Revue de presse des articles du mois de décembre ayant attiré mon attention et alimenté certains articles du blog.
L’art (peu ?) subtil de la manipulation
Dans le droit fil des deux articles publiés sur ce blog : Les banlieues françaises, cibles de l’influence culturelle américaine et La stratégie américaine pour influencer les minorités en France, le magazine Lyoncapitale.fr rend compte du lancement par le consulat américain de l’association « Confluence pour le Respect et la Diversité » en faveur des minorités. Ce projet provient d’un « partenariat entre la Région Rhône-Alpes et le Département d’Etat américain ». Rue89 reprend cette information dans un article au titre plus explicite : A Lyon, les Etats-Unis draguent les musulmans.
Comme on le voit, ces actions d’influence américaine ne se limitent pas à la banlieue parisienne. Une veille sur ce sujet dans les villes de province serait bienvenue. Car on ne peut rester indifférent au fait qu’une nation étrangère mette en œuvre une stratégie planifiée de manipulation des minorités en France. Que ne dirait-on pas s’il s’agissait des Russes, des Chinois ou des Iraniens ?
Le fait est que, depuis les révélations de WikiLeaks, les Américains sont désormais en position plus délicate. Un excellent article du Huffington Post intitulé Public Diplomacy: “Out” for the U.S., “In” Overseas? fait le point sur l’histoire et le devenir actuel de cette notion de « diplomatie publique » ainsi définie par le Secrétariat d’Etat américain : « mobiliser, informer et influencer les publics clés à l’international ». Cet article a également le mérite de montrer l’intensité des réflexions sur les enjeux de la diplomatie publique menées par de très nombreuses nations.
Par exemple, le Taïwan Today fait le point sur une initiative originale : la promotion du pays par sa gastronomie, ce qui donne un terme qui sonne fort mal en français : la « gastrodiplomatie ». L’idée des autorités taïwanaises consiste à valoriser la cuisine légère et diététique de leur pays par contraste et opposition avec l’image de la cuisine chinoise perçue comme trop lourde et trop riche en Occident. D’autres pays ont déjà pris les devants en la matière, par exemple la Malaisie qui a ouvert un marché de nuit en plein Trafalgar Square à Londres, ou la Corée du Sud dont les restaurants se sont multipliés à Paris ces dernières années et dont le centre culturel a organisé en octobre dernier un bibimbap géant qui a attiré plus de 500 personnes.
Dans un autre registre, il est un pays qui possède un réel savoir-faire en matière de diplomatie publique : Israël. Le Guardian annonce qu’Israël est en pleine campagne de recrutement d’agents d’influence dans dix pays d’Europe. Il s’agit d’identifier et de rallier à sa cause 1000 personnes pour servir de relais d’opinion et caisses de résonance. Ces agents d’influence sont décrits par une source israélienne comme « des amis qui ne veulent pas seulement recevoir des messages mais qui promeuvent activement ces messages ».
Batailles pour les cerveaux
Découvreur du VIH et co-lauréat du prix Nobel de médecine en 2008, le professeur Luc Montagnier vient d’être recruté par une université chinoise. On se souvient qu’arrivé à l’âge de la retraite en France il avait dû quitter ses fonctions en 1997 (« une mesure scélérate, scandaleuse, qui risque de provoquer une fuite de cerveaux français » disait-il). Il avait alors été recruté par les Etats-Unis. Le voici donc maintenant en Chine.
Cette passivité française quant à la perte des talents est le symptôme d’un phénomène plus inquiétant car plus structurel : le système français de la recherche broie les meilleurs. C’est le constat du Philippe Even qui publie « la Recherche biomédicale en danger » (Cherche-Midi), un ouvrage où il analyse et évalue les publications des chercheurs français. Bibliobs a mis en ligne un long entretien avec le professeur Even, dont la première partie s’intitule «Depuis 25 ans, la France n’a rien inventé». Cette lecture est fortement recommandée. En voici deux extraits :
« Dans les classements internationaux, nous ne sommes pas, contrairement à ce que répètent politiques et administrateurs, la cinquième « puissance », mais très loin derrière les premiers : nous sommes au cinquième balcon et la chute s’accélère depuis 5 ans, puisque nous sommes aujourd’hui loin derrière l’Amérique, l’Angleterre, l’Allemagne et le Japon, et depuis un an, dépassés par le Canada, la Suisse et la Scandinavie. Et ça, c’est en biologie. En médecine de soins, c’est bien pire, 1 à 2% dans les grands journaux de cancérologie, de cardiologie, etc. Tragique. Depuis 1980, la France n’a obtenu qu’un seul Nobel de Médecine et depuis 1945, 14 Nobel de Sciences, contre 51 à l’Angleterre, 32 à l’Allemagne, 241 aux Etats Unis. »
“Nicolas Sarkozy se plante aussi dans le choix des inconnus de troisième rang qu’il nomme à la tête du CNRS, de l’Inserm, des grandes directions ministérielles et des innombrables agences de recherche (plus de cent !) : ils n’ont aucune vision d’ensemble de la recherche et des directions nouvelles qu’elle prend. Des aveugles. A l’étranger, à ces postes, vous avez des Nobel, ou des pré-nobélisables. En France, on choisit, au mieux, des ingénieurs X-Ponts, X-Mines, ou du CNES ou du CEA, tous dociles, sortis des mêmes « grandes » écoles, grandes entre guillemets, mais qui n’ont jamais fait de recherche. Ce qu’ils savent, c’est la science telle qu’elle était au moment de leurs études. Mais la recherche, c’est différent, c’est un état d’esprit, c’est être libre, c’est tout remettre en cause, contester ce qui a été enseigné, renverser les idées reçues, faire preuve d’audace et d’imagination, pour ouvrir des voies nouvelles et non circuler sur des autoroutes comme tout le monde. »
Face à un tel constat, les cris de victoire qui ont accompagné le recrutement par Paris-Diderot du prix Nobel américain George Smoot sonnent quelque peu dans le vide (voir sur ce blog Les (autres) leçons du recrutement d’un prix Nobel américain à Paris-Diderot).
