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Murakami à Versailles : dialogue des cultures ou dialure des cultogues ?

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« Les cultures, aussi ouvertes soient-elles, ne peuvent pas dialoguer. Leurs représentants officiels seulement le peuvent de manière conformiste et donc limitée. » Edgar Morin, Le Monde des Religions n° 9, Janvier-Février 2005

Une exposition polémique

Du 14 septembre au 12 décembre 2010, le Château de Versailles accueille des œuvres de Takashi Murakami. Cette exposition d’œuvres contemporaines se heurte à une opposition de la part de pétitionnaires dénoncés comme « réactionnaires » par le président du musée et du domaine national de Versailles, Jean-Jacques Aillagon, qui a répondu à leurs critiques sur son blog. Par ailleurs, ce dernier défend son initiative en dénonçant ce qu’il perçoit comme une tentative de censure ou d’interdiction.

Aillagon se place ainsi sur le terrain de la défense de la liberté d’expression. Son exposition étant rejetée par des courants ultra-conservateurs, voire d’extrême droite, celle-ci devient un symbole de résistance, et échapperait à toute critique. Voilà une polémique bien franco-française qui élargit la publicité de l’événement tout en répétant l’éternelle confrontation entre les tenants de l’avant-garde et les rétrogrades de l’arrière-garde.

Ce n’est pas cette polémique qui a suscité la rédaction du présent article, pas plus que la question de la valeur artistique du travail de Murakami. Au-delà de cette guérilla culturelle, le débat doit être recentré sur l’objet même de l’exposition. Dans le cadre de cette exposition, cet objet tient à la rencontre entre la production contemporaine d’un artiste néo-pop art japonais et le cadre historique et prestigieux du Château de Versailles. Cette rencontre est en soi problématique au sens où elle entraîne différents types de justifications qui ont peu de rapport avec l’intérêt artistique.

L’une des justifications tient au fameux « dialogue des cultures », généralement associé à la « diversité culturelle ». Ainsi, il y a depuis une dizaine d’années une véritable inflation de dialogues des cultures. On ne compte plus les colloques, conférences et autres expositions consacrés au dialogue des cultures sur le plan politique, religieux, artistique, etc. L’expression exacte « dialogue des cultures » ramène sur Google plus de 1,6 million de résultats.

L’exposition et ses suppositions

Réunir deux extrêmes de façon à produire du sens et à révéler une dimension artistique nouvelle est en soi une démarche intéressante. Mais cela suppose que les organisateurs, et par suite le public, parviennent pour les uns à éclairer cette dimension nouvelle recherchée, et pour les autres à percevoir cette dimension. Le fait est que les organisateurs eux-mêmes peinent à justifier la raison de leur propre exposition.

Dès lors, le public qui, dans sa très grande majorité, se déplace à Versailles pour le Château et non pour Murakami à Versailles, risque non seulement de passer à côté de l’œuvre de Murakami mais aussi du Château dont la visite est parasitée par des éléments qui perturbent la perception directe du site versaillais.

Faisons donc un inventaire des tentatives de justification de cette exposition en analysant les discours de Murakami, Jean-Jacques Aillagon et Laurent Le Bon, commissaire de l’exposition.

Le discours de Murakami

L’artiste japonais déclare notamment avoir voulu produire un décalage culturel :

« Pour nous, Japonais, le château de Versailles est tellement différent de notre culture. J’ai voulu créer l’effet inverse pour que les Occidentaux ressentent un dépaysement. »

Selon Murakami, il s’agirait de “nipponiser” les Occidentaux. En somme, ces derniers devraient ressentir en voyant l’œuvre de Murakami ce que ressentent les Japonais en découvrant Versailles : une totale étrangeté, et finalement un choc culturel. Le fait est que le pari semble réussi tant la culture manga est généralement peu familière aux visiteurs du Château. Cependant, on peut s’interroger sur cette démarche dans la mesure où ce n’est jamais dans le choc qu’un dialogue peut s’instaurer. Faute de repères communs, les visiteurs se heurtent à un hermétisme irrémédiable.

