« … la lèpre noire de l’erreur… » Lautréamont, Chants de Maldoror
Deux souvenirs d’enfance
C’était en CM2, je devais avoir neuf ans. Je me flattais d’écrire aussi vite que la maîtresse au tableau. Quand elle mettait un point final au texte de la leçon et qu’elle se retournait pour nous surveiller, elle me surprenait toujours la tête en l’air, le regard perdu dans les branchages des arbres balancés par le vent. J’écrivais vite, mais mal. Et comme je suis gaucher, ma page était souvent constellée de taches et de traînées d’encre. Peu m’importait, je tirais une grande