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Sécurité aéronautique et risques interculturels

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Cet article est le troisième d’une série de cinq visant à questionner le domaine aéronautique sous l’angle des facteurs culturels et de leurs interactions. Cette exploration fait suite à des échanges passionnants avec les animateurs du site internet Mentalpilote spécialiste des facteurs humains dans l’aéronautique.

Les articles de cette série sont donc simultanément publiés sur Mentalpilote avec quelques modifications et compléments en fonction de nos lectorats respectifs. Chaque article peut être lu indépendamment des autres.

Voici le plan de cette série consacrée à la sensibilisation aux facteurs culturels dans l’aéronautique:

* * *

Culture et sécurité

Le premier article de cette série a mis en évidence dans l’aéronautique les effets de la culture commune qui réduit le bruit culturel lié aux particularismes des différents acteurs du secteur. Cette réduction impose des efforts pour adopter la culture commune, dont l’intensité varie avec les cultures d’origine de chacun. Cette variation doit être prise en compte tant sur le plan de la formation que sur celui des opérations. Ainsi, un pilote ne se forme pas identiquement dans un contexte scandinave ou extrême oriental. De même, son rapport à la hiérarchie ou son comportement vis-à-vis du négatif ne sera pas le même selon qu’il est canadien, français ou japonais.

Le second article a exploré le contexte français de l’aéronautique pour montrer combien certains particularismes (rapport à l’erreur, usage de l’anglais, compétences non-techniques, gestion de la fatigue) doivent être intégrés dans l’analyse pour comprendre et lever les freins et obstacles culturels qui nuisent à ce secteur d’activité en France. Par suite, il serait utile de faire de même avec d’autres pays de façon à cartographier les risques interculturels. L’inventaire des meilleures pratiques devrait alors prendre en compte les dynamiques culturelles de façon à estimer leur compatibilité ou non avec la culture d’accueil.

La question centrale posée par cette série d’articles concerne donc les interactions culturelles et leur impact sur la sécurité aéronautique. L’objectif majeur vise à inciter les acteurs du secteur aéronautique à intégrer les facteurs culturels comme sous-genre des facteurs humains. Il s’agit toujours de réunir toutes les conditions pour produire, développer et pérenniser une culture de la sécurité.

« Culture de la sécurité », l’expression a été créée après l’accident de Tchernobyl en 1986 et s’est ensuite largement diffusée dans le domaine aéronautique sous l’impulsion des travaux de James Reason, spécialiste des facteurs humains. Elle indique le niveau de maturité en matière de comportements et de réactions d’un organisme en matière de sécurité. Un niveau de sécurité élevé ne vaut rien sans la culture qui le soutient, sans son intégration culturelle par les différents acteurs. Culturelle, autrement dit : appropriée par chacun comme une part de soi-même. Une définition claire et synthétique de la culture de la sécurité est énoncée par l’American Institute of Chemical Engineers (source ici, pdf) :

« La culture de la sécurité correspond à la façon dont un organisme se comporte lorsqu’il ne fait l’objet d’aucune surveillance. »

Supprimez toute surveillance d’un organisme, et vous verrez si ses différents membres ont acquis la maturité nécessaire pour une réelle culture de la sécurité. Métaphoriquement, vous saurez si cet organisme se situe au stade de l’enfance qui exige la présence autoritaire et correctrice des parents ou au stade adulte de l’autonomie et de la responsabilité.

A présent se pose la question des interactions culturelles. En effet, un organisme peut tout à fait démontrer une réelle culture de la sécurité dans sa zone de confort culturel mais retrouver son immaturité en dehors de cette zone de confort. Ainsi, tel organisme américain de l’aéronautique peut faire preuve d’une culture de la sécurité en interaction avec les acteurs américains de l’aéronautique mais d’une réelle inculture en interaction avec des acteurs étrangers.

Prenons un exemple : l’investigation suite à une catastrophe. Les Américains ont un excellent niveau d’expertise en la matière. Les enjeux financiers et juridiques colossaux n’y sont pas pour rien. Or, ils peuvent être en difficulté en dehors de leur zone de confort culturel, comme ce fut le cas lors de l’enquête du crash du vol EgyptAir 990. En 1999, le Boeing 767 de la compagnie égyptienne EgyptAir effectuant le vol New York-Le Caire s’abîme dans l’Atlantique. L’enquête est confiée conjointement aux autorités égyptiennes et à l’organisme américain du NTSB (National Transportation Safety Board).

