Voici une récente intervention de Fons Trompenaars, auteur entre autres de L’entreprise multiculturelle. Il s’agit d’un ouvrage très important dans la mesure où il renouvelle et modernise l’approche interculturelle du management. Il s’inscrit à la fois dans la continuité de l’école néerlandaise du management interculturel inaugurée par Geert Hofstede et dans une réflexion critique des apports de ce dernier. Trompenaars met à jour des dimensions culturelles plus affinées qu’Hofstede et ouvre la voie à une véritable anthropologie managériale.
Ici, il intervient sur la thématique de l’innovation en temps de crise.
Mise à jour du 25 juillet 2013: la vidéo n’est plus accessible et n’apparaît donc plus dans cet article mais je fais ci-dessous un résumé des points les plus importants.
La faillite de la pensée bipolaire
Le système éducatif, spécialement dans les pays occidentaux, ne nous aide pas à être innovants. Trompenaars identifie notamment une raison à cette situation: le développement d’un mode de pensée bipolaire. Autrement dit, les Occidentaux ont tendance à envisager les problèmes sous le mode simpliste de l’alternative (une organisation est soit centralisée, soit décentralisée). Au lieu de penser la raison de ce partage, on s’attacherait ainsi à donner une raison à l’un ou l’autre terme de l’alternative (soit une organisation est centralisée pour faire des économies d’échelle, soit elle est décentralisée pour être flexible et proche des consommateurs).
A titre d’exemple de cette pensée bipolaire, Trompenaars évoque les questionnaires de profilage psychologique établis par Myers Briggs. En établissant des scores quantifiant et discriminant la part du cognitif et de l’affectif chez l’individu, on en vient à croire que lorsque celui-ci pense, il ne ressent pas d’émotion – et inversement. D’où la plaisanterie de Trompenaars, « ceux qui ne font que penser, on les appelle des robots, des névrosée ou bien… des Français! » (Trompenaars aura d’ailleurs rappelé au début de son intervention que sa mère était française…)
Il affirme ensuite de façon définitive: « Le monde devient de plus en plus divers, et nos technologies et nos approches, spécialement éducatives, ne nous aident pas à saisir cette diversité mais rendent le monde encore plus différent. » A différents stades de cette complexification du monde, on isole ainsi certaines compétences (le courage, l’esprit d’équipe ou le leadership, etc.) qui ont chacune leur mode avant d’être niée par la suivante. Or, « l’innovation, c’est l’art de combiner. »
Trompenaars évoque ensuite la question de la valeur ajoutée selon Michael Porter (il faut ajouter de la valeur dans la chaîne de valeur). Soit une voiture, sa valeur réside par exemple dans sa vitesse ou bien dans sa sécurité. Si l’on ajoute de la valeur à la vitesse, ce sera au détriment de la sécurité, et inversement. D’où: « Vous ne pouvez pas ajouter de la valeur, car les valeurs ne sont pas des choses qui s’ajoutent. » C’est là une croyance de la pensée bipolaire. L’essentiel est de parvenir à compléter les valeurs, dans le cas présent vitesse et sécurité. Tout l’art de l’innovation est là, dans cet art de combiner des valeurs qui se contredisent.
Combiner les contradictions
Quelle culture est donc la plus apte à l’innovation? Pour aborder ce problème, Trompenaars part d’un article de Larry Greiner, « The evolutionary growth of innovative organizations ». Il est fondamental pour passer de l’invention à l’innovation de connaître le moment où les petites équipes d’incubation de la nouveauté doivent passer au stade « familial ». C’est l’exemple de Google qui, pour pouvoir attirer des investisseurs, a dû laisser ces derniers lui trouver un PDG.
Trompenaars fait ensuite une intéressante remarque à propos des Français. Il note en effet que, si ces derniers appartiennent tout comme les Américains aux cultures individualistes, il n’en sont pas moins collectivistes. Les Français ont cette particularité d’être individualistes mais toujours ensemble. Leur individualisme se manifeste au sein de groupes fortement identifiés, qu’il s’agisse de la famille ou de « l’esprit de corps ». Voilà qui rejoint les remarques finales de l’article publié sur ce site Comment portez-vous la cravate?
Il s’agit là d’un exemple de cette contradiction culturelle qui ne peut être résolue par la pensée bipolaire mais par une approche complémentaire ou combinatoire. Ainsi, Trompenaars complète cet exemple avec celui des Japonais pour poser la question de la prime récompensant l’individu ou l’équipe. Si l’on reste dans cette alternative, on ne résout par le problème. Une solution serait d’accorder une prime à l’équipe en la récompensant pour la créativité individuelle et à l’individu qui aurait manifesté le meilleur esprit d’équipe. Il s’agit de créer un esprit de coopétition.
De l’in-novation à l’ex-novation
Se pose donc la question du leadership. Quel type de leader favorise l’innovation? Trompenaars évoque les travaux de Greenleaf sur la notion de « servant leader« , celui qui n’a à l’esprit que l’obsession de faire en sorte que les autres soient plus performants. Ce n’est pas un « servant » mais un « servant leader« . Il insiste ensuite sur le fait qu’une des pires des choses, c’est d’être équilibré (balanced) car l’équilibre, c’est justement le milieu inerte et neutre de la pensée bipolaire. C’est le point zéro de la combinaison. Mieux vaut donc intégrer qu’équilibrer.
Revenant sur le problème de l’innovation qui se pose à une organisation qui se développe après être passée au stade « familial » et qui donc gagne en hiérarchies et en bureaucratie, Trompenaars pointe du doigt la nécessité pour cette organisation de préserver le stade initial du moment de l’incubation. de l’invention. Ainsi, nous avons toujours affaire au même problème: faire en sorte de combiner des valeurs contradictoires, seule garantie de l’innovation. Le vrai défi pour une grande organisations n’est plus tant l’in-novation que l’ex-novation, la capacité à aller en dehors des sentiers battus. D’où des partenariats avec des acteurs en dehors de son industrie, une réinvention des modèles de business et une nécessité constante de sortir de soi-même.
Pour poursuivre la réflexion, je vous invite à consulter sur ce site l’article en deux parties consacré aux freins culturels de l’innovation en France (ici et là).
Quelques suggestions de lecture:
- Contribution aux 3e Cahiers de la Guerre Economique consacrés à l’intelligence de l’innovation
- Freins culturels à l’innovation en France : un inventeur salarié témoigne
- Comment perdre 50 millions d’euros pour 1 euro…
- Intelligence culturelle : éléments de réflexion pour une approche française
- L’épreuve du réel – revue de presse
- Le troisième côté de la barrière – ou la dimension culturelle du risque
Pour ma part, je ne peux que souscrire à vos propositions.
Si il m’arrive d’être innovant, c’est que je regarde ailleurs, je considère d’une façon critique les idées des autres, ça veut dire que j’en tiens compte, à savoir que si elles sont valables, alors je les valorise.
Bonjour Olaf, je précise seulement qu’il s’agit là d’un simple compte-rendu de ma part de l’intervention de Trompenaars. Certains éléments mériteraient quelques commentaires et développements. J’aurai l’occasion de revenir un de ces jours sur les points abordés dans des articles sur les dimensions culturelles chez Trompenaars et sur la question de la pensée “bipolaire” en Occident…