Après un premier article présentant les fiches de neuf pays de la moitié de la promotion du master Transport et développement durable (proposé conjointement par l’École des Ponts ParisTech, Mines ParisTech et l’École Polytechnique associées à la Fondation Renault), voici le deuxième article avec l’autre partie de la promo de 28 étudiants de 11 nationalités différentes.
Rappelons qu’il s’agit d’extraits de travaux d’étudiants réalisés en groupe ou individuellement. Ils entrent dans le cadre d’exercices et études de cas visant à développer chez ces ingénieurs les compétences non techniques liées à la communication et à l’interculturalité. Ces extraits sont des points de vue, certes singuliers, mais également porteurs d’enseignements utiles pour qui entre en relation les pays d’origine de ces étudiants. Encore une fois, remercions-les pour avoir participé avec enthousiasme à ce travail.
Pays mentionnés : Brésil, Espagne, France, Japon, Liban, Maroc, Tunisie. Le nom des étudiants est indiqué à côté du pays.
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Brésil – Luis Gustavo Crespi Bozzo, Marcel Gonin de Campos
Au Brésil, il y a plusieurs situations auxquelles les étrangers doivent prendre garde pour éviter des situations embarrassantes. Par exemple, les Brésiliens vont saluer les étrangers comme s’ils étaient des amis de travail de longue date, mais cela ne représente pas forcément la vérité. Le peuple brésilien a l’habitude d’accueillir très amicalement les étrangers, mais ceux-là ne doivent pas penser que ce geste représente déjà une amitié très proche.
La vie professionnelle et la vie privée sont mêlées dans les relations au travail. Les Brésiliens s’intéressent autant aux compétences professionnelles qu’à la connaissance globale de la personne avec laquelle ils travaillent. Par conséquent, c’est extrêmement important pour un étranger d’établir des relations interpersonnelles. Par exemple, la première heure de travail est utilisée pour prendre un café et raconter comment s’est passé son week-end ou pour parler de la famille. Si vous ne partagez pas votre vie privée au travail, vous serez perçu comme asocial.
La réunion peut commencer avec 10 à 40 mn de retard. Le temps est moins une mesure qu’une séquence d’événements. Les Brésiliens sont en retard pour une réunion à cause d’un autre évènement arrivé plus tôt et pour cela ils ont le droit d’être en retard pour la prochaine réunion. En outre, les réunions au Brésil sont réalisées après qu’un travail précèdent a été finalisé. Les délais sont souples, selon les circonstances de chaque tâche. Le supérieur peut arriver en retard à la réunion.
Il faut savoir établir un contact interpersonnel avant d’aborder l’objet de la réunion. La convivialité pendant la réunion et en dehors est essentielle pour développer des affaires. A la fin de la réunion, il est très important pour les Brésiliens de procéder à un compte-rendu de la réunion qui est signé par tous les participants.
Espagne – Luis Martin Castaño
Les horaires de travail et le rythme de vie en général sont différents des pays voisins européens. Le travail commence entre 8h et 9h, avec une pause d’environ 30mn à 11h ou midi. Ensuite, le travail continue jusqu’à 14h, heure habituelle pour le déjeuner. En fonction de la charge de travail, le repas peut se prendre à 15h, voire 15h30 (le “menu del dia” est servi jusqu’à 16h). La journée finit vers 19h-20h. Le fait de lire le journal sur internet ou de consacrer du temps à une activité non professionnelle n’est pas considéré comme très grave.
Généralement, les collègues de travail avec lesquels on s’entend bien deviennent des amis assez proches. Le partage de la vie privée avec les collègues est fréquent, ce qui peut s’expliquer par le temps important qu’on partage ensemble au travail. De plus, il est normal de prendre un verre après le travail avec les collègues.