Si, en aval du système éducatif français, les dysfonctionnements et obstacles culturels nuisent à l’innovation, il semble qu’en amont la situation ne soit guère plus brillante. C’est le constat auquel on parvient à la lecture des très médiocres performances et classements des élèves français lors de l’enquête PISA menée par l’OCDE (rapport en français ici, en pdf). Se confirme par ailleurs le diagnostic sur l’accroissement des inégalités provoqué par un système supposé les réduire. Voyez ainsi en page 10 le classement de la France sur l’axe « gradient socio-économique » :
« En compréhension de l’écrit, un élève issu d’un milieu socio-économique plus privilégié (égal à celui du septième d’élèves les plus favorisés) devance un élève issu d’un milieu socio-économique moyen de 38 points, soit l’équivalent de près d’une année d’études, en moyenne, dans les pays de l’OCDE. L’écart de score entre les élèves issus d’un milieu socio-économique défavorisé et ceux issus d’un milieu socio-économique favorisé s’élève à plus de 50 points en Nouvelle-Zélande et en France, et dans les pays et économies partenaires, en Bulgarie et à Dubaï (EAU). »
Et voici le tableau récapitulatif :
Toujours à propos du rapport PISA et des enjeux liés à l’éducation, un article du Financial Times fait le point sur les très bonnes performances des élèves chinois (Why are Chinese schoolkids so good ?). L’un des facteurs de cette réussite tient à de meilleures formation et rémunération des enseignants chinois. Aussi surprenant que cela paraisse, les évaluations de l’OCDE menées dans les zones rurales de la Chine ont mis en évidence d’aussi bons résultats qu’à Shanghai.
Le Guardian revient quant à lui sur les excellents classements de la Finlande et note que l’une des clés de la réussite du système éducatif finlandais tient à une décentralisation de l’enseignement et à une responsabilisation des enseignants qui ont toute liberté pour expérimenter et innover et des élèves qui composent eux-mêmes leur emploi du temps (Finland’s schools flourish in freedom and flexibility). Le journaliste remarque également qu’il n’y a pas d’école privée en Finlande.
Dans le contexte de la crise ivoirienne, un professeur de géographie de Bordeaux-III publie une tribune intitulée L’université française et ses tyrans où il fait l’inventaire des nombreux tyrans africains passés par l’université française et en appelle un peu naïvement aux professeurs qui les ont jadis formés pour faire entendre la voix de la raison et des droits de l’Homme à leurs anciens élèves.
Enfin, l’intégration des minorités dites “visibles” n’est pas toujours effective même en Grande-Bretagne, pourtant souvent citée en exemple (cf. sur ce blog l’article Approche des différences culturelles : l’art difficile de rendre visible l’invisible). Ainsi, le Guardian revient sur les universités Oxford et Cambridge qui n’ont intégré aucun Noir cette année : Twenty-one Oxbridge colleges took no black students last year.
La Chine: de très grands bonds en avant
Certaines nouvelles semblent anecdotiques alors qu’elles sont en réalité symptomatiques de phénomènes de plus vaste ampleur. Le Cameroon Tribune nous apprend ainsi qu’un général chinois a été reçu mi-décembre par le président Paul Biya dans le cadre du renforcement de la coopération bilatérale militaire sino-camerounaise. Le général de division Jia Xiaoning s’est rendu à la base navale de Douala avant de rencontrer les experts de la Mission de l’assistance technique chinoise à la marine nationale. Il a fait part de la détermination de Pékin à accompagner le Cameroun dans le domaine militaire.