Sans entrer dans les détails, il apparaît que deux ans après les faits, Egyptiens et Américains n’ont toujours pas réussi à se mettre d’accord sur les causes de la catastrophe, et ce non pour des questions factuelles mais pour des raisons culturelles. D’un côté, les Egyptiens estimaient qu’il était culturellement impossible que le copilote ait fait ce que croyait le NTSB ; d’un autre côté, les Américains manquaient de sensibilité culturelle pour comprendre les conversations enregistrées par la boîte noire. Jim Hall, président du NTSB, a alors déclaré à l’un des représentants de la délégation égyptienne :

« J’ai reçu une bonne leçon. Quand vous avez affaire à une compagnie aérienne étrangère lors d’une investigation, avant de faire quoi que ce soit, vous devez étudier l’histoire et la culture du pays. Je ne savais rien de l’Egypte ni de sa culture avant qu’on s’intéresse à l’EgyptAir 990. »

Les Américains ont ainsi négligé les facteurs culturels, et notamment les risques liés aux divergences en matière de communication, de valeurs et de représentation du monde.

Des pilotes à géométrie variable

Il est question ici de géométrie culturelle. Chacun d’entre nous évolue dans un espace culturel propre marqué par diverses appartenances (locale, régionale, nationale mais professionnelle et organisationnelle). Ces appartenances dessinent une grande diversité de profils qui n’est pas sans effet sur la culture aéronautique. Or, pour des raisons de sécurité, celle-ci a besoin d’établir son hégémonie sur toutes les autres appartenances culturelles de l’individu.

Cette hégémonie est loin d’être parfaite. En témoignent les différentes situations où entrent en jeu des facteurs culturels étrangers à la culture aéronautique, par exemple :

  • dans des cockpits et équipages multiculturels
  • lors de fusions ou alliances entre compagnies aériennes de différentes nationalités
  • lors de la communication entre les membres d’équipage de différentes nationalités
  • dans les priorités et les standards qui varient selon les origines culturelles
  • dans les attentes en termes de sécurité et de service
  • lors de l’apprentissage d’un cadet ou des séances de formation d’un pilote dans un pays étranger
  • dans la traduction et l’interprétation des documents écrits
  • dans la gestion de la relation client
  • dans la perception et la conception des situations d’urgence

Il est donc fondamental de ne pas négliger la diversité culturelle des acteurs de l’aéronautique. Cette diversité a été mise à jour lors d’une étude menée dans les années 90 par Ashleigh Merritt auprès de 9417 pilotes de 19 nationalités différentes. Il s’agit d’un questionnaire constitué par une série de propositions à propos desquelles les pilotes devaient exprimer leur accord ou leur désaccord. Brent Hayward propose une synthèse des principaux résultats de cette enquête dans Culture, CRM and aviation safety, communication rédigée à l’occasion de l’Asia Pacific Regional Air Safety Seminar en 1997.

Je traduis et adapte ci-dessous la première série de résultats qui concerne ce que l’on pourrait appeler les universaux, c’est-à-dire les propositions entraînant un taux élevé d’accord (entre 85 et 100%) quelle que soit la nationalité des pilotes :

Même si certains biais méthodologiques, voire culturels, peuvent artificiellement produire un taux d’adhésion élevé (par exemple, il serait surprenant d’avoir des écarts importants au sujet de l’item J’aime mon travail), il est cependant rassurant de constater un accord des pilotes sur ces fondamentaux. Notons au passage que ce n’est pas parce qu’il y a une apparente adhésion universelle à ces éléments qu’ils sont acquis et perçus de la même manière par les pilotes des 19 nationalités étudiées.

Là où l’étude prend un relief particulier, c’est à propos des éléments pour lesquels il y a de grands écarts en termes de taux d’adhésion. Nous quittons les universaux pour entrer dans les particularismes culturels. Et certains des éléments ci-dessous ne sont pas moins fondamentaux en termes de sécurité que les précédents. Voici ces résultats :

L’analyse des éléments qui entraînent de fortes variations en termes d’adhésion fait apparaître des comportements et réactions qui diffèrent dès que le pilote a affaire au négatif : remise en question de ses décisions par l’équipage, expression d’un problème mettant en cause un membre de l’équipage, perception de l’impact des problèmes personnels sur les performances, conscience des risques d’erreur en situation de stress.