Par ailleurs, l’argument de Murakami à propos du dépaysement ne tient pas. En effet, le Château de Versailles est déjà connu des Japonais avant même de venir en France. Il le dit d’ailleurs lui-même :

« Pour les Japonais, Versailles est un lieu particulièrement médiatisé. La Rose de Versailles est un manga de filles dont l’héroïne s’appelle Lady Oscar. Il est passé longtemps à la télévision, un vrai phénomène culturel. Tout le monde au Japon connaît Versailles à travers ce manga. »

Deuxième raison mise en avant par l’artiste : l’onirisme, qui serait justement la dimension commune au Château et à son œuvre :

« Ceux qui viennent à Versailles rêvent de s’immiscer dans un univers total fantastique. J’aimerais participer à ce rêve, le pousser à l’extrême. »

Mais on ne peut pas rêver deux rêves à la fois. Un rêve tire sa substance de l’univers singulier dans lequel il plonge le rêveur. La singularité extrême du rêve empêche ainsi de raconter son rêve et de le partager, chaque rêveur étant en quelque sorte le roi et le peuple de son propre monde. Or, deux singularités oniriques qui se rencontrent frontalement, loin de s’additionner, s’annulent, expulsant le rêveur de son rêve.

Ainsi, si vous êtes plongé dans la lecture d’Alice au pays des merveilles ou du Seigneur des Anneaux et qu’au détour d’une page le texte mentionne un élément totalement étranger à votre lecture, par exemple Superman ou Spiderman, le charme est littéralement rompu. C’est ce qui arrive à la lecture de l’épouvantable tome 33 des aventures d’Astérix, Le ciel lui tombe sur la tête (ci-contre, cliquez pour agrandir).

Le discours de Jean-Jacques Aillagon

Les éléments mis en avant par le président du musée et domaine national de Versailles oscillent entre la perspective large de l’Histoire de l’Art et le point de vue étroit de l’anecdote.

Le premier argument tient ainsi au fait que le Château de Versailles serait le passeur de la vocation artistique de l’humanité :

« En fait, ce genre d’opération doit donner conscience aux visiteurs que les œuvres d’art, quelle que soit la période de l’histoire qui les a produites, appartiennent finalement à la même grande aventure artistique de l’humanité. »

Avec cette affirmation, Aillagon inscrit de fait l’œuvre de Murakami dans la « grande aventure artistique de l’humanité », laissant de côté les référents culturels japonais très marqués de l’œuvre de Murakami pour lui donner une dimension universelle. En outre, il prend acte de cette dimension sans l’interroger. En quoi l’œuvre de Murakami est une pierre supplémentaire apportée à l’histoire de l’art ? La question reste ouverte, d’autant plus qu’une œuvre n’acquiert toute sa dimension, ou toute son insignifiance, qu’avec le temps.

Vient ensuite le deuxième argument, cette fois-ci aussi anecdotique que ridicule : l’œuvre de Murakami serait sur le même plan que celle d’Andy Warhol parce que le Japonais a redessiné… le logo de Louis Vuitton (ci-contre, cliquez pour agrandir) :

« Ce courant [le pop art], qui marque la seconde moitié du XXe siècle et le début du XXIe, regroupe des artistes qui, d’une certaine manière, s’intéressent aux mythes, aux signes ou aux grands personnages du présent. On sait à quel point Andy Warhol a “mythologisé” les figures d’Yves Saint Laurent ou de Liz Taylor et comment Takashi Murakami a redessiné, rajeuni, réinterprété le logo de LVMH. »

Et avec un certain talent pour la distorsion historique qui confirme toute la difficulté d’expliquer la raison de cette exposition, Aillagon ajoute :

« Dans le fond, il y a convergence de travail entre les artistes issus du mouvement pop et la démarche qui a animé à l’origine la composition et la création de Versailles. »

Enfin, la perspective la plus large rejoint l’anecdotique le plus trivial avec l’argument de la célébrité : c’est parce que Murakami est mondialement connu que son œuvre peut dialoguer avec le Château de Versailles, lui-même mondialement connu :

« Murakami est l’un des artistes les plus célèbres de notre temps. La confrontation de sa célébrité à celle du Château de Versailles permet de mesurer à quel point, par dessus les siècles qui les séparent, les chefs d’œuvre du passé savent dialoguer avec ceux du présent et ceux du présent avec ceux du passé. »

La célébrité serait donc la condition sans laquelle les chefs d’œuvre du passé ne sauraient dialoguer avec ceux du présent. Quelle est la teneur de ce dialogue ? Peut-être que, la nuit, les salles désertées et rendues à leur silence séculaire bruissent-elles de merveilleux échanges entre les chefs d’œuvre de Versailles et les productions de Murakami. Ou d’éclats de rire. Disons-le franchement: cet argument de la célébrité, c’est là le point de vue d’un marchand ou d’un touriste, mais assurément pas d’un amateur d’art, et encore moins d’un artiste.

