chine, l’Inde (ou l’on fait d’excellents doctorats) ou l’Australie, alors que la progression des doctorats français est plutôt régie par une « politique de l’offre » dans plusieurs disciplines : les recrutements de maîtres de conférences de professeurs sont en effet de plus en plus marqués par un « localisme » tendance accentuée par la Covid et il est pour nombre d’universitaires de superviser des doctorants pour gravir les échelons locaux. De surcroit, la lourdeur administrative de la gestion des laboratoires conduit les chercheurs seniors à s’entourer d’un volant de doctorants et de post-docs pour faire tourner la recherche et publier, sans trop se soucier de ce qu’ils feront lorsque un seul d’entre eux accédera au seul poste mis au concours à la prochaine campagne . La question du devenir des docteurs hors de l’université est devenue cruciale depuis quelques années dans certaines écoles doctorales.
Complément à mon commentaire précédent
Aux USA, les universités embauchent des PhD pour la recherche et l’enseignement, les MD (medical doctors) n’y ont pas directement accès car la plupart du temps ils n’ont qu’un master. Cela n’empêche pas ces MD d’avoir un bien plus grand prestige auprès de la population (il suffit de regarder les séries TV américaines) que les détenteurs de PhD qui sont pourtant toujours désignés respectueusement par leur titre dans leurs universités mais aussi chez leur banquier, leur coiffeur ou au commissariat de police, tout comme aux comptoirs de réception des hôtels et des aéroports.
@Pierre Batteau – Merci pour ce commentaire détaillé qui n’est pas à « valeur retranchée »!
Depuis 1980 les étudiants et étudiantes en pharmacie passent une thèse ( dite « en vue du diplôme d’Etat de docteur en pharmacie) pour pouvoir exercer leur profession.
A l’époque réaction forte des organisations professionnelles médicales mais aussi des hôpitaux.Par exemple aux Hospices Civils de Lyon la Direction des Affaires Médicales était plus que distance pour celles et ceux parmi les diplômés en pharmacie qui mettaient docteur, y compris pour celles et ceux qui avaient aussi un doctorat d’université
Merci pour cet article fort intéressant. Moi je suis ressortissant d’un pays francophone d’Afrique subsaharienne. J’ai fait une thèse de science dans une grande université parisienne.
Malheureusement, dans nos pays francophones où nous avons hérité des tares coloniales, cette situation est encore pire. Fort heureusement, les lignes commencent à bouger car beaucoup se tournent maintenant vers les universités anglo-saxonnes pour faire faire leur PhD.
Merci pour cet article et les nombreux commentaires forts intéressants associés!
Je fais partie de ces docteurs dont on souhaite taire le statut mais je résiste et considère que c’est un acquis après un difficile labeur – il apparaît dans ma signature de mail. Pour avoir travaillé au Royaume-uni, il est vrai que le titre a plus de valeur et ouvre plus de portes qu’en France, c’est bien malheureux.
Comme indiqué dans l’article, les écoles d’ingénieurs n’ont pas d’équivalents en dehors de nos frontières, il leur est ainsi compliqué de postuler à l’étranger pour des postes à hautes responsabilités…pas grave, adaptons notre système éducatif en leur permettant de faire un doctorat, qu’ils revendiqueront à l’étranger et tairons en France.
A quand une véritable reconnaissance d’une filière choisie : aller à l’université pour faire des études longues dans un domaine différent de la médecine. A quand des concours dans la fonction publique, en dehors des domaines de l’enseignement et de la recherche, ouverts aux docteurs uniquement? Bref, à quand une reconnaissance de l’investissement de toute une société…car oui former des docteurs, ça a un coût! Ces forces vives qui finissent pas s’expatrier faute de trouver un emploi à la hauteur de leurs compétences en France, eh bien elles n’oeuvrent plus pour le bien commun! Comme cité dans les commentaires, pas de vaccins français pour la Covid !