En quelque sorte, dès que le négatif se manifeste sous quelque forme que ce soit, les aiguilles des facteurs culturels s’affolent malgré le lissage opéré par la standardisation et les procédures. Qu’il s’agisse de la formation ou des opérations, la négligence de ces particularismes serait catastrophique. Ainsi, comment former à la gestion des situations de stress en négligeant le fait que les pilotes issus de telle culture auront tendance à ne pas considérer le stress comme un facteur aggravant le risque de faire des erreurs de jugement ? De même, comment valoriser le fait de s’exprimer ouvertement sur un problème quand les pilotes issus de telle autre culture auront tendance à hésiter à le faire pour ne pas mettre en cause personnellement un des membres de l’équipage ?

En deçà donc de la nécessaire standardisation, il est indispensable de travailler sur les valeurs et représentations de chacun de façon à adapter le programme du formateur ou le discours du management à son destinataire. Prenons deux exemples pour illustrer ces phénomènes : la gestion de la fatigue et la distance hiérarchique.

Exemple 1 : la gestion de la fatigue

Rien ne semble plus banal, et finalement universel, que de savoir quand on est fatigué, quand on doit se reposer, et pourquoi on doit le faire. Et cependant, il s’insère de multiples facteurs culturels dans le rapport de soi à soi. La conception même de la notion de fatigue varie selon les cultures. Elle dépend à la fois du rapport au corps : le corps est-il un outil au service de l’esprit ou la face matérielle de la vie spirituelle ? et du rapport au corps fatigué : le corps fatigué est-il un état honteux, défaillant, voire déshonorant ou, au contraire, un état normal à considérer et à traiter en tant que tel ?

Le professeur Régis Mollard, directeur du laboratoire Ergonomie – Comportements et Interactions de Paris 5, a dirigé d’importantes recherches sur la perception de la fatigue par les équipages. Elles ont fait apparaître « une culture de la fatigue et de la récupération qui varie en fonction des pays » (source ici, pdf, p.236). Ainsi, les notions de fatigue et de repos sont culturellement solidaires. Leur dynamique varie dans le monde :

« Dans les pays occidentaux, on travaille davantage pour gérer son temps libre que pour se reposer, alors que dans les pays d’Extrême-Orient, on gère son repos pour être efficace pendant son travail. […] Tous nos pilotes d’avions longs courriers, tous les équipages auxquels nous avons proposé nos guides de recommandation – qui ont été diffusés à plus de 5 000 exemplaires – sont contents de l’avoir, mais aucun ne s’en sert. En Asie du sud-est, c’est totalement l’inverse : les personnels ne sont pas demandeurs de recommandations, car, par nature, ils les utilisent. »

L’équipe du professeur Régis Mollard a mis en ligne une synthèse de l’enquête menée auprès des équipages de différentes nationalités au sujet de leur perception de la fatigue (ici, en ppt). En voici l’extrait le plus significatif :

Ce tableau fait apparaître une divergence fondamentale : alors que dans certaines zones du monde la gestion de la fatigue est dans une dynamique vertueuse (d’autant moins de manifestations de la fatigue, d’autant plus de gestion de la fatigue), elle se trouve ailleurs dans une dynamique contradictoire (d’autant plus de manifestations de la fatigue, d’autant moins de gestion de la fatigue). Régis Mollard évoque l’exemple d’un vol depuis la France vers les Etats-Unis :

« Notre guide recommande, pour un voyage de Paris à Boston ou à New York de rester calé sur les horaires de la base de départ, en l’occurrence Paris, dans l’hypothèse d’une escale courte de 36 heures. Cela permet de gérer le sommeil, dans la mesure, bien sûr, où l’hôtel et les conditions matérielles sont appropriés. Or, il y a une forte opposition des pilotes ou des équipages. Ils sont plus enclins à gérer leur temps libre que leur repos. »

Or, dans le faisceau des causalités indirectes des incidents aériens, voire des accidents, la fatigue ne doit pas être négligée en tant que facteur altérant les performances et la communication au sein de l’équipage :