Le discours de Laurent Le Bon

Il faut reconnaître que le commissaire de l’exposition n’a pas une tâche aisée. Il doit apporter des éléments de justification et de décryptage sans se couvrir de ridicule. Il mobilise donc toutes ses connaissances lexicales et références artistiques et historiques pour démontrer l’enjeu esthétique de cette exposition. Voici, selon le commissaire de l’exposition, l’apport de la création artistique contemporaine au Château de Versailles :

« Elle contribue à briser un peu les clichés afférents à cet endroit qui se matérialisent par une pratique du lieu, parfois convenue et très concentrée. Il s’agit d’offrir des points de vue nouveaux sur un site que tout le monde pense connaître en révélant ainsi sa complexité contemporaine, sa substance, son épaisseur enfouie sous l’habitude. »

Pour résumer les deux arguments :

  1. Les visiteurs de Versailles ont une pratique du Château « parfois » convenue, faite de « clichés ». Les œuvres de Murakami ont donc vocation à briser « un peu » cette convenance et ces clichés. On sent dans cette restriction les hésitations de la plume ou du clavier de Laurent Le Bon qui prudemment préfère ne pas trop se mouiller.
  2. L’exposition Murakami doit offrir des points de vue nouveaux sur ce site qui possède une « complexité contemporaine ». Cette dernière expression n’est pas explicitée et c’est bien dommage. Car la complexité contemporaine du Château de Versailles existe bel et bien, ce site étant à la croisée d’enjeux historiques, économiques mais aussi politiques qu’une exposition originale permettrait d’interroger.

Quelle place Versailles occupe aujourd’hui dans l’imaginaire collectif des Français mais aussi des étrangers ? Qu’exprime le Château à propos de la culture française fondée sur l’élitisme, la grandeur et l’universalité ? En quoi peut-il revendiquer une dimension à la fois historique et universelle ? L’exploitation touristique de ce site (six millions de visiteurs par an) peut-elle être conciliable avec sa conservation ? Comment le pouvoir politique récupère-t-il encore aujourd’hui sa dimension symbolique ? Et, finalement, en quoi l’exposition de Murakami apporte des clés pour décrypter cette complexité contemporaine ?

A cette dernière question, Laurent Le Bon répond a minima, en invoquant encore le dialogue des cultures :

« Les allégories et autres mythes Versaillais dialoguent ainsi avec les créatures oniriques de Takashi Murakami parfois inspirées de l’art traditionnel Japonais. »

Après les clichés “un peu” brisés par Murakami, Laurent Le Bon évoque ses créatures oniriques qui sont « parfois » inspirées de l’art traditionnel japonais. Voilà qui permet d’inscrire le travail de l’artiste japonais dans la tradition, dans l’histoire de l’art japonais, et de créer, encore une fois sans trop se mouiller, une passerelle très artificielle pour indiquer un terrain commun où se retrouveraient le Château, héritier d’une longue tradition, et Murakami, lui-même « parfois » inspiré par l’art traditionnel japonais.

Mais Laurent Le Bon n’a pas fini de transpirer. Sur le site internet du Château de Versailles, il doit s’atteler à commenter quelques œuvres de Murakami (cliquez pour agrandir).

« Des milliers de couleurs sont utilisées, et pour cette œuvre, quatre ans de travail furent nécessaires. Comment ne pas y voir un rapport avec l’extraordinaire peinture du plafond, peinte par François Le Moine, qui surplombe cette sculpture ? Dans ce dialogue entre l’œuvre de Murakami et cet ensemble de l’art classique français du XVIIIème siècle, est dit un peu de l’esprit de cette nouvelle aventure de l’art contemporain à Versailles. » (source ici)

Difficile de trouver des points communs (mais, au fait, Murakami ne cherchait-il pas à produire un dépaysement?). A défaut d’un enjeu esthétique, Laurent Le bon mentionne les éléments quantitatifs (des milliers de couleurs, quatre ans de travail) pour asséner cette évidence : « Comment ne pas y voir un rapport… » A ce titre, pour ma part, je vois également un rapport entre la peinture de François Le Moine et le cercle chromatique (ci-contre).

