Ces huit derniers mois, nous avons assisté à une évolution si importante de la culture populaire américaine qu’il ne faut pas hésiter à parler de révolution culturelle. Elle concerne les trois super-héros emblématiques : Batman, Superman et Spiderman, qui ont porté et diffusé les valeurs américaines tout au long du XXe siècle en façonnant une représentation du monde conforme aux intérêts des Etats-Unis.
La succession et l’importance de ces évolutions sur une courte période de temps ne manque pas de surprendre. En liant ces événements les uns aux autres, on ne peut que s’interroger sur leurs relations et leur possible planification. Cela correspondrait-il à un changement stratégique majeur des Etats-Unis en matière d’influence culturelle?
Décembre 2010 : Batman s’internationalise
J’ai déjà analysé cette évolution dans un article de janvier 2010 : Dangereuses simplifications : Batman à Clichy et clichés dans Le Monde. Pour rappel, dans le douzième numéro de la revue Annual Detective Comics, Batman annonce la création d’une franchise de super-héros de façon à combattre le crime dans plusieurs pays en même temps.
Pour la France, Batman fait un choix qui a suscité la colère des conservateurs américains : la promotion d’un jeune de banlieue au rang de super-héros (le « Nightrunner »), Bilal Asselah, dont les parents sont des musulmans d’origine algérienne (vous trouverez quelques images dans le lien précédent). Cette première évolution indique un fléchissement du modèle du super-héros américain « blanc » vers une internationalisation et une « ethnicisation ». Voici Bruce Wayne, alias Batman, qui demande à Bilal de l’aider à « sauver Paris » :
Avril 2011 : Superman renonce à la citoyenneté américaine
Dans le n°900 d’Action Comics, Superman fait une annonce retentissante : il renonce à la citoyenneté américaine alors que Superman incarne justement le Citoyen américain jusque dans la devise qu’il revendique régulièrement quand il dit combattre pour « la vérité, la justice et l’exemple américain [American way] ». Ainsi à la fin du film Superman II (1980), on voit le super-héros remettre le drapeau américain sur le toit de la Maison Blanche où il a affronté trois affreux « Kryptoniens » :
Désormais, les Etats-Unis ne suffisent plus à son terrain de jeu. Superman déborde des valeurs américaines pour embrasser des valeurs universelles et affronter le mal partout dans le monde (notamment en Iran d’après les vignettes qui circulent sur internet). Il se détourne donc de son « américanité » pour ne plus être identifié aux intérêts des Etats-Unis:
Août 2011 : Spiderman meurt et renaît en latino-noir
La dernière évolution concerne Spiderman et est encore plus radicale. Peter Parker, alias Spiderman, meurt. Dans le premier numéro d’une revue initulée Ultimate Spiderman, il est remplacé par Miles Morales qui est latino et noir. Après Batman qui recrute un super-héros parmi les descendants d’immigrés en France, c’est à présent le super-héros lui-même qui devient un représentant des minorités dites visibles, et au sein même de la société américaine:
Alors, hasard ou nécessité ?
Quand on considère le poids de ces figures emblématiques dans la culture populaire américaine, il est difficile de voir dans ces évolutions de simples coïncidences. Bien au contraire, il y a là une remarquable cohérence par rapport à l’évolution, d’une part, de la société américaine et, d’autre part, de la stratégie d’influence culturelle menée par les Etats-Unis.
Ainsi, dans la précédente revue de presse publiée sur ce blog (Minorités sur un mode majeur), j’évoquais un article du Monde Diplomatique faisant état du basculement de la société américaine vers une société post-européenne. Autrement dit, la démographie des Etats-Unis évolue d’une population majoritairement blanche à une population majoritairement issue de minorités non-blanches. Le basculement de l’une vers l’autre va se produire en 2050. Il est donc absolument indispensable pour des raisons de cohésion sociale que la culture populaire anticipe et dédramatise cette évolution. Voilà pour le Spiderman latino-noir.
L’élection de Barack Obama, président aux origines multiples, est habilement utilisée par les Américains pour diffuser un message d’ouverture culturelle. La propagande culturelle « aux gros sabots » où il était facile d’identifier le message du gouvernement américain derrière les paroles et les actes des super-héros laisse place à une valorisation du global au détriment du national. Mais si Superman abandonne la nationalité américaine, il peut s’agir somme toute d’une sorte de ruse de la raison nationale au sens où la promotion du global sert indirectement les intérêts américains. Sous prétexte d’embrasser le monde, Superman essaie de nous faire oublier qu’il est en fait un produit de la culture américaine.
Enfin, Batman s’internationalise en quittant le territoire américain, mais pas les références culturelles américaines. C’est une délocalisation et une “filialisation” mais les racines restent identiques, même lorsque Batman recrute son alter ego en France. Je vous renvoie ici à l’article La stratégie américaine pour influencer les minorités en France dans la mesure où le choix du Nigthrunner ainsi que la rhétorique qui l’accompagne correspondent tout à fait à la volonté des Etats-Unis de diffuser et imposer en France une grille de lecture américaine de la société française.
Pour résumer :
1. Le nouveau Spiderman correspond à des objectifs de cohésion sociale au sein de la société américaine: adaptation aux évolutions démographiques des Etats-Unis.
2. Le nouveau Superman permet au national d’avancer masqué derrière l’ouverture au global: adaptation à la nouvelle donne multipolaire du monde.
3. Le nouveau Batman diffuse une grille de lecture américaine derrière la promotion d’un héros local issu de la diversité: adaptation de la stratégie d’influence culturelle aux défaillances sociales en France.
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Très intéressante mise en perspective, merci
Sur Actuabd, un article analyse les nouvelles formes de western qui sont portées par les super-héros au cinéma:
http://www.actuabd.com/Les-super-heros-au-cinema-ou
@bdplus – merci pour lien, archivé! (Et certainement présent dans la prochaine revue de presse du mois d’août…)