« Les résultats de notre enquête sur la perception de la fatigue sont les suivants : quand on demande à un pilote fatigué quelle est la perception de sa fatigue, il répond qu’il éprouve des douleurs dans la nuque, des picotements aux yeux, le besoin de dormir. Si on l’interroge sur son collègue, il répond qu’il commet des erreurs, ne comprend pas, est irascible et qu’il est donc moins efficace. On peut donc imaginer que si l’autre pilote, qui est également fatigué, a la même perception, cela peut agir sur la communication au sein de l’équipage. »

Différents facteurs culturels mériteraient d’être explorés pour mieux appréhender cette sous-estimation d’une gestion professionnelle de la fatigue dans les pays où elle fait défaut : la conception de l’homme fatigué comme un homme diminué, le corps fatigué considéré comme une insurrection que l’esprit doit soumettre ou une défaillance que l’intellect doit corriger, l’estime de soi qui empêche de se déclarer fatigué, le temps de récupération perçu comme temps libre et déconnecté de la vie professionnelle, le temps de repos considéré comme une perte de temps ou d’argent, l’excès de confiance dans ses réflexes professionnels et ses capacités mentales qui aveugle sur les signes de fatigue, l’approche uniquement règlementaire du temps de travail au détriment du temps physiologique, etc.

Exemple 2 : la distance hiérarchique

Dans le premier article de cette série (Le refoulé interculturel dans l’aéronautique), vous trouvez une carte du monde en fonction du degré de distance hiérarchique. L’exercice du pouvoir et le rapport à l’autorité varient considérablement selon les pays : au Danemark, nous avons affaire à un management plat, « flat management », où les inégalités de pouvoir dans les organisations sont purement fonctionnelles, tandis qu’en Inde le management a des tendances autoritaires, avec des inégalités de pouvoir souvent personnelles.

L’analyse des jeux de pouvoir et de la manière dont ils sont perçus et intégrés dans les organismes, est fondamentale dans une perspective de culture de la sécurité où la capacité à s’exprimer sur le négatif, voire à remettre en question une décision prise par un collègue ou un supérieur, peut s’avérer déterminante en opération. Bien des catastrophes aériennes auraient pu être évitées si le copilote avait osé exprimer son point de vue au commandant de bord ou entrepris une action correctrice d’une erreur de ce dernier (voir sur ce blog Le crash de l’avion présidentiel polonais : distance hiérarchique et décision absurde).

L’équipe qui a réalisé l’enquête auprès de plus de 9400 pilotes de 19 nationalités différentes, s’est intéressée à cette dimension de la distance hiérarchique auprès de pilotes de 22 nationalités. Notons au passage que la France ne fait pas partie de l’échantillon étudié. S’agit-il d’une volonté d’écarter la France du spectre de l’analyse ou d’un refus délibéré des Français de participer à cette enquête ? La diversité des pays participants laisse supposer que la deuxième hypothèse est la plus probable.

Pour lire les résultats ci-dessous, il faut préciser que la graduation de 0 à 50 indique seulement une intensité minimale et maximale (plus le score est élevé, plus la distance hiérarchique l’est également) afin de pouvoir comparer les réponses des pilotes :

Source : d’après Helmreich, R.L., Wilhelm, J.A., Klinect, J.R., & Merritt, Culture, error and Crew Resource Management, in E. Salas, C.A. Bowers, & E. Edens (Eds.), Applying resource management in organizations: A guide for professionals

Ce qui frappe au premier abord, c’est la diversité d’attitudes par rapport à la distance hiérarchique. La culture aéronautique a beau être la même partout dans le monde, les conceptions du pouvoir, et par suite les pratiques managériales, qui déterminent la pratique quotidienne de cette culture, varient grandement selon qu’un pilote est marocain ou danois, brésilien ou suédois, coréen ou américain.

Une précaution méthodologique s’impose ici. Il faut prendre garde à tout effet d’essentialisation qui donnerait aux clichés une apparence scientifique. Ces résultats ne signifient pas qu’un Coréen sera nécessairement très autoritaire dans l’exercice de son métier ou qu’un Danois sera nécessairement très égalitaire, mais que le Marocain aura tendance à l’autoritarisme et que le Danois aura tendance à l’égalitarisme. Un Marocain égalitariste et un Danois autoritaire ne sont pas des aberrations culturelles.

