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Le multiculturalisme en France : faux débat et vraies questions

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La réponse fausse de Nicolas Sarkozy

Interrogé sur le multiculturalisme lors de la récente émission Paroles de Français, Nicolas Sarkozy a répondu ceci :

«Oui, c’est un échec. La vérité, c’est que dans toutes nos démocraties, on s’est trop préoccupé de l’identité de celui qui arrivait et pas assez de l’identité du pays qui accueillait»

En voulant suivre le constat établi originairement par Angela Merkel le 16 octobre dernier sur l’échec du multiculturalisme en Allemagne, puis par le Premier ministre britannique David Cameron le 5 février, le Président de la République a dit une belle ânerie. Il n’y a pas d’autre terme pour qualifier l’idée qu’en France on se serait « trop préoccupé de l’identité de celui qui arrivait et pas assez de l’identité du pays qui accueillait ».

Car, justement, s’il y a échec en France, ce n’est pas par trop grande préoccupation de l’identité de celui qui arrive sur le territoire national au détriment de l’identité du pays, mais par indifférence à l’identité de celui qui arrive en vertu du principe de l’assimilation qui repose sur l’universalité des valeurs de la République qui s’appliquent à tous uniformément. La France ne souffre pas d’être trop multiculturelle mais d’être trop monoculturelle. Voilà qui a été relevé par Christophe Bertossi, responsable du programme de recherche Migrations, Identités, Citoyenneté de l’Institut français des relations internationales (Ifri), qui commente ainsi le « constat » établi par Nicolas Sarkozy : « Le discours sur le multiculturalisme et sa crise ne désigne rien, il ne porte sur aucune réalité. »

Le seul Etat qui ait fait du multiculturalisme son identité nationale, et ce depuis 1971, c’est le Canada. Voyez ainsi cet extrait du discours fondateur du Premier ministre Pierre Elliott Trudeau, prononcé le 8 octobre 1971 :

« Nous croyons que le pluralisme culturel est l’essence même de l’identité canadienne. Chaque groupe ethnique a le droit de conserver et de faire épanouir sa propre culture et ses propres valeurs dans le contexte canadien. Dire que nous avons deux langues officielles, ce n’est pas dire que nous avons deux cultures officielles, et aucune n’est en soi plus officielle qu’une autre. Une politique de multiculturalisme doit s’appliquer à tous les Canadiens sans distinction. »

Que dirait-on du Premier ministre canadien actuel si celui-ci déclarait à la télévision que le Canada a failli en se préoccupant trop de l’identité du pays qui accueillait et pas assez de l’identité de celui qui arrivait ? Assurément, il aurait dit une belle ânerie, ou bien l’on aurait estimé que le Premier ministre marche sur la tête. Car ce constat ne repose sur rien puisque la réalité canadienne est exactement inverse. Voilà qui n’exempte pas le Canada de difficultés pour penser son identité nationale. Mais la réflexion sur ces difficultés suppose de regarder la réalité telle qu’elle est.

Un double écran de fumée

D’une part, en insistant sur l’échec du multiculturalisme en France, Nicolas Sarkozy fait référence à une réalité qui n’existe pas. Il n’y a pas et il n’y a jamais eu en France de politique multiculturaliste, mais assimilationniste. En déplaçant le débat vers une illusoire mise en cause du multiculturalisme, Nicolas Sarkozy laisse dans l’ombre ce qui doit être l’axe central de la réflexion : le principe de l’assimilation, avec ses points forts et ses points faibles, ses réussites et ses échecs.

En faisant ainsi, le Président de la République applique à la France une grille de lecture qui n’est pas la sienne. Il méconnaît même une part de l’identité nationale en occultant la question de l’assimilation, pourtant au fondement de la République. La prise en compte de l’origine des citoyens ne fait pas partie de nos principes. Par conséquent, l’origine culturelle des Français doit être systématiquement évacuée de l’action publique. C’est là une idée vertueuse de promotion de l’égalité de tous mais dont les effets pervers sont rarement mis à jour.

