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L’illusion de la simultanéité

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Deux miroirs se font face : pour le myope, c’est le désordre, pour le presbyte l’infini. Arthur Schnitzler, La transparence impossible

L’expression « illusion de la simultanéité » est généralement utilisée pour dénoncer les effets de la communication-monde où l’instantanéité des communications crée l’illusion de l’instantanéité des relations interindividuelles. Je lui donnerai un sens plus large en mettant en garde contre le risque de déduire de la proximité des cultures sur le plan géographique une proximité de celles-ci sur le plan historique.

A chacun son histoire

Dans un précédent article consacré à l’Arabie saoudite, je rapportais l’anecdote suivante où un Français qui donnait des leçons de démocratie à un Saoudien s’entendit répondre : « Dites-moi, votre monarchie en France, n’a-t-elle pas duré 1000 ans? » Le royaume d’Arabie saoudite ayant été fondé il y a 76 ans, il voulait dire par là, d’une part, que chaque pays a sa propre temporalité, sa propre histoire, son propre tempo d’évolution et, d’autre part, qu’il y avait un décalage de perception entre lui et ce Français qui raisonnait à partir de repères culturels et historiques ne correspondant pas à la réalité saoudienne.

Autrement dit, le Français et le Saoudien, dialoguant dans le même espace, ne percevaient pas la réalité selon le même plan historique. Nous pouvons approfondir cette remarque en remarquant que l’histoire conditionne la perception de la réalité. Or, loin d’être un flux unifiant les peuples dans un même élan ou sous une idée commune, l’histoire a elle-même sa propre géographie, complexe et plurielle. Chaque culture s’inscrit dans un mouvement historique particulier tout en interagissant avec d’autres mouvements, ce processus conditionnant la perception que chaque culture a d’elle-même et des autres.

La mondialisation actuelle où une culture est d’une façon ou d’une autre en contact permanent avec d’autres cultures donne l’impression d’un rétrécissement de la planète, à tel point qu’on en vient à parler de village mondial. Cette notion de village mondial – du fait de la rapidité des transports, de l’instantanéité des communications et de l’organisation en réseau de l’économie, des hommes et du savoir – crée l’illusion que les cultures se trouvent sur un même plan relationnel.

Or, cette apparente uniformisation masque mal en réalité des revendications identitaires de plus en plus affirmées, et surtout des décalages dans les représentations en termes de réalité historique. De nombreux événements ont montré récemment que la prise en compte de l’histoire nationale de chaque pays est devenue une réalité incontournable, non seulement pour les relations inter-étatiques mais aussi pour les entreprises.

Géographie de l’histoire

Afin de mieux saisir cette idée, établissons une analogie entre la géographie et l’histoire. De même que la carte géographique décrit le monde du point de vue de celui qui la produit ou l’utilise, le livre d’histoire décrit le monde du point de vue de celui qui le rédige ou le lit.

The world according to AmericaAinsi, chaque pays aura tendance à centrer la carte du monde sur lui-même ou à percevoir les autres pays par référence à sa position géographique. Certains auront ainsi l’impression d’être au centre ou à la périphérie du monde. Une vision subjective de cette position dans le monde se superpose ainsi à une représentation objective des territoires. A une géographie réelle se substitue une géographie idéale ou fantasmée. Voyez la représentation humoristique du monde selon les États-Unis (cliquez sur l’image pour l’agrandir).

Australie - planisphère renverséMais on aurait tort de se moquer des Américains, ce phénomène est à l’œuvre pour chaque pays selon divers critères culturels. Par exemple, les Australiens se sont insurgés contre une représentation du monde centrée sur le méridien de Greenwich qui place le Nord en haut de la carte et le Sud en bas pour des raisons arbitraires historiques (cette convention provient des Britanniques qui ont établi une carte du monde selon leurs impératifs de commerce et d’exploration). Ils ont donc établi une carte du monde inversée et centrée sur l’Australie (cliquez sur l’image pour l’agrandir).