L’une des conséquences de ces différents rapports au pouvoir est que l’importation des méthodes, outils et standards liés à un management plat vers des pays à management vertical ne va pas de soi. Par exemple, il est très compliqué de mettre en place le rapport anonyme sur les erreurs et incidents dans des pays où prédomine la culture de la punition et du blâme. Cette mise en place exige une implication totale des acteurs les plus hauts placés et un travail de fond sur le long terme.

Par ailleurs, l’extrême autonomie accordée aux individus dans les pays à faible distance hiérarchique peut désorienter, voire angoisser, les individus venant de pays à forte distance hiérarchique : leurs performances peuvent baisser si elles ne sont pas suivies de près par un supérieur hiérarchique.

Où est passée la France ?

Hormis les recherches sur la gestion de la fatigue menées par les équipes du professeur Régis Mollard, les études sur les facteurs culturels dans l’aéronautique sont quasiment inexistantes en France. Pire, il semblerait que les Français aient refusé de participer aux enquêtes des années 90 menées par l’université d’Austin au Texas.

L’article précédent (L’aéronautique à l’épreuve de la matrice culturelle française) a mis en évidence certains particularismes français qui produisent justement un déni des facteurs culturels. Par exemple, il faut compter parmi ces particularismes l’extrême valorisation des compétences techniques au détriment des compétences non-techniques (compétences linguistiques, gestion du facteur humain, prise en compte des facteurs culturels).

Reprenons les travaux de Merritt et Helmreich de l’université d’Austin. Les questionnaires de leurs enquêtes menées auprès des pilotes de différentes nationalités s’appuient sur les apports de la méthodologie de Geert Hofstede, un des pionniers du management interculturel. Hofstede a élaboré un modèle pour profiler les cultures nationales selon cinq dimensions :

  1. distance hiérarchique : plus ce score est élevé, plus les relations hiérarchiques sont autoritaires et la structure de la société verticale
  2. individualisme ou collectivisme : plus ce score est élevé, plus prévaut l’individualisme ; plus il est faible, plus le groupe d’appartenance prime sur l’individu
  3. masculinité : plus ce score est élevé, plus prédominent les valeurs liées à la performance, à la force et à la distinction des rôles entre hommes et femmes ; plus il est faible, plus prédominent les valeurs liées à la solidarité, au consensus et à l’égalité entre hommes et femmes
  4. contrôle de l’incertitude : plus ce score est élevé, plus l’incertitude, le risque, l’inconnu engendrent du malaise, ainsi que des procédures, régulations et innovations pour y faire face ; plus il est faible, plus se développe une aisance avec l’imprévu et l’incertain
  5. dynamisme confucéen : plus ce score est élevé, plus le rapport à la réalité et au changement est pragmatique ; plus il est faible, plus ce rapport devient idéologique et rigide

En ayant à l’esprit les réserves exprimées précédemment à propos du risque d’essentialiser les différences culturelles et d’aplanir les complexités individuelles, le modèle d’Hofstede permet cependant de déterminer et de comparer les grandes tendances culturelles. Dans le cadre de l’aéronautique, trois des dimensions d’Hofstede sont particulièrement saillantes : la distance hiérarchique, l’individualisme et le contrôle de l’incertitude (plus ce dernier est élevé, plus l’incertitude entraîne un malaise, et donc de nombreuses procédures et règlementations pour y faire face).

Reportons les résultats d’Hofstede sur un graphique réunissant les profils culturels de neuf pays occidentaux (en ne perdant pas de vue que ces résultats ont une valeur générale et ne proviennent pas d’une enquête spécifique liée au secteur aéronautique). Pour lire le tableau ci-dessous : le Danemark se caractérise par des tendances à un fort individualisme (axe vertical), à une faible distance hiérarchique (axe horizontal) et à un faible contrôle de l’incertitude (taille de la bulle).

La position de la France est singulière: elle est le seul pays à connaître à la fois un fort individualisme, une distance hiérarchique élevée et un fort contrôle de l’incertitude. Or, l’individualisme s’accorde mal avec la distance hiérarchique (rivalités interpersonnelles exacerbées), tout comme le contrôle de l’incertitude s’accorde mal avec la distance hiérarchique (management par la contrainte et le contrôle des procédures).

Autrement dit, l’environnement français n’est pas favorable à une culture de la sécurité. Supprimez toute surveillance d’un organisme français et il y a fort à parier que la plupart de ses acteurs se désengageront des contraintes de sécurité – car justement elles sont restées des contraintes, et non des réflexes culturels. Néanmoins, il n’y a rien de rédhibitoire car un organisme n’est jamais dépendant de la seule culture nationale. La culture professionnelle (le métier) et la culture organisationnelle (l’entreprise) doivent permettre de résoudre les contradictions culturelles françaises.