D’autre part, en effet, en condamnant le multiculturalisme comme l’échec d’une expérience qui en réalité n’a jamais eu lieu en France, Nicolas Sarkozy laisse dans l’ombre un deuxième impensé de la société française : son devenir justement de plus en plus multiculturel ou, pour le dire autrement, sa diversité culturelle grandissante. Le fait qu’il y ait de nombreux Français qui s’identifient à différentes cultures – dont la culture nationale – ne signifie cependant pas non plus qu’il faille promouvoir le multiculturalisme à la canadienne.

Mais cette diversité et son inclusion dans l’action publique restent impensées, sinon impensables. Par ailleurs, cette difficulté identifiée dans la société française se retrouve dans les entreprises. A l’international, nous avons encore bien du chemin à parcourir pour intégrer le management interculturel comme une démarche absolument essentielle lors de nos interactions avec les collaborateurs et partenaires étrangers. En France, le chemin est encore plus long vers un accueil et une intégration réussis des impatriés dans l’entreprise.

Sur ces différents aspects, je vous renvoie là au texte de mon intervention lors de la récente journée d’étude sur l’intelligence culturelle à l’Unesco : Intelligence culturelle : pour en finir avec le déni des cultures, ainsi qu’aux articles Le dispositif public français : un désert interculturel et Accueil des impatriés : l’exemple danois… et le contre-exemple français.

Multiculturalisme ou cultures multiples ?

Qu’entend-on au juste par le devenir multiculturel de la société française ? Généralement, dès qu’il est question en France de multiculturalisme, il est immédiatement question de dissolution de l’identité nationale dans des communautarismes culturels. A contrario, promouvoir l’identité nationale revient spontanément à nier les déterminismes culturels autres que nationaux. Ainsi, on oscille en permanence entre la volonté de préserver l’identité nationale et la négation des origines culturelles.

Or, nul ne résume ce qu’il est à sa carte d’identité. Chacun s’identifie à différents groupes d’appartenance qui ne se superposent pas forcément – ni en intensité ni en nombre – avec la communauté nationale. Tel habitant de Paris est « de Paris » quand il discute avec un étranger, il est « du Sud-Ouest » quand il parle avec un Breton, il est « de Toulouse » quand il rencontre un Bordelais, il a des origines « d’Espagne » quand il mentionne ses grands-parents exilés dans la ville rose sous Franco. Et sa culture n’est pas seulement géographique, elle est de tel métier, de telle entreprise, elle est aussi littéraire, cinématographique, etc.

Bref, la culture, c’est toujours un ailleurs que l’on porte en soi comme une part de soi-même. C’est un mille-feuilles, et non une simple carte, dont on extrait telle ou telle partie selon les interactions afin d’ajuster son comportement, son mode de pensée et d’action. Or, le fait est que beaucoup de Français portent en eux un ailleurs qui ne s’inscrit pas forcément dans le territoire national. C’est le cas des immigrés. Dire que la société française est de plus en plus multiculturelle ne signifie pas que les immigrés sont de plus en plus nombreux mais que les ailleurs dont ils sont les dépositaires et les héritiers sont plus diversifiés qu’il y a quelques dizaines d’années.

Je prendrai deux exemples de cette multiplicité des ailleurs, qui proviennent du rapport 2010 TeO (Trajectoires et Origines) de l’INED et l’INSEE. Cette multiplicité culturelle est véhiculée notamment par la langue. Loin d’être un simple outil de communication, la langue porte des représentations et visions du monde, des valeurs et normes culturelles. C’est là un indicateur riche d’enseignements sur la diversité culturelle. Voyez ainsi le tableau du plurilinguisme pendant l’enfance selon le lien à la migration :

Et le tableau des langues parlées par les parents aux descendants d’immigrés :

En outre, ce qui est vrai pour la société française l’est aussi pour les entreprises. Alors qu’il y a vingt ans les interactions quotidiennes avec des collègues étrangers dans les entreprises en France se limitaient à quelques nationalités, souvent les mêmes, aujourd’hui il n’est pas rare d’avoir affaire à une grande diversité de nationalités. Tel cadre qui avait dans son équipe deux Britanniques et un Allemand côtoie maintenant un Brésilien, un Chinois et un Marocain.