@M.F – Très forte expression que vous utilisez “ces docteurs dont on souhaite taire le statut” mais apparemment révélatrice d’une situation problématique. Merci pour votre témoignage!
Bonjour,
détentrice d’un doctorat en histoire de l’art et archéologie, je retrouve dans votre article et les différents commentaires tout ce que j’ai pu vivre. J’en étais arrivée à taire mon diplome ayant eu à subir les jalousies et mesquineries de certains supérieurs. N’étant pas de caractère rebelle, j’ai réagi par petites touches, comme l’insertion subreptice de mon titre dans ma signature mail ou le refus d’appeler “docteur” les médecins que je consulte. Après tout puisque je n’y ai pas droit, pourquoi eux. C’est une réaction à la négative, en attendant que la moutarde me monte suffisamment au nez pour faire l’inverse, exiger que l’on m’appelle avec mon titre… C’est dans le quotidien cependant que peu à peu nous pourrons faire avancer les choses. Dès que l’occasion se présente, j’explique à mes interlocuteurs ce qu’est un doctorat et je vois bien que leur regard change alors.
Merci à vous et aux personnes qui ont laissé des commentaires des plus pertinents. Mention spéciale pour la liste des compétences. Si vous le permettez, j’aimerais m’en inspirer pour mes prochaines recherches d’emploi.
Bien cordialement.
@Cécile Carrier – Merci pour votre retour de lecture et d’expérience! Vous pouvez bien sûr vous en inspirer, nous avons tout intérêt à partager le plus possible ces enjeux essentiels!
Même si le diplôme est bien mieux reconnus en France, le titre d’ingénieur est lui aussi très dévalorisé. Alors qu’aux USA il n’est pas rare d’accoler le “Ing.” à son nom de la même manière qu’un “PhD”, en France cette pratique n’a pas cours.
Le titre d’ingénieur est même “usurpé” par un usage sans retenue. On le retrouve aussi bien dans des écoles de commerce où l’ingénierie ne figure pas au programme mais qui nous servent tout de même des “ingénieurs commerciaux” (je parle bien de jeunes diplômés d’écoles de commerce, pas d’ingénieurs ayant bifurqué vers un poste commercial), ou comme appellation pour la catégorie A de la fonction publique alors même qu’aucun diplôme ne vient la sanctionner.
Certes le cas des docteurs est à mes yeux encore plus problématique, mais avec cet autre exemple cela ne figurerait-il pas d’une tendance générale en France à invisibiliser toute forme de titre et de distinction du reste de la population moins diplômée ?
Bonjour,
merci de votre réponse, j’en ferai bon usage…
Pour répondre à David, oui on a l’impression qu’il est honteux d’avoir un diplôme universitaire, une formation spécifique comme l’ingénieurie etc. alors qu’il s’agit d’un apport qualitatif au monde du travail. Pourquoi ne serions-nous pas reconnus autant qu’un boulanger, un charcutier… qui peuvent afficher leur diplome dans leur boutique ? Gardons courage et claivoyance pour l’avenir !