Tout se joue donc au niveau de la formation pour inculquer une culture professionnelle marquée par une approche décomplexée des facteurs humains et des facteurs culturels, et au niveau de la culture d’entreprise qui doit savoir rompre avec les travers culturels français. Mais tant que les écoles d’aéronautique et les grandes compagnies aériennes françaises reproduiront les travers culturels français, la culture de la sécurité en France restera défaillante.

Enfin, quand on considère la position singulière de la France dans le graphique ci-dessus, on peut mesurer les efforts que nous devons faire dans nos interactions culturelles pour coopérer avec les autres nationalités, et par suite les difficultés auxquelles se confrontent les étrangers qui travaillent en France.

* * *

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6 Comments

  1. la conformité réglementaire et documentaire n’exige pas une compétence importante. La France privilégie cette approche de la sécurité. La plus value d’un équipage est avant tout la sécurité car il en est le premier bénéficiaire. En obligeant les équipages a se conformer aux normes qui ne servent qu’a alimenter les statistiques, on appauvrit la “culture professionnelle”. Qui peut me fournir la traçabilité des pannes de Mermoz et de ses collègues sur “La Ligne” ? La sécurité doit être une “boucle qualité” très courte restreinte au “bar de l’escadrille” (qui a disparu….). Ne pas vouloir le comprendre c’est accepter avec fatalité qu’un avion en parfait état technique(aucune panne), avec des systèmes experts embarqués (qui ont vocation a interdire les décrochages) et un équipage expérimentés (3 pilotes totalisant 20 000 heures de vol) puissent disparaitre en moins de 5 minutes.
    je trouve ça cher payé. L’histoire en se déroulant quasiment a l’endroit ou Mermoz a disparu devrait nous inciter a plus de modestie; ne pas vouloir changer c’est se condamner a revivre sans fin les traumatismes le plus grands.
    ” Coupons moteur arrière droit”*

    * dernier message de Mermoz

  2. Pour les passionnés de sécurité aérienne: allez voir le site du BEA , AUCUN des accidents recensés par le site ne mentionne la fatigue de l’équipage comme un facteur contributif de l’accident. Dans l’accident du Fokker 100 de la compagnie Régional à Pau. A trois reprises sur le CVR les pilotes parlent de leur fatigue explicitement : aucune mention dans le rapport d’enquête .

    Vous êtes surpris par la “non-participation” des pilotes français aux enquêtes internationales ?

  3. Benjamin PELLETIER

    Pour donner suite à votre commentaire, voici le rapport du BEA (pdf) sur l’accident du Fokker à Pau le 25 janvier 2007. Le pilote exprime ainsi sa fatigue sur l’enregistrement (en page 41 du rapport): “Peut-être un … je sais pas je suis fatigué … on va voir … allez check roulage.”

  4. merci pour le lien mais le BEA n’a pas tenu compte de ça considerant que la parole d’un pilote aux commandes n’est pas fiable pour etre reprise comme un element contributif significatif .

    Le rapport de l’EASA (pour l’année 2010) vient de sortir la situation est absolument identique .

    En Europe, les pilotes sont des catégories de personnels qui ne sont JAMAIS fatigués cela semble incroyable mais c’est une réalité demontré par les bureaux d’enquete des accidents aériens.

    Cela reduit a néant votre demonstration basée sur une “perception erronnée” d’une réalité “floue” difficile a analyser 😉

  5. Benjamin PELLETIER

    En effet, seules les cartes mères des disques durs se fatiguent… mais jamais les organismes infaillibles qui manipulent les machines…

  6. c’est la raison d’être des pilotes dans les postes de pilotage: une véritable “plus-value” sous estimée par les gestionnaires des compagnies aériennes. Heureusement l’Europe va légiférer sur le sujet (avec des bases scientifiques indiscutables) pour permettre de tenir compte de ce particularisme . J’estime en effet que la fatigue diminue avec l’altitude en proportion directe. La preuve les astronautes (en orbite autour de la terre dans l’ISS) ne respecte absolument pas le rythme de la rotation terrestre ……… 😉

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