Cette diversification des ailleurs entraîne une complexification des rencontres entre ces horizons culturels et la culture nationale française. Qu’il s’agisse des immigrés devenus Français ou des expatriés en France, il n’est pas imaginable de croire que leur rencontre avec le contexte français ne provoque pas de chocs culturels importants que nous devrions savoir accompagner et atténuer. Car il n’y a pas de fatalité culturelle : les exemples sont aussi nombreux que peu médiatisés qui montrent que ce n’est pas parce qu’on porte un « ailleurs » qu’on ne peut s’adapter « ici ».

La France est multiculturelle

En disant que la France devient multiculturelle, j’indique seulement la diversification croissante des ailleurs qui entrent en interaction sur le territoire national. Cela ne signifie pas que la France est en train de passer d’un état monoculturel à un état multiculturel, comme si un supposé âge d’or d’une culture uniforme était en train de se dissoudre sous nos yeux.

Le fait est que la supposée unité culturelle de la France n’est pas aussi flagrante que certains le souhaitent. Elle s’est construite tout au long d’une lutte séculaire contre les identités régionales, et notamment les langues régionales encore largement parlées à la veille de la première guerre mondiale. Mais au fur et à mesure qu’elle se renforçait en affaiblissant les appartenances régionales, elle s’est confrontée à la question coloniale avec la tentative d’imposer les normes culturelles françaises « ailleurs » qu’en France, et donc avec la difficulté de reconnaître ces autres cultures comme parties intégrantes de la culture française.

Or, nous continuons à vivre dans cette ambiguïté. L’identité nationale reste trop souvent celle du territoire de la métropole, oubliant ainsi que la France ne se réduit pas à ses frontières terrestres. La France inclut dans son sein bien d’autres territoires dont les normes culturelles sont d’une grande diversité. Ainsi, savez-vous avec combien de pays la France partage ses frontières ? 5, 6, 7 ? Non : 35 pays. Et c’est le seul pays au monde qui partage ses frontières avec autant de pays. Petit rappel des territoires d’outre-mer :

Qu’est-ce que la France donc ? Quelles en sont les frontières non pas seulement territoriales, mais culturelles ? Comment les populations de ses territoires d’outre-mer vivent-elles la question de l’identité nationale ? A-t-on eu l’idée de les consulter sur leur perception de leurs différentes appartenances culturelles ? Quels compromis mettent-elles en œuvre ? Quelles sont leurs difficultés ? Voilà qui permettrait d’aborder de biais les questions que nous n’osons affronter en métropole à propos de la diversité culturelle et d’inclure ces populations que les autorités semblent avoir laissées de côté lors du débat sur l’identité nationale.

Pour compléter, je vous invite à consulter sur ce blog La crise du multiculturalisme en Europe – éléments de cadrage.

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Quelques suggestions de lecture:

3 Comments

  1. Robin van der Sande

    Très bonne mise au point sur la question.
    Lire aussi “Les Identités Meurtrières” de Amin Maalouf, qui traduit bien l’impossibilité de réduire la culture ou l’identité d’un individu à des concepts aussi simplistes que ceux prônés par les tenants de chaque position extrême sur ce débat.

  2. Benjamin PELLETIER

    Merci Robin – je mets cette référence dans ma liste des (très) nombreuses priorités de lecture!

  3. Philippe Ramos

    Merci pour ce magnifique article ainsi que ce site. Je suis attire par le multiculturalisme depuis ma jeune enfance étant moi même “multiculturel” par le mixage de mes origines. Je pense que l’on sera mené à se rencontrer car je veux vraiment m’investir dans le management interculturel et le multiculturalisme en France et en Europe car nous sommes aussi européen!

    Félicitations et continuez dans cette voie!

    Philippe Ramos

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