Carte du monde chinoise - XVe siècleSi l’on consulte les cartes géographiques anciennes, on réalise à quel point elles sont le reflet d’une vision du monde. Voyez cette ancienne carte de la Chine de la fin du XVe siècle. Elle provient de l’ouvrage passionnant L’Atlas des Atlas, le monde vu d’ailleurs, édité par Courrier International et Arthaud. L’Empire du Milieu apparaît tel qu’il est : le centre du monde connu à cette époque.

Ce centre, ce milieu, chaque pays l’est d’une certaine façon. Ainsi, quand on regarde n’importe où dans le monde les informations télévisées, le pays en question devient, pour des raisons évidentes, le centre. Ce qui est plus intéressant, c’est que par rapport à ce centre, on découvre à chaque fois une périphérie nouvelle qui entre en interaction avec ce centre.

Prenez la France : les informations concernant les autres pays européens sont assez parcellaires, sortez de ce cercle et, à part les Etats-Unis et la Chine, le reste du monde devient une nébuleuse qui s’éclaircit parfois un bref instant sous le coup d’une catastrophe, d’un attentat ou d’une nouvelle insolite. Partez en Arabie saoudite : on découvre alors une périphérie de pays dont on n’entend pas ou peu parler en France où le Yémen, le Soudan ou l’Iran font leur irruption dans les actualités pour les dangers – réels ou fantasmés – que représentent ces pays pour l’Occident. Mais que sait-on de l’actualité quotidienne de ces pays?

Reprenons la carte inversée de l’Australie et consultons également la carte du monde centrée sur la Chine (cliquez pour l’agrandir). Dans les deux cas, regardez où se trouvent l’Europe et la France et quelle est leur place dans cette vision du monde : périphérique et minime.

Or, pour revenir à l’analogie signalée au début, ces phénomènes de distorsion de l’espace géographique se retrouvent dans la représentation que chaque pays se fait de lui-même sur le plan historique.

Vices de vieillesse ?

Le 22 janvier 2003, le Secrétaire d’Etat américain, Donald Rumsfeld, interrogé par un journaliste sur l’état des relations entre les États-Unis et l’Europe au moment des discussions sur l’invasion de l’Irak, a cette réponse désormais célèbre : « Vous pensez à l’Europe en tant que France et Allemagne. Pas moi. Je pense que c’est là la vieille Europe. Si vous regardez l’Europe de l’OTAN aujourd’hui, son centre de gravité se déplace vers l’Est. »

On connaît le discours de Dominique de Villepinau Conseil de sécurité des Nations Unies le 14 février suivant. Je citerai seulement la fin : « La lourde responsabilité et l’immense honneur qui sont les nôtres doivent nous conduire à donner la priorité au désarmement dans la paix. Et c’est un vieux pays, la France, d’un vieux continent comme le mien, l’Europe, qui vous le dit aujourd’hui, qui a connu les guerres, l’occupation, la barbarie. »

Mais on connaît moins le début de l’intervention de Jack Straw, qui s’exprimait au nom de la Grande-Bretagne alliée des Américains dans leur volonté d’envahir l’Irak : « M. le Président, je parle au nom d’un très vieux pays fondé en 1066 par les Français… » faisant allusion à l’invasion de Guillaume le Conquérant originaire de Normandie. Quant au Chinois Tang Jiaxuan, il a terminé son allocution en déclarant : « La Chine est une nation ancienne. Nos ancêtres ont préconisé il y a longtemps l’idée de la paix comme étant la meilleure option. »

S’il est clair dans l’esprit de Rumsfeld que l’expression « vieille Europe » désignait la France et l’Allemagne comme deux entités immuables par opposition aux « nouveaux nés » des pays d’Europe centrale et de l’Est – alors même que ces pays ont une histoire aussi ancienne, sinon plus, que la France et l’Allemagne – elle n’en révèle pas moins une représentation coutumière des Américains pour lesquels l’Europe est vieille et sclérosée tandis que les États-Unis sont jeunes et dynamiques.