Il n’est pas habituel de serrer la main à tout le monde le matin, surtout si on ne se connaît pas. Mais saluer et demander si ça va est habituel. Vouvoyer peut mettre une barrière entre collègues, et même avec le manager. On ne doit pas partir avant le chef, même si on a fini son travail. En réunion, le supérieur arrive en dernier et en retard. La prise de parole est simultanée, avec plusieurs discussions en même temps.
Le planning est conçu de telle façon qu’il ne pourra pas être respecté. Il sert à inciter les collaborateurs à travailler plutôt que comme un élément d’organisation et de gestion. Ainsi, il n’est pas très grave de ne pas respecter le planning. L’apparence est importante: la tenue des managers doit être élégante et traditionnelle (port de la cravate pour les hommes).
La famille et les voisins constituent le premier réseau d’entraide des Espagnols, d’où l’importance d’avoir de bonnes relations avec son entourage. En Espagne, on valorise le “picaresque”: la capacité à obtenir des choses de façon astucieuse, même si cela implique parfois un non respect des règles ou de l’intérêt collectif.
France – Maïté Thirouin, Athur Albon
Derrière chaque situation informelle (invitation, restaurant, première rencontre), il existe un protocole et une politesse à respecter. Exemples: dites pardon quand on bouscule quelqu’un, utilisez le conditionnel “je voudrais” plutôt que le présent “je veux”, évitez de toucher le corps de votre interlocuteur, ne parlez pas trop fort, ne demandez pas l’âge de quelqu’un, ouvrez un cadeau dès qu’il est reçu, ne venez pas les mains vides à une invitation à la maison, proposez de l’aide en cuisine, ne mangez pas la bouche pleine, etc.
Le Français peut parler de sa famille ou de ses loisirs à un collègue avec lequel il s’entend bien mais seulement après avoir bâti une relation sur le long terme. En général, les conversations abordent les sujets sérieux (actualité, société, politique). Faites attention à certains sujets “futiles” (le temps qu’il fait, les objets) qui peuvent vous décrédibiliser.
Il faut savoir se montrer neutre, direct, serein et sérieux pour établir la confiance dans une relation professionnelle. Un comportement imprévisible ou des propos irréfléchis sont rédhibitoires pour les Français. La franchise est primordiale: le mensonge délibéré pour obtenir un avantage anéantit tout future relation.
La réunion est plus un lieu de débat que de décision. Il faut avant tout convaincre l’assemblée, expliquer et justifier chaque élément mentionné. Les questions sont donc nombreuses et les digressions par rapport à l’ordre du jour sont fréquentes.
En général, les Français adoptent un raisonnement déductif: ils s’appuient sur un contexte général pour arriver à des propositions particulières. Un discours structuré vient appuyer ce raisonnement. Il y a également une tendance à personnaliser les problèmes, ce qui peut renvoyer au second plan la recherche d’une solution.
Japon – Shoya Nishikawa
Au Japon, on baisse la tête pour manifester son respect et pour exprimer des excuses. Cela s’appelle ojigi. Mais il ne faut pas trop baisser la tête, cela doit être adapté à chaque situation. Exemples : il faut se pencher de 15 degrés de pour une petite maladresse, comme faire tomber un stylo, de 30 degrés pour demander des vacances, de 45 degrés pour s’excuser d’un retard, de 90 degrés lorsqu’il s’agit d’un grand problème, comme le patron de Toyota lors des rappels de Prius. Ces gestes sont si habituels qu’on les fait même en parlant au téléphone.
La réunion japonaise n’est pas toujours le lieu où on discute mais c’est souvent juste une occasion d’annoncer des décisions déjà prises. Avant la réunion, l’accord entre les participants a déjà été établi : cela s’appelle nemawashi. L’homogénéité du peuple japonais et son collectivisme entraînent une communication implicite. Les Japonais considèrent que les gens qui ne comprennent que ce qui est prononcé sont incultes et vulgaires.
