Balade dans le maquis de l’export
Profitant du premier jour de repos du Tour de France après le passage des coureurs dans mes chères Pyrénées (ce qui me dispensera de regarder la suite de ce tour qui le fut en son temps), je me suis promené sur les sites institutionnels français dédiés à l’accompagnement des entreprises à l’international. Le dispositif français et l’appellation des différentes structures changent si souvent qu’il convient d’effectuer cette promenade tous les deux ou trois ans pour s’y retrouver dans pareil maquis.
Voyez l’effort louable de la Cour des comptes qui a essayé d’en faire une synthèse dans son rapport d’octobre 2022 sur les dispositifs de soutien à l’exportation (source ici, pdf) :
Ainsi, vous savez peut-être qu’en 2015 UBIFRANCE et l’AFII (Agence française pour les investissements internationaux) ont fusionné pour donner naissance à Business France. Cette agence se présente comme « le partenaire clé des entreprises qui veulent se connecter aux marchés mondiaux, accélérer la mise en œuvre de leurs projets business internationaux et réussir à générer rapidement des courants d’affaires » (plaquette de présentation 2022, source ici, pdf). En voici les chiffres clés en 2022 (même source):
En 2018, le gouvernement lance la Team France Export (TFE), structure conçue comme le “rassemblement de toutes les solutions publiques proposées par les Régions, les services de l’État, Business France, les Chambres de Commerce et d’Industrie et Bpifrance pour faire gagner les entreprises françaises à l’international”.
Une heureuse surprise
Pourquoi passer du temps sur ces sites dont l’esthétique est plus ennuyeuse qu’une étape de plaine et dont les fonctionnalités laissent à désirer (par exemple, le moteur de recherche de Business France ne fonctionne pas) ? C’est que, plaidant pour une approche professionnelle des enjeux interculturels et espérant qu’un jour les acteurs publics les intègreront dans l’accompagnement des entreprises à l’international, j’essaie de faire régulièrement un état des lieux des évolutions sur le sujet depuis qu’en 2010 j’avais pesté contre le désert interculturel affectant le dispositif public français de soutien à l’export.
Or, en ouvrant la section Équipe export et formation du site de TFE, je lis avec grande satisfaction ces quelques mots introductifs :
« Le facteur humain est primordial lors du développement à l’international de l’entreprise. D’abord en raison de l’interculturel qui impacte la relation entre les parties et la négociation commerciale. Mais aussi car il influence la construction d’une équipe export. Choisir de recruter en interne ou en externe, en France ou à l’étranger, gérer une équipe interculturelle, sont autant de sujets que l’entreprise sera amenée à aborder à l’export. »
Il y a ensuite dans le menu de gauche une catégorie Commerce international et management interculturel, puis tout en bas et très modeste figure un encart « La dimension interculturelle dans les relations d’affaires » avec une illustration comprenant trois personnages. Rien n’indique qu’il s’agit d’un rapport de 48 pages en pdf et qu’il faut cliquer sur l’illustration pour le télécharger (mais pourquoi diable une telle discrétion?). Voici ce que cela donne dans l’économie du site :
Pour atterrir ici et cliquer sur l’illustration, il faut une grande part de hasard, ou d’égarement d’une page à l’autre, car rien n’indique qu’une pépite s’est glissée dans le site de TFE. Heureuse surprise, on tombe en effet sur un document passionnant : L’Atlas interculturel, sous-titré Prendre en compte la dimension interculturelle dans les relations d’affaires. On nous informe que l’Atlas est le « résultat d’enquêtes internes, conduites entre 2015 et 2018, au sein des équipes de Business France, réparties dans 87 bureaux, couvrant 124 pays et composées de plus de 40 nationalités différentes ». Vous le trouverez ici (pdf) ou ci-dessous :
la+dimension+interculturelle+dans+les+relations+d’affaires
Mérites et limites
Le travail effectué par les équipes de Business France doit être salué car il a été initié sur la base d’une prise de conscience de l’impact des facteurs culturels en contexte professionnel. Il s’est étalé sur plusieurs années et a mobilisé un personnel important dans de nombreux pays. Surtout, il partage quantité de témoignages et de retours d’expérience qui en font sa vraie richesse. Rien ne remplace en effet le vécu, les observations sur le terrain, les anecdotes réelles, pour identifier des fréquences de certains phénomènes.
C’est un point important. L’Atlas réunit des informations culturelles « sans prétendre à l’exactitude scientifique » (le panel par pays est trop limité, parfois réduit à un seul témoin, et la méthodologie reste très empirique), tout en permettant cependant de repérer des « tendances » (le terme apparaît à 48 reprises dans le rapport) culturelles, un terme assez rigoureux pour que des enseignements soient tirés des témoignages mais assez large pour qu’on prenne les résultats avec prudence :
« Comme dans toutes les questions interculturelles, les clivages ne sont pas tranchés. Il faut se contenter de parler de tendance. » (p.31)
L’Atlas a également le mérite d’être en prise directe avec les évolutions en cours. Il évoque par exemple la montée de l’individualisme en Corée du Sud ou l’expressivité grandissante des Tunisiens après le renversement de la dictature. Il faut aussi saluer toute la section sur les systèmes éducatifs dans la mesure où « l’éducation influence la manière de travailler » (p.44), une préoccupation qui m’est chère (voir sur ce blog Les systèmes éducatifs, clés essentielles de compréhension des différences culturelles).
Une limite importante concerne la mobilisation du modèle de Geert Hofstede, notamment ces catégories fort peu pertinentes et si mal nommées de « masculinité » et « féminité » des cultures (pp.33-37). Les rédacteurs de l’Atlas en sont cependant conscients quand ils expliquent (p.46) que le modèle Hofstede « date un peu » (puisque basé sur une étude réalisée de 1973 à 1979…) et « présente des limites » car Hofstede a effectué ses recherches chez les employés d’IBM dans le monde, d’où la question tout à pertinente qu’ils posent : « la culture d’entreprise IBM a-t-elle exercé une influence dans les résultats de l’étude ? »
Malgré ces limites, on s’interroge sur ce paradoxe que constituent l’effort produit par Business France pour produire un tel document et la discrétion absolue sur ce travail passionnant (difficile à repérer sur le site de TFE, aucune mention dans la presse ou les réseaux sociaux depuis sa parution). Voyons le verre à moitié plein et espérons qu’il s’agit d’une première pierre à l’édifice pour imaginer ce que pourrait être un jour un dispositif public français de l’approche interculturelle aussi ambitieux que celui des Canadiens (voir mon article sur le sujet).
Ce travail de recueil de témoignages et de retours d’expérience, je ne cesse de le promouvoir et de le mettre en œuvre en entreprise et en cours (voir par exemple ici et là des travaux d’étudiants ayant réuni les retours d’expérience d’étrangers coopérant avec les Français, ou encore ce que les Indiens disent au sujet de leur relation professionnelle avec nous).
Enfin, l’Atlas présente tellement de témoignages intéressants que j’en ai fait une petite sélection et que je les ai reportés sur une carte. A mon tour donc de vous inviter à une promenade qui, je l’espère, sera plus divertissante que dans le maquis du dispositif public de soutien à l’internationalisation des entreprises :
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