Ce n’est pas l’objet de discuter ici de la pertinence ou non d’une telle représentation. Ce qui nous intéresse, c’est la différence entre les plans historiques des uns et des autres. Les États-Unis se perçoivent à juste titre comme une nation récente. La déclaration d’indépendance date du 4 juillet 1776 et le traité de Paris mettant fin à la guerre d’indépendance a été signé le 3 septembre 1783. Les États-Unis ont donc un peu plus de deux siècles d’existence.

Ainsi, il n’est pas dans leur habitude de prendre en compte dans leurs relations avec les autres pays les facteurs liés au poids de l’histoire. Cette méconnaissance entraîne de profonds malentendus dans la gestion de conflits et de crises où les États-Unis ne parviennent pas à prendre en compte le contexte culturel local. Le lecteur pourra se référer ici à la comparaison entre l’occupation du Japon et celle de l’Irak par les Américains dans l’article Quand Obama s’incline.

Pour revenir aux différentes interventions du 14 février 2003, on perçoit également une différence entre la France et la Grande-Bretagne qui revendiquent l’idée de vieillesse (« old country », dans le texte en anglais de l’une et de l’autre) et la Chine qui met en avant l’idée d’ancienneté associée à une dimension civilisationnelle (« ancient civilization » dans le texte en anglais). Autrement dit, la Chine se perçoit dans un horizon historique bien plus large que la France et la Grande-Bretagne et comme se suffisant à elle-même.

Ainsi, les plans historiques diffèrent : si les États-Unis sont une jeune nation pour la France, celle-ci est un nourrisson pour la Chine. Or, comme le fait remarquer Jean-François Billeter dans son livre lumineux Chine trois fois muette, « la durée de ce passé est en hausse » : « Il y a quelques années, il était à tout propos question des cinq mille ans d’histoire de la nation chinoise. Aujourd’hui, il est question de dix mille ans de civilisation chinoise. » L’enjeu : glorifier le passé, liquider les humiliations coloniales, unifier les Chinois dans un élan de patriotisme. Si, en revendiquant l’appartenance à la vieille Europe, la France signifie aux États-Unis qu’elle ne saurait se ranger à l’ordre historique américain, la Chine, en mettant en avant l’ancienneté de sa civilisation, fait savoir qu’elle n’a de compte à rendre à personne.

Prenons deux exemples où la diversité de ces dimensions historiques est méconnue ou volontairement atténuée  ou manipulée à des fins politiques et économiques : le sommet de Copenhague et l’influence grandissante de la Chine en Afrique.

Le sommet de Copenhague ou une cacophonie historique

Il n’y a plus de modèle ou de vision unitaire de l’histoire qui placerait les pays sur une échelle d’évaluation commune. On ne peut plus juger les pays selon leur degré de démocratisation, de respect des droits de l’homme ou de garantie de la liberté publique et privée dans la mesure où ces critères étaient émis par des pays occidentaux qui les ont eux-mêmes discrédités.

C’est une lourde défaite morale dont se fait l’écho Kishore Mahbubani dans son livre Le défi asiatique. Comment prôner la démocratie quand les grandes institutions internationales comme le FMI ou la Banque mondiale sont verrouillées par les Occidentaux ? Ainsi, 12% de la population mondiale décide pour le reste de la planète : « Ce sont les nations les plus démocratiques au monde, les nations occidentales, qui font tout pour maintenir cet ordre antidémocratique », écrit Mahbubani.

De quelle autorité économique peuvent se prévaloir les Américains après l’effondrement du modèle libéral ? Comment prôner les droits de l’homme après les tortures en Irak et après Guantanamo ? Comment la France peut-elle se prévaloir d’une supériorité morale auprès des Africains après son soutien aux dictatures africaines ? Nombreuses sont les contradictions des Occidentaux qui, désormais, sapent leur autorité auprès des pays émergents.

