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Aveuglements et rayons de lumière – revue de presse

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Revue de presse des articles du mois de février ayant attiré mon attention et alimenté certains articles du blog.

La France sans les musulmans

Au fond, n’est-ce pas là le message implicite de tous ces « débats » sur le voile, la burqa, l’identité nationale, et maintenant sur le « multiculturalisme » (voir sur ce blog Le multiculturalisme en France : faux débat et vraies questions), puis sur  « la laïcité et la place de l’islam dans la République » ? A force de s’obstiner à débattre de l’islam en France et de se focaliser sur des pratiques marginales (combien de femmes en burqa ? combien de prières dans les rues ?), l’idée d’une incompatibilité entre la France et les musulmans se renforce irréversiblement, et avec elle le fantasme ou la nostalgie d’une France sans musulmans.

L’ironie est qu’au moment même où se creusent artificiellement des distances culturelles en France, nous passons complètement à côté de l’Histoire alors que de nombreux pays musulmans sont en pleine révolution. Non seulement les guignolades de notre ministre des Affaires étrangères et du nouvel ambassadeur de France en Tunisie ont sapé toute crédibilité auprès des populations et des futurs gouvernements de ces pays en mutation, mais avec ces soi-disant “débats” nous sommes en train de carboniser l’image positive de la France dans les pays arabes.

En 2010, l’université du Maryland a mené une enquête d’opinion en Egypte, en Jordanie, au Liban, au Maroc, en Arabie Saoudite et aux Emirats Arabes Unis (ici, en pdf). Je recommande fortement de consulter les pages 56 à 65 de ce document. Interrogées sur l’image et le rôle de différents pays, les populations de ces pays arabes ont répondu aux questions suivantes :

– Dans un monde où il n’y aurait qu’une seule superpuissance, lequel des pays suivants souhaiteriez-vous que ce soit ?
N°1 : France (35%), n°2 : Chine (16%), n°6 : Etats-Unis (7%)

– Si vous deviez vivre dans un des pays suivants, lequel préfèreriez-vous ?
N°1 : France (51%), n°2 : Allemagne (17%), n°4 : Etats-Unis (7%)

– Si un membres de votre famille devait faire des études dans un des pays suivants, lequel préfèreriez-vous ?
N°1 : France (30%), n°2 : Allemagne (24%), n°4 : Etats-Unis (20%)

– Choisissez deux pays, arabes et non-arabes, à part le vôtre, qui jouent le rôle le plus constructif pour les intérêts de la région du Moyen Orient :
N°1 : France (30%), n°2 : Turquie (21%), n°9 : Etats-Unis (6%)

– Nommez deux pays où vous pensez qu’il y a le plus de démocratie et de liberté pour leur propre peuple :
N°1 : France (47%), n°2 : Etats-Unis (27%)

Un tel capital de sympathie impose des « responsabilités », aux deux sens du terme : à la fois une capacité à s’impliquer, autrement dit à comprendre et à accompagner les changements en cours, et une capacité à répondre, donc à écouter et à donner le change. Le fait est que la France fait actuellement défaut sur ces deux plans, ce qui aura nécessairement des répercussions sur le long terme.

Enfin, je signale qu’une semaine avant de lancer l’idée d’un débat sur « la laïcité et la place de l’islam dans la République », Nicolas Sarkozy participait le 9 février au 26e dîner du Conseil représentatif des institutions juives de France. A cette occasion, il a fait une déclaration qui n’a pas eu l’écho qu’elle méritait et qui s’accorde bien peu avec la laïcité, une valeur pourtant mise en avant – avec raison – comme l’un des éléments fondamentaux de l’identité nationale :

« Si la France a des racines chrétiennes, elle a aussi des racines juives. La présence du judaïsme est attestée en France avant même que la France ne soit la France, avant même qu’elle ne soit christianisée. »

Cultures du multiculturalisme

La rhétorique de l’échec du multiculturalisme est désormais un classique. Les débats se multiplient mais, comme trop souvent, ils tournent à vide par déconnexion d’avec la réalité. Le récent discours du Premier ministre anglais, David Cameron, sur l’échec du multiculturalisme a suscité une intéressante contribution sur le site de The Economist.

L’auteur est entré en contact avec un historien de Birmingham, Jahan Mahmood, qui travaille avec de jeunes délinquants musulmans. Il les a interrogés sur leur sentiment d’exclusion, qui serait dû à un manque de liens avec les Britanniques. Alors qu’il évoquait avec eux son oncle pakistanais qui avait combattu aux côtés des Britanniques en Birmanie, l’un des jeunes s’est souvenu de son propre grand-père et de sa médaille reçue lors de son engagement en Birmanie. « C’était un lien qui n’avait jamais été discuté auparavant », constate M.Mahmood. En mettant à jour le rôle joué par leurs ascendants, Jahan Mahmood a découvert combien il était nécessaire de rattacher ces jeunes à une histoire commune avec les Britanniques, et combien ces derniers gagneraient en cohésion sociale s’ils valorisaient leur histoire commune avec les descendants d’immigrés.