Et voici ces œuvres, décidément très bavardes, qui entrent en « dialogue » en disant « un peu » de l’esprit de la nouvelle aventure de l’art contemporain à Versailles. Un peu, mais pas trop, la tempérance étant la vertu des sages.

“On retrouve là, toute l’ambiguïté des personnages de Takashi Murakami : d’un côté, un visage méditatif avec une bouche de grenouille et une petite barbichette qui évoque à la fois la figure de l’empereur et l’artiste lui-même qui en porte une ; de l’autre, au revers, masqué du visiteur, un visage plus terrifiant, avec des dents de requins. Le tout repose sur un éléphant, qui est le symbole de l’endurance dans l’univers de l’artiste et du bouddhisme en général. Cette sculpture est due à l’initiative d’une collaboration avec Issey Miyake, sans doute l’un des plus grands créateurs de mode du monde.”

Très difficile d’établir ici « un rapport » (bis: mais, au fait, Murakami ne cherchait-il pas à produire un dépaysement?). L’auteur a vraiment transpiré sur ce passage, et plus qu’un peu. A défaut de décrire les passerelles entre l’œuvre de Murakami et l’environnement versaillais, Laurent Le Bon établit une très signifiante corrélation entre la barbichette de la sculpture, celle de l’empereur et celle de l’artiste. Malheureusement, ces deux derniers étant – supposément – dépourvus de bouches de grenouille et de dents de requin, l’analogie s’arrête là. Malgré tout, la perspective du sens s’élargit avec – après Louis Vuitton – Issey Miyake qui, l’honneur de Versailles est sauf, est « l’un des plus grands créateurs de mode du monde ».

“C’est là l’occasion d’introduire un autre concept essentiel de l’univers de Murakami : l’idée du Kawaï à savoir l’idée du gentil. Il ne s’agit pas de l’idée d’un monde pacifique mais d’un monde raffiné dans lequel les personnages de Murakami évoluent. Dans le salon de Vénus, les gardiens spirituels que sont Kaikai et Kiki qui tendent leurs lances sont finalement à leur place de part et d’autre de la statue du roi Louis XIV.”

Très très difficile d’établir un rapport (ter: mais, au fait, Murakami ne cherchait-il pas à produire un dépaysement?). Kaikai et Kiki sont “finalement” à leur place de part et d’autre de la statue de Louis XIV. On sent que Laurent Le Bon abandonne la partie et on le comprend. Au suivant…


“Dans le salon de Mercure, les deux éléments de l’œuvre « Kinoko Isu » constituent une forme de mobilier un peu rare et inédite. C’est l’occasion de rappeler qu’à Versailles tout le mobilier a pratiquement disparu. D’ailleurs, contrairement à ce que l’on pense, cela n’est pas uniquement dû à la Révolution Française mais aussi aux changements de goûts des monarques successifs. […] On retrouve également dans cette œuvre une allusion à un épisode beaucoup plus tragique de l’histoire japonaise : le bombardement atomique durant la seconde guerre mondiale.”

Une forme de mobilier « un peu » rare et inédite. On le comprend de plus en plus, Laurent Le Bon. La critique d’art n’est plus ce qu’elle était. On a même envie de lui payer un verre et de lui dire : « Tant fais pas, ce n’est qu’un mauvais moment à passer, tiens tu pourrais en profiter pour enchaîner sur le mobilier disparu de Versailles et donner quelques références à la Révolution française et au bombardement atomique du Japon, histoire de noyer le poisson… »


“Yume Lion, par Takashi Murakami, est à l’origine la mascotte d’une chaîne de télévision japonaise, Tokyo MX. Le fauve avait alors une crinière aux couleurs de l’arc-en-ciel, «symbole de diversité, de rêve et de paix», selon l’artiste. En livrant une version sculpturale de cette icône télévisuelle, Murakami se plaît à penser que ce lion aura une vie bien plus longue que la station elle-même.”