Or, la cacophonie de Copenhague ne tient pas seulement aux revendications chaotiques d’un monde multipolaire, il s’agit également d’une confrontation de plans historiques dont voici le résumé:

  1. les pays développés ont atteint un niveau de qualité de vie au prix de destructions environnementales,
  2. si les pays sous-développés et émergents cherchaient à atteindre un niveau de développement comparable, cette destruction deviendrait irréversible,
  3. les pays sous-développés et émergents ne doivent pas suivre la voie des pays développés qui a pourtant été érigée en modèle,
  4. donc les pays sous-développés et émergents perçoivent l’alarmisme des Occidentaux comme une demande implicite de ralentir ou stopper leur propre développement historique.

C’est sur ce dernier point qu’a lieu le hiatus chronologique. A la table de négociations se sont retrouvés à Copenhague des pays situés au point postmoderne de leur développement et d’autres qui se situent des décennies, voire des siècles en arrière, concernant l’accès à l’eau, l’alimentation, l’éducation, la santé, la couverture sociale, les transports, l’urbanisation, etc. Comme le rappelle un article du New York Times, si la Chine est la troisième puissance économique mondiale, elle est l’une des plus pauvres du monde quand on rapporte sa richesse par habitant, il en va de même avec l’Inde.

Ainsi, quand les Occidentaux s’adressent à ces pays, ils utilisent le même langage que lorsqu’ils s’adressent à eux-mêmes. Ils jugent des autres pays de la même façon qu’ils se jugent eux-mêmes, selon un plan historique qui ne correspond pas à celui des pays sous-développés et émergents. Consciemment ou non, ils manipulent une illusion de simultanéité qui, dans le meilleur des cas, stérilise les discussions et, dans le pire des cas, mène à la conflictualité.

La Chine en Afrique ou le dialogue des Anciens

L’illusion de simultanéité est parfois un allié stratégique pour asseoir une stratégie de conquête de marché. La Chine est à ce titre passée maîtresse de cet art dans ses relations avec les pays africains.

Or, il ne faut pas négliger le fait que les contacts entre la Chine et l’Afrique ne datent pas d’hier ou d’avant-hier mais remontent à plusieurs siècles. Ainsi, un voyageur nommé Du Huan aurait accosté au VIIIe siècle sur les côtes de l’Afrique de l’Est ou du Nord. Il est en revanche attesté que Zheng He a exploré l’Afrique de l’Est au XVe siècle[1. Pour plus de détails, voir le livre de Dominique Lelièvre, Voyageurs chinois à la découverte du monde]. En 1414, le sultan de l’actuel Kenya établit ainsi des relations diplomatiques avec la Chine. Une des grandes différences d’avec les explorateurs européens – qui sera exploitée ultérieurement par les autorités chinoises – tient à ce que ces explorations n’ont pas donné lieu à des tentatives de colonisation territoriale.

Voyez à présent comment ces circonstances historiques sont intégrées dans le discours de la Chine à l’Afrique :

“La Chine et l’Afrique sont deux berceaux de civilisations antiques du genre humain; leurs histoires et leurs cultures respectives très anciennes constituent des composantes importantes de la civilisation mondiale.” Allocution prononcée le 10 octobre 2000 par le Président chinois Jiang Zemin à la cérémonie d’ouverture du Forum sur la Coopération sino-africaine.

“Malgré l’éloignement géographique, l’amitié sino-africaine plonge ses racines dans la profondeur des âges et ne cesse de s’approfondir au fil des ans. […] La Chine et l’Afrique, berceaux de la civilisation humaine et terres d’espoir, sont liées étroitement par une communauté de destin et par des objectifs communs.Discours de Hu Jintao, président de la République populaire de Chine, lors de la cérémonie d’ouverture du sommet de Beijing du Forum sur la Coopération sino-africaine de 2006.