Merci beaucoup à tout le monde pour ces commentaires et retours d’expérience. Il y a également en France une dimension qui mérite d’être soulignée et qui contribuerait à la sous valorisation du doctorat: les conditions dans Lesquelles il est fait. Le mandarinat qui prévaut encore malheureusement dans nombre d’universités et de disciplines Contribue à présenter le doctorant en précaire ou esclave volontaire. Subordonné au directeur de thèse, patron de labo ou d’équipe de recherche, Le doctorant n’est qu’un thésard ; ou plus pas de la hiérarchie universitaire. À ce titre, il est la petite main sur laquelle on compte bien trop souvent pour exécuter les basses les œuvres de la recherche pour le compte des sommités locales. Ajoutons à cela le fait que, jusqu’à une époque très récente, l’immense majorité des thèses en SHS N’était pas financée. On pouvait dès lors voir le thésard comme un éternel étudiant, soumis, se complaisant dans la précarité. De là à voir une complaisance dans la médiocrité, il n’y a qu’un pas. Compte tenu de ce climat, trop de doctorants se trouvaient À faire des petits boulots en marge de leur thèse. Là encore, un syllogisme facile permettrait de conclure que thèse égale précarité. Dans ces conditions, et avec un encadrement plus que distant, beaucoup de thèses soutenues en France ne passeraient pas le cap de la dissertation proposal dans les universités anglo-saxonnes. Je parle au passé parce que les LPPR successives ont tenté de réguler ce Far-West. Je parle aussi de thèse dans la mesure où ce vocable, plus répandu que le doctorat dans l’opinion publique, est porter d’Une certaine connotation. Ajoutons à cela le système dual des grandes écoles et des universités, le mélange qui en ressort ne tourne pas à l’avantage des docteurs ès discipline
Cette vision rétrograde malheureuse du docteur en france n’a pas de solutions à court terme. sans l’appui de personne “dirigeante” la position du docteur n’évoluera pas en france. Le souci c’est que les personnes dirigeantes sortent de grandes écoles et sont formatés
il y a aussi clairement cette vision rétrograde française qui fait que si tu es un intellectuel (une thèse, il faut forcement être intellectuel…) tu as réussi grâce à quelque chose… évidemment la valeur du travail ne faisant pas partie de ce “quelque chose”… Bref, ce constat est fait depuis des années, il est pointé du doigt dans nombre de rapport, rien ne change.
Dans beaucoup de pays, la grille salariale de l’état pour les docteurs (quels qu’ils soient) est la même, en france un MCU-PH ou un PU-PH gagne plus qu’un MCU ou un PU, sous prétexte qu’il ne cumule pas 2 jobs… (ou 3 suivant comment on le regarde), malgré tout, les personnes qui sont MCU (qu’il soit PH ou pas) cumulent plusieurs job, et font d’une manière générale avancer le système… il serait temps de le reconnaitre …
Bonjour
La dévalorisation du titre de Dr s’explique par l’importance donnée aux grandes écoles et ce que cela implique, entre autre le fait que l’accès aux grandes écoles aussi méritocratique en théorie ne l’est pas autant que l’université et par conséquent le doctorat. L’objectif de maintenir cet entre soi explique le manque d’estime voir les démarches et positions assumées visant à saborder et à diminuer l’importance du titre de Dr et le parcours associé.
Lire L’ Illusion méritocratique
Livre de David Guilbaud
Docteur en droit je partage le constat et les remarques des différents intervenants.Le sujet maintenant est que faire pour que les choses bougent. Quelques pistes:
1- Au delà de la soutenance, il me semble que le titre de docteur devrait être remis « officiellement » lors d’une cérémonie avec une représentation des autorités au meilleur niveau (recherche), le Recteur d’académie qui est de fait un docteur…
2-Nous devons rompre précisément le côté « isolé « du chercheur pour fonctionner en groupe. Les diplômés des grandes écoles tirent leur force du réseau qu’ils forment entre eux. N’ayons pas peur de créer, cultiver et fonctionner en réseau (network). Le fait d’être membre de l’association des docteurs en droit a favorisé l’identification docteurs-experts auxquels j’ai eu recours dans des dossiers.
3-La promotion du doctorat et des docteurs doit être assurée de manière structurée et récurrente par la communauté. Quand et qui souligne les travaux, l’ouvrage ou la promotion d’un docteur. Là où la moindre école va appuyer lourdement sur la moindre promotion d’un alumini.
4-Mettre en place une banque des postes offerts par priorité aux docteurs.
5- Nul n’étant prophète en son pays, les docteurs français doivent intégrer les organisations au plan international. La reconnaissance à l’extérieur du Dr. est un véritable plus au plan domestique.
Doctoralement
Réserver « docteur » aux praticiens de la médecine a au moins un avantage : cela ne fait pas d’un doctorat un argument d’autorité.