Ce récit m’a rappelé deux anecdotes :

1. Je connais un Algérien berbère qui est en France depuis une dizaine d’années. Il est souvent surpris et déçu de découvrir combien les Français connaissent mal l’histoire de l’Algérie, si ce n’est à travers la guerre d’Algérie qui, là encore, n’est connue que vaguement. Il est tout aussi surpris et déçu de l’ignorance générale des Français à propos des Berbères. Mais il s’est habitué, il s’est même lassé de préciser à ses interlocuteurs qu’il était berbère. Un jour cependant, sa surprise a été extrême, il a rencontré quelqu’un qui connaissait les Berbères et qui avait appris à l’école leur histoire : c’était une Japonaise ! Elle, qui venait d’une culture lointaine, le connaissait mieux que les Français…

2. J’ai décrit sur ce blog ma visite au jardin tropical de Paris (voir Le jardin tropical de Paris, friche mémorielle de la France coloniale) qui est un vestige de l’exposition coloniale de 1907. Or, dans ce jardin se trouvent également des monuments aux morts consacrés aux soldats des colonies ayant combattu aux côtés de l’armée française pendant la première guerre mondiale. Quand on voit l’état d’abandon du jardin et de ces monuments, on peut s’interroger sur la portée symbolique de cette déconnexion historique entre la France d’aujourd’hui et les descendants des immigrés des colonies. Au passage, je signale un article de RFI du 16 février consacré à ce jardin et pour lequel je me suis entretenu avec la journaliste : Paris’s forgotten human zoo.

Alors que les pays européens se crispent autour de la question multiculturelle, l’Australie vient d’adopter le 16 février une nouvelle politique du multiculturalisme. L’objectif est de permettre à chacun de pratiquer ses traditions et sa langue dans les limites de la loi australienne. Depuis 1945, sept millions d’immigrants sont venus en Australie (qui compte 22,5 millions d’habitants aujourd’hui). 44% des Australiens soit sont nés hors du pays, soit ont au moins un parent né hors du pays. « L’objectif du gouvernement est de promouvoir l’unité, l’harmonie et les valeurs démocratiques par une politique fortement multiculturelle. » Voilà qui se rapproche du modèle du Canada, autre pays d’immigration. Par ailleurs, cette politique vise également à encourager les relations commerciales entre l’Australie et les pays d’origine de ses immigrants.

Je signale enfin deux articles, l’un sur le modèle multiculturel russe qui rappelle que la Russie est un territoire multiethnique et multiconfessionnel depuis cinq siècles et que les minorités sont plus intégrées et politiquement mieux représentées qu’en Europe de l’Ouest ; l’autre sur le métissage au Brésil où des recherches sur la génétique de la population brésilienne a fait apparaître une plus grande homogénéité d’ancestralité que la diversité des apparences ne permettait de le supposer.

Du multiculturalisme aux particularismes

Particularismes européens d’abord, avec Presseurop qui traduit de la presse polonaise un article très intéressant sous le titre Plus belle la vie ailleurs. Il aborde la question de l’expatriation sous l’angle de l’émigration. En effet, il y a depuis quelques années une évolution dans les motivations des candidats au départ. Les nouveaux expatriés partent de plus en plus par lassitude de leur propre pays. Ainsi, aux Pays-Bas, 120 000 personnes ont quitté définitivement le pays en 2008. Un Néerlandais sur trente envisagerait de partir. Il en va de même avec le Royaume-Uni et l’Allemagne, respectivement 400 000 et 165 000 départs en 2010, des chiffres inédits. D’où une inquiétante fuite des talents et le besoin grandissant d’immigrés pour remplacer ces pertes. Le problème est que ces derniers ne compensent pas les départs sur le plan des compétences.

Particularismes britanniques. Est-ce un effet du besoin grandissant en compétences étrangères ou une approche pragmatique qui favorise les plus talentueux quelle que soit leur origine ? Le fait est que la Grande-Bretagne n’a pas de réticence à promouvoir des étrangers aux plus hautes fonctions. Le Monde note ainsi que sur les vingt présidents non exécutifs des plus grosses compagnies de Grande-Bretagne en termes de capitalisation boursière, douze d’entre eux sont étrangers.

A contrario, les Britanniques souffrent d’une sous-représentation parmi les fonctionnaires européens. Le Wall Street Journal rappelle que la Grande-Bretagne représente 12% de la population de l’UE mais ne compte que 6% de fonctionnaires européens. Si l’Union Européenne reste pour beaucoup de Britanniques peu attractive, l’un des facteurs de cette désaffection tient aux concours de recrutement qui exigent de maîtriser une seconde langue en plus de l’anglais. Or, depuis 2004, il n’est plus obligatoire pour les élèves d’étudier une langue étrangère. Par conséquent, le nombre de candidats pour les concours de l’UE a fortement baissé, avec 755 candidats britanniques en 2010 contre 4300 français et 8478 Italiens. D’où sa tentative récente pour que l’Union crée un concours uniquement en anglais, et la réponse négative et sans appel de l’UE.