“La Chine est un ami historique de l’Afrique, car notre amitié commença il y a huit siècles lorsque le premier cortège de bateaux a accosté l’est de l’Afrique. La Chine est un camarade combattant de l’Afrique, car il ont vécu les mêmes histoires de colonisation, et elle a soutenu fermement les luttes pour l’indépendance et la décolonisation des pays africains, en même temps qu’elle a eu les soutiens précieux de ces derniers le long du chemin de sa renaissance.Allocution de M. Huang Changqing, Ambassadeur de Chine au Cameroun à l’occasion de la soirée d’amitié avec la presse camerounaise, décembre 2009

L’argumentaire tient de la communauté d’histoire et de destin. L’ancienneté des pays et la lutte contre la colonisation étant mis en avant pour susciter une relation d’égal à égal. Tout l’enjeu est de marteler cette illusion de simultanéité historique. En outre, si vous lisez de nombreux discours de dirigeants chinois, vous serez surpris de retrouver non seulement toujours ces mêmes éléments, mais également une phrase qui revient textuellement en leitmotiv dans quasiment toutes les allocutions : “La Chine est le plus grand pays en développement, l’Afrique est le continent qui comprend le plus grand nombre de pays en développement”, entretenant désormais habilement chez leurs partenaires africains une impression de contemporanéité…

Conclusion : l’histoire n’est jamais neutre

L’histoire n’est jamais neutre mais elle peut mener à des résultats stériles lorsqu’elle renvoie à une forme de temporalité en apparence universelle et abstraite. Le présent commun, gage de l’avenir commun, ne parlera pas aux pays sous-développés et émergents si les références restent encore occidentales. A ce titre, l’échec de Copenhague n’est peut-être pas aussi catastrophique qu’on ne le dit. Il marque l’émergence d’une complexité nouvelle qui obligera nécessairement les grands pays occidentaux à se démarquer de leurs propres catégories de pensée.

Alban Bensa écrit dans La fin de l’exotisme : « Le présent de chaque univers local se sent trahi dès lors qu’on le fait monter sur la scène de ce présent mondial qu’est le monde contemporain. Le changement de référence temporelle suscite l’impression d’un passage du vrai au faux, du modèle à la copie. » L’inverse est également vrai : redescendre du présent mondial pour se mettre au niveau du présent local suscite l’impression du passage du faux au vrai et de la copie au modèle.

Attitude qui suppose une approche de la réalité locale respectueuse de sa propre représentation d’elle-même, attitude humble donc mais qui peut ne pas être dénuée d’arrière-pensée. Les vrais manipulateurs savent que pour influencer l’autre il est toujours plus fructueux de flatter son image que d’imposer la leur…

Pour prolonger sur les relations entre la Chine et l’Afrique et sur les rapports entre l’histoire et l’idéologie, je vous invite à consulter l’article Le charme de la girafe – expéditions navales chinoises au XVe siècle. Voyez également Soft power chinois en Afrique.

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Quelques suggestions de lecture:

4 Comments

  1. les référentiels géodésiques ont été, jusqu’à l’invention des satellites, des données stratégiques. En servant de base a la représentation topographique ils participaient a donner une image fonction de l’état. les satellites(et les systèmes de navigation associés, GPS, Glonass, Beidou, galliléo) sont les vecteurs les plus efficaces de la mondialisation mais ils n’ont pas supprimé les représentations primitives du monde; ils n’ont fait que supprimer les “terra incognita” des proto-atlas.

    La géographie a ses débuts était homomorphique centré sur le nombril de son concepteur.

  2. “une représentation du monde centrée sur le méridien de Greenwich qui place le Nord en haut de la carte et le Sud en bas pour des raisons arbitraires historiques (cette convention provient des Britanniques qui ont établi une carte du monde selon leurs impératifs de commerce et d’exploration).”

    Bonjour,

    Si vous me permettez, cette affirmation est inexacte selon plusieurs points de vue.

    Ptolémée, l’un des précurseurs de la géographie, établissait déjà le Nord en haut et le Sud en bas, ce qui est effectivement une démarche arbitraire. En revanche, il ne voyait aucune connotation péjorative ou méliorative dans le fait de placer les uns en haut et les autres en bas, ne sachant pas à l’avance où étaient situés les territoires grecs ainsi qu’Alexandrie par rapport aux territoires restant à découvrir. Il aurait tout aussi bien pu établir le Sud en haut, cela n’aurait rien changé à sa façon d’étudier les territoires.