Toujours dans le domaine militaire, la Chine vient d’affirmer sa ferme volonté de ne pas dépendre des pays étrangers pour développer son armée. Le ministre chinois de la Défense a donné une interview à plusieurs quotidiens officiels et a notamment déclaré :
« Ces cinq prochaines années, notre armée va persévérer dans sa préparation à un conflit militaire, dans tous les champs stratégiques possibles. Nous allons nous appuyer sur nos ressources propres pour traiter cette question et développer nos équipements. La modernisation de l’armée chinoise ne saurait dépendre des autres et elle ne peut être achetée. »
Grand bond en avant également dans le domaine ferroviaire puisque la Chine prévoit d’investir jusqu’à 450 milliards d’euros de 2011 à 2015 pour son réseau à grande vitesse.
Grand bond en Europe avec des investissements chinois massifs qui suscitent dans Marianne l’interrogation suivante : Pourquoi la Chine veut-elle racheter l’Europe ? En effet, la Chine a émis le souhait de racheter une partie de la dette portugaise. L’auteur de l’article fait le point sur la toile aux multiples ramifications que la Chine est en train de tisser en Europe en poursuivant deux objectifs :
- « la création d’une vaste tête de pont économique et mercatique la protégeant de toute tentation protectionniste de la part des Européens ;
- le développement d’une zone d’influence politico-financière, l’argent chinois ayant vocation à acheter les consciences, les choix, les décisions et, en toute dernière extrémité, les dirigeants et dirigeantes eux/elles-mêmes. »
Rappelons l’analyse sur ce blog de l’ancrage chinois en Grèce (Les Grecs parlent-ils chinois ?).
Toujours dans le contexte de la géoéconomie, il faut mentionner l’annonce par la Chine de réduire début 2011 ses exportations de terres rares qui vont passer à 14 446 tonnes, soit 11,4 % de moins que les 16 304 tonnes de 2010. La Chine produit environ 97 % des terres rares utilisées dans le monde. Ces métaux sont indispensables aux technologies de pointe : voitures hybrides, énergies renouvelables, électronique et armement.
Grand bond en avant dans le tourisme comme le note The Economist dans A new Grand Tour. Ces nouveaux touristes ont parfois des désirs inattendus, comme de visiter les lieux de naissance des personnes célèbres, les sièges des grandes institutions et les sites liés à des œuvres littéraires connues. La France et l’Italie sont parmi les destinations préférées des Chinois, tandis que la Grande-Bretagne ne figure qu’en 22e place. La gastronomie n’est pas forcément attractive : une étude de 2006 a montré que seulement 46% des touristes chinois avaient mangé « européen » durant leur séjour.
Regards croisés
Regard de l’Amérique sur l’Europe littéraire. Avec un article au titre un peu outrancier, L’Amérique a découvert l’Europe, Presseurop se félicite du (léger) décollage de la littérature européenne aux Etats-Unis, pays où les traductions ne représentent que 3% des publications. Des éditeurs indépendants et des institutions européennes ont permis de nouvelles traductions et une plus grande visibilité d’œuvres européennes.
Regard de la Russie sur la France lors de l’année de la France en Russie dont le bilan est très positif. La Croix est un des rares journaux à revenir sur ce succès dans l’article En un an, les Russes ont appris à découvrir la France à travers le théâtre, la musique, la danse, la littérature et les arts plastiques.
Regard de la Grande-Bretagne sur l’Allemagne. Dans un excellent article, le Monde explique l’origine du « made in Germany » qui fait la fierté des Allemands et que ces derniers doivent… aux Britanniques. En 1887, les industriels britanniques ont poussé le gouvernement à estampiller les produits allemands du label « made in Germany » de façon à détourner les consommateurs britanniques des produits allemands. Or, ce qui était un repoussoir va devenir un atout à force d’innovations : les produits allemands, ayant surpassé les produits britanniques en qualité, vont bien par la suite se différencier de ces derniers, mais désormais à leur avantage.
Finalement, cette revue de presse du mois de décembre est à l’image de l’année écoulée : une année où de nombreux pays ont fait preuve d’un regain de fierté culturelle, où les Etats-Unis n’ont plus le monopole de l’influence culturelle, où la France se trouve en difficulté sur le plan de l’innovation et de l’éducation tout en bénéficiant toujours d’une aura culturelle à l’international, où la Chine a déployé tous les moyens de la puissance et où l’Allemagne fait figure d’exception en Europe par sa capacité à surmonter la crise économique par ses exportations. Nul doute que ces différents facteurs vont s’exacerber en 2011. A suivre donc.
Bonne année !
Les articles mentionnés dans cette revue de presse ont été partagés et discutés durant le mois de décembre au sein du groupe de discussion « Gestion des Risques Interculturels » que j’anime sur LinkedIn (598 membres à ce jour). Soyez bienvenu(e) si ces questions vous intéressent!
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