Trois expressions peuvent résumer les caractéristiques du manager japonais :
« Tomber avant de faner » – Les Japonais adorent le cerisier. Nitobe Inazo explique dans son livre Bushido, l’âme du Japon que le cerisier dont les fleurs tombent avant de faner représente l’esprit des Japonais. Comme les fleurs du cerisier, les managers qui ont des problèmes ont tendance à quitter leur poste.
« Les branches qui portent le plus sont les plus basses » – Les personnes qui restent toujours modestes même quand elles ont un statut élevé, sont très appréciées. Même si vous connaissez beaucoup de réussites, il vaut mieux rester modeste et avancer tête baissée.
« Clou qui dépasse sera enfoncé » – Cet adage explique en quoi il est difficile de trouver un grand leader japonais. Les Japonais accordent parfois trop de d’importance au maintien de l’harmonie et n’apprécient pas les gens qui font les choses différemment des autres. Mais le manager doit avoir le courage de le faire, notamment lorsqu’il doit gérer une crise.
Liban – Kinda Khalil
Ne pas répondre à une invitation à un repas est mal perçu. Cela pourrait être pris comme une barrière que l’on désire dresser entre soi et l’autre, et cela peut engendrer des tensions ressenties lors de la communication a posteriori. « À peine rencontré, on est invité chez eux » affirme Julia Mendoza, journaliste née en Argentine et travaillant à Beyrouth depuis 2010 lors d’un témoignage sur sa vie “passionnante” au Liban. Les Libanais sont très chaleureux et accueillants et n’aiment pas être vexés par un refus de leur invitation.
Les hôtes prennent bien soin de leurs invités qui sont prioritaires, on commence par les servir au début en présentant ce qu’on a le mieux chez soi. Il existe une longue tradition d’hospitalité, très profondément ancrée dans les mœurs. Les Libanais considèrent comme un honneur de recevoir des invités, amis et parents. Ils se rendent souvent visite pour montrer l’importance qu’ils accordent à leurs relations. En théorie, les règles de l’hospitalité exigent que ce qui est offert soit accepté, mais généralement après l’avoir refusé une ou deux fois.
Etre sérieux dans ses relations sociales pourrait restreindre ce côté social. Il est préférable d’avoir le sens de l’humour et de savoir plaisanter avec les autres. Aborder les questions d’argent en interrogeant l’autre sur son salaire ainsi que sur les dépenses qu’il effectue est banni au Liban. Celui qui agit ainsi pourra être jugé impoli car il se mêle de la vie des autres.
L’importance accordée à l’apparence, voire au physique, est très ressentie. On est souvent jugé sur notre aspect extérieur ce qui, dans les cas extrêmes, pourrait contribuer à ne pas être pris au sérieux si cet aspect diffère des codes vestimentaires habituels. Une familiarité dans le travail est nécessaire, il s’agit là d’une question naturelle. Dissocier complètement vie sociale et vie professionnelle est perçu comme anormal.
En réunion, une maîtrise du sujet est nécessaire ainsi que des arguments assez solides pour justifier le point de vue en question, surtout si celui-ci présente un aspect nouveau ou contrarie la majorité des autres points de vue. Le non verbal est un moyen de communication indirecte très courant.
En ce qui concerne la ponctualité et la durée de la réunion, celles-ci ne sont pas nécessairement respectées. Ce qui compte en premier lieu, ce sont les décisions prises à l’issue des réunions ainsi que la participation des supérieurs. Un imprévu dans les horaires pourrait reporter la date prévue au préalable dans l’agenda ou créer un retard. Les décisions finales les plus importantes ne sont prises que par les patrons et les supérieurs.
Maroc – Hanane Hatimy, Mohamed Sebai, Ibtissam Yassine, Saad Ziadi
En général, les gens ne s’étonnent pas des comportements des étrangers dans l’entreprise ou à l’extérieur dans la vie quotidienne. Les Marocains sont très tolérants vis-à-vis des étrangers même quand ces derniers commettent des erreurs ou adoptent des attitudes inacceptables en général. Or, les faits qui choquent vraiment et qui sont difficilement acceptables sont les comportements qui touchent aux croyances et à la religion.