Là, Laurent Le Bon touche le fond. Une mascotte pour une chaîne de télévision japonaise ? Et pourquoi pas pour le Tour de France ? Il laisse tomber et préfère laisser parler Murakami (« selon l’artiste », « Murakami se plaît à penser… »). Versailles est loin, très loin. Voir Murakami et mourir, a dû penser Laurent Le Bon en rédigeant ces lignes.


“On devine ici un hommage à l’art des jardins de Louis XIV et à la folie de cette galerie des glaces. En effet, il y a peut-être autant de couleurs dans « Flower Matango » que dans l’ensemble des magnifiques peintures récemment restaurées de la galerie des Glaces. « Flower Matango » est une créature dérivée d’un film japonais qui a été réalisé par les créateurs de Godzilla.”

Dernière œuvre commentée, le calvaire du commissaire prend fin. Quel final ! Voici à présent Godzilla… Laurent Le Bon délaisse la critique pour s’adonner à la divination (« On devine ici… ») mais il n’est plus sûr de rien à présent : il y a « peut-être » autant de couleurs dans cette œuvre que dans les peintures de la galerie des Glaces. Allez, plume reposée ou écran éteint, il est temps d’aller oublier au café du coin Louis Vuitton, Issey Miyake, Kaikai et Kiki, la télévision japonaise et Godzilla.

L’exposition Murakami et le problème du dialogue des cultures

Si cette exposition a attiré mon intérêt, on aura compris que ce n’est pas à propos de la valeur esthétique du travail de Murakami qui, au-delà de l’ironie des passages précédents, mériterait un examen plus attentif.

Or, comme on le voit, cet examen n’est pas possible dans le cadre du Château de Versailles. Car, de même qu’on ne peut rêver deux rêves en même temps, on ne peut accéder à deux univers artistiques en même temps, sauf à produire des passerelles signifiantes pertinentes – ce que ne parviennent même pas à faire l’artiste, le directeur du Château et le commissaire de l’exposition.

L’autre problème consiste dans la juxtaposition de deux univers radicalement différents. Sans passerelle entre eux, ces univers ne peuvent être appréhendés par le visiteur autrement que par le jugement de valeur de l’un par rapport à l’autre. Et c’est bien cela qui est le noyau problématique : ne pouvant percevoir directement le Château ou les œuvres de Murakami, le visiteur est mis d’office et d’autorité dans la position comparatiste, même si telle n’était pas l’intention des organisateurs.

Ainsi, l’accès aux œuvres de Murakami ne se fait que dans le contraste radical avec l’environnement versaillais et la visite du Château ne se vit que dans le parasitage par ces mêmes œuvres. Remarquons en outre que nous nous situons sur deux plans différents de perception et de représentation. En effet, il ne s’agit pas du « dialogue » entre l’œuvre de Murakami et le Château de Versailles mais de la rencontre de l’œuvre de Murakami dans le Château de Versailles : d’une part, le contenant ne peut pas ne pas avoir d’influence sur le contenu en l’écrasant quantitativement et qualitativement ; d’autre part, le contenant est en lui-même un contenu, d’où une distorsion esthétique qui rend encore plus problématique le dialogue recherché.

Le visiteur n’est pas alors un découvreur mais un juge. Il est amené malgré lui à exprimer sa préférence, et non à affiner sa sensibilité. C’est là un effet pervers du fameux « dialogue des cultures » qui n’est que l’autre face du non moins fameux « choc des cultures ». On suppose des ensembles culturels homogènes qui n’auraient d’autre choix que de dialoguer ou d’entrer en conflit. C’est oublier que les cultures ne dialoguent ni ne s’affrontent. Le dialogue et le conflit supposent d’abord des hommes avec leur singularité et des dimensions culturelles extrêmement complexes, loin d’être homogènes.

Enfin, le dialogue ne s’instaure que dans la compréhension. C’est là le vrai point faible de cette exposition : il n’y a pas de terrain commun de signification permettant au visiteur d’entrer activement dans une démarche esthétique. D’où une absence d’empathie, pourtant essentielle pour entrer dans un univers artistique étranger sans être au premier abord aveuglé par le jugement de valeur.

Mais, tout de même, semble murmurer Laurent Le Bon en quittant son bureau, le coup de la barbichette, c’était pas si mal…

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One Comment

  1. Drôle, percutant, bien vu – merci!

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