La différence avec l’Allemagne est flagrante, il est vrai. Dans ce pays, on se présente de suite comme étant docteur. Il est à ce titre assez amusant de constater que n’importe quel candidat a une élection ou à un enjeu d’envergure en fera usage comme d’un argument marketing tacite, pourrait-on dire. Les Allemands (et les Anglo-Saxons de manière générale) ont le respect de circonstances pour le docteur qu’on avait encore pour l’instituteur sous la IIIème République : la personne qui sait. Peu importe ce dont il va parler, son titre le classe parmi les oratores, et il est de suite pris au sérieux. En résulte une sorte de fétichisme de la fonction, où l’avis d’un docteur en psychologie sur la sidérurgie sera plus considéré que celui d’un ouvrier qui a 30 ans de métier dans le secteur.
Est-ce mieux que la France, où des relents de morale catholique conduisent à une pudeur timorée face à la question du statut social ? Je ne sais pas. A-t-on le droit de s’appeler docteur lorsqu’on l’est ? Évidemment. Est-il absurde que des médecins veuillent limiter l’usage du mot « docteur » à eux seuls ? Que oui ! Se présenter comme docteur en compagnie de ses pairs pour traiter des sujets où notre compétence s’applique, je ne vois pas le souci. Bon dans ce cas, c’est rarement utile, car si on participe à un colloque ou qu’on donne un cours magistral, tout le monde sait qu’on est docteur.
Cependant, vouloir se présenter comme « docteur » partout et tout le temps ne traduit qu’une seule chose : la vanité, le désir de se donner une aura de respectabilité, comme si les deux lettres de l’abréviation étaient un sceau magique garantissant un genre de science infuse. Je n’ai rien de particulier contre les docteurs : globalement, je trouve que se targuer d’entrée d’une distinction en dehors de tout contexte qui le justifierait relève de la vantardise, tout simplement. Exhiber sa berline, son dernier séjour à Bali ou ses titres, au fond, quelle différence ? Je suis encore plus dubitatif lorsque le titre, devenu argument markéting donc, va servir à l’introduction d’un livre ou d’une intervention sur les plateaux télé…
Lorsqu’on remplit l’enquête emploi de l’INSEE, cet institut distingue clairement le doctorat de recherche, cité à bac+8, d’un doctorat de santé, que l’INSEE classe avec les M2 à bac+5 malgré la longueur des études. D’ailleurs la thèse de médecine ressemble davantage à un gros mémoire de M2 qu’à un doctorat de recherche. Cette thèse de médecine, qui est donc un sous-doctorat dans les faits mais aussi dans le classement INSEE, permet d’exercer (éventuellement très bien) la médecine. Comme souvent, ce sont les meilleurs qui sont les moins attachés à leurs titres !
@Denis – CQFD… hélas.
Après sur l’importance de ses titres, le problème aussi du titre de docteur c’est qu’il est donné parfois à n’importe qui. J’ai été au jury de grandes écoles d’ingénieurs, les personnes recrutées avaient à bac+2 un niveau général en mathématiques supérieur à certains docteurs voire HDR que j’ai eu comme chargés de TD. Le titre de docteur assure normalement que la personne a fait des études longues et a réfléchi sur sa discipline, non un réel niveau malheureusement… Pas plus tard qu’hier, une collègue MCF HDR en Histoire m’a envoyé un email de trois lignes contenant 6 fautes d’orthographe et de grammaire, elle est censée être plus littéraire que le matheux que je suis. Avec son niveau en français de collège, j’aurais du mal à l’appeler docteure …
Helas oui mon fils a un doctorat en neurosciences, évidemment peu de travail en france , obligé de prendre le job en allemagne il,n y que la bas qu il lui on attribuer le titre de docteur ! Dommage autant d années d etudes et difficile d avoir un CDI en plus ! C est ça la france !!!!