    Au vu des nombreux apports à la géographie de Ptolémée, il est normal que la majorité des cartographes au cours de l’Histoire aient privilégié par convention cette façon de placer les territoires sur une carte (on trouve cependant des cartes du moyen-age dans lesquelles c’est l’Est qui occupe le haut de la carte. Cette façon de voir le Monde aurait donné naissance à l’expression “s’orienter”, qui vient du terme “Orient”.).

    Ensuite, il est difficile de voir en quoi la “représentation du monde centrée sur le méridien de Greenwich qui place le Nord en haut de la carte et le Sud en bas” ait pu favoriser d’une quelconque manière les “impératifs de commerce et d’exploration des Britanniques”. Tout au plus cela leur permettait d’établir aux yeux du Monde une sorte d’hégémonie, c’est à dire de faire admettre au Monde que l’Angleterre était bien son centre, comme la Terre fut autrefois considérée comme le centre de l’Univers. En ce sens, c’est bien plus une question d’image de marque que de commerce ou d’exploration. Les marins et cartographes se moquent pas mal de savoir dans quel sens regarder une carte, pourvu que ses coordonnées soient justes.

    Enfin, cette convention ne peut pas venir des seuls Britanniques, car par définition, il faut être plusieurs pour une convention. De ce point de vue, les cartographe ayant succédé à Ptolémée étaient bien assez nombreux pour, à la longue, considérer cette représentation comme une convention acceptable par tous.

    En conclusion, il faut se garder de croire que la représentation actuelle (Nord=haut) ait quoi que ce soit à voir avec une volonté de domination des cartographes européens. En revanche, il semble établi que ceux (Australiens et Néozélandais) qui ont proposé les premières cartes inversées ne l’ont fait que pour compenser leur propre complexe d’infériorité.

  3. Benjamin PELLETIER

    @jimbo – En effet, il semble réducteur d’attribuer aux seuls Britanniques la décision de positionner ainsi le méridien de Greenwich, celle-ci ayant été prise lors d’une conférence internationale en 1884. Je n’ai pas les compétences historiques nécessaires pour savoir dans quelle mesure cette décision aurait pu être pilotée par les Britanniques.
    En revanche, il semble évident que le positionnement du méridien ait été lié à la position dominante de l’Europe au XIXe siècle, âge de d’or de son hégémonie et du colonialisme. Cf. par exemple L’invention des continents de Christian Grataloup, p.177:

    “La vision d’un monde eurocentré s’est imposée au moment où l’Europe était réellement le centre mondial, du milieu du XIXe siècle à 1914, lors de la seconde colonisation. En témoigne en particulier le choix du méridien d’origine, celui qui organise le temps universel (TU), dont tout professeur de 6e sait qu’il est bien difficile de convaincre les élèves de son caractère conventionnel. L’idée que Greenwich ait été choisi “parce qu’il est au milieu” est solidement ancrée dans beaucoup d’esprits.”

  4. Oui, au temps pour moi.

    J’ai favorisé la confusion en reprenant votre phrase en entier. Je pense que la volonté de placer le méridien de Greenwich à cet endroit précis était bien la marque d’un désir de domination politique de la part des Britanniques, qui ont su convaincre. Je n’ai pas non plus les compétences historiques nécessaires, mais je ne serais pas surpris d’apprendre que les Français ont tout fait pour que ce méridien “de départ” soit placé à Paris, et qu’ils ont échoué dans les négociations avec les autres puissances.

    Pour ma part, je faisais plutôt référence au placement Nord=haut/Sud=bas, qui, beaucoup plus ancien, ne reflète selon moi rien d’autre qu’un besoin de se situer.

    PS : je ne voudrais pas donner l’impression que je ne retiens que cela de votre article, au demeurant fort instructif 😉

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