Entre les hommes et les femmes, la bise n’est pas automatique. Par ailleurs, la bise est un signe de rapprochement entre les hommes (la première fois, on se serre la main), pour les femmes c’est moins vrai. Donc se serrer la main est la première interaction attendue vis-à-vis d’un étranger, alors que faire la bise pourrait déranger, surtout entre une femme et un homme.
Les réunions au Maroc sont extrêmement codifiées, même si cela est sous-jacent, car considéré comme universellement admis. A l’image de l’hospitalité culturellement due à l’hôte de manière plus générale, la partie qui accueille la réunion dans ses locaux se doit d’offrir le thé. En ce qui concerne le respect du temps, les Marocains ne sont généralement pas à la minute près, même s’il subsiste une différence entre les collaborateurs du secteur privé qui ont un rythme plus intense et les collaborateurs du public, et donc une relation au temps différente.
Concernant la prise de parole, la réunion est généralement conduite par la personne la plus expérimentée ou la plus respectée. Un soin particulier est accordé au fait de faire parler autant que possible tous les participants à la réunion. Les Marocains peuvent être virulents et les échanges manquent parfois de tact – ce qui peut être très mal pris – mais les gens ont du mal à séparer le professionnel et le personnel.
La société marocaine est une société plutôt collectiviste. Les personnes accordent une grande importance à l’harmonie dans le groupe et elles essaient de respecter les obligations qu’elles ont envers ce groupe. Aussi, la personne pourra souvent compter sur les autres, surtout entre les membres d’une même famille. Nous pouvons relier cette dimension culturelle au fait que la tendance est de profiter de son influence pour placer des membres de la famille dans des postes clés.
Le manager marocain suit le modèle latin avec une prépondérance pour le management paternaliste. Il a une tendance directive plutôt que participative. Sa particularité demeure dans le volet relationnel: en effet, il s’implique en général dans les problèmes personnels de ses subordonnés. Néanmoins, il a tendance à garder une distance hiérarchique bien nette.
Deux types de managers sont fortement présents dans le milieu professionnel marocain. D’une part, l’autodidacte, le self made man, présent principalement dans l’industrie, le commerce ou l’administration. Le paternalisme et le maintien de relations personnelles avec les salariés sont deux pratiques clés chez ce type de manager. D’autre part, le manager moderne : il a de bons diplômes, résiste au style de management traditionnel et essaie d’introduire d’autres approches plus participatives.
Tunisie – Sarah Mhirsi
Il faut savoir demander des nouvelles de la personne avant de commencer à parler du travail, notamment si on se connaît déjà. Généralement, on vous offre quelque chose à boire. Par ailleurs, la ponctualité est bien vue et est un signe de sérieux. Se serrer la main est obligatoire, pour les hommes et les femmes.
On vouvoie systématiquement et on évite l’usage du prénom. Il y a beaucoup d’intonations dans les phrases, ce qui peut être perçu comme exagéré mais, en réalité, c’est la façon normale de s’exprimer. Il est bien vu d’être souriant et poli. Les femmes sont féminines mais pas trop non plus, sinon elles ne sont pas prises au sérieux (évitez les décolletés et les jupes courtes).
En Tunisie, il y a beaucoup de compétition entre les personnes d’un même cercle (école, entreprise, par exemple). C’est un esprit qui est plus individualiste que collectiviste. L’accomplissement personnel est placé au-dessus de tout. Les gens sont beaucoup plus polychroniques que monochroniques.
Les connaissances techniques et le charisme sont les clés du succès d’un manager. Le type de management le plus commun est le management par l’exemple. Les collaborateurs font comme le chef. En outre, dans les grands groupes, le parcours académique et professionnel du manager est important: les écoles fréquentées, les expériences antérieures.
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Pour prolonger, je vous invite à explorer l’article précédent sur neuf fiches pays et à faire un Petit tour du monde des gaffes culturelles.
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