Particularismes allemands. Dans Le Monde, Hervé Biausser, directeur de l’Ecole Centrale Paris, confirme l’importance des docteurs – au sens de titulaires de doctorat – en Allemagne. Ainsi, il y a dans ce pays 56% de docteurs parmi les comités de direction des entreprises, contre 20% en France et 8% aux Etats-Unis (la moyenne mondiale étant de 15%). Voilà qui permet de mieux saisir les synergies très importantes en Allemagne entre le monde de l’université et le monde de l’entreprise. Voilà qui vaut également des ennuis au ministre de la défense allemand, Karl-Theodor zu Guttenberg, qui a dû renoncer à son titre de docteur suite à des accusation de plagiat à propos de sa thèse.

Particularismes coréens. Ou plutôt roumains, ou bien coréano-roumains. On ne sait comment qualifier le succès en Roumanie d’une série coréenne se déroulant à l’époque de la Corée traditionnelle du XVIe siècle (Mon feuilleton coréen, bien mieux qu’une telenovela). Ce succès provient-il de la capacité des Coréens à diffuser des produits culturels dans des pays extrêmement éloignés de leur culture ou de la capacité des Roumains à s’ouvrir à des cultures très étrangères ? Quand elle évoque son engouement pour ce drama coréen, une Roumaine dit apprécier « la décence, le sérieux, l’authenticité et, bien sûr, la culture coréenne » et ajoute : « Ce n’est pas seulement un film, c’est une image de la Corée qui a traversé cinq cents ans d’histoire pour venir nous donner une leçon de bon sens et de raffinement. » Voilà en tout cas de quoi apporter quelques rayons de lumière sur l’idée souvent abstraite du « dialogue des cultures ».

Un dialogue difficile à établir entre la France et la Corée du Sud au sujet de la restitution des archives royales de la Corée qui se trouvent à la BNF. Vous trouverez sur ce blog une analyse de cette histoire passionnante qui mêle représailles militaires françaises sur les côtes coréennes en 1866 et marché du TGV en Corée en 1993, avec l’article Pourquoi la France a restitué à la Corée ses archives royales ? Le titre de cet article aurait en fait dû être « va restituer » car ce n’est pas encore chose faite. Dans Séoul attend le retour de son trésor royal, La Croix fait le point sur ce dossier, avec notamment l’accusation des Coréens contre la BNF qui aurait dégradé ces trésors nationaux.

Particularismes français. Le ministère du Commerce extérieur vient de mettre en ligne une série de cartes de la France qui exporte, avec des données régionales, les types de produits et les pays d’exportation. C’est un premier pas, il faut le signaler, vers une visibilité des points forts et des points faibles en la matière. Il serait temps également d’avoir une approche décomplexée des enjeux du management interculturel en appui de la projection à l’international (voir sur ce blog Le dispositif public français : un désert interculturel).

Enfin, aveuglement et rayon de lumière, tout à la fois. Est-ce un particularisme culturel français que d’inventer sans savoir industrialiser le produit de son invention ? La question se pose avec un utile rappel historique d’Usine Nouvelle à propos de l’énergie solaire : Photovoltaïque, la technologie dont la France n’a pas voulu. C’est Alexandre Edmond Becquerel, père d’Henri Becquerel (le découvreur de la radioactivité), qui découvre le photovoltaïque en 1839, ce qui a donné lieu a une publication confidentielle en 1869 mais les recherches appliquées auront ensuite lieu aux Etats-Unis et en Allemagne.

L’Usine Nouvelle aurait pu également rappeler qu’en 1978 a été créé en France un Commissariat à l’Energie Solaire (le COMES). Suite aux crises pétrolières, le président Giscard d’Estaing avait décidé de dynamiser la filière des énergies renouvelables. Mais l’industrie nucléaire a étouffé cette ambition et le COMES a disparu en 1982. Il y a de quoi se mordre les doigts quand on considère l’importance grandissante de cette filière au XXIe siècle. Voilà qui était l’occasion de se mobiliser autour d’un projet industriel ambitieux et de faire preuve de vision stratégique. Le COMES appartient (provisoirement ?) aux archives. Je vous laisse méditer cette histoire avec deux films publicitaires d’il y a plus de trente ans, ils datent de 1980 :

Les articles mentionnés dans cette revue de presse ont été partagés et discutés durant le mois de février au sein du groupe de discussion « Gestion des Risques Interculturels » que j’anime sur LinkedIn (654 membres à ce jour). Soyez bienvenu(e) si ces questions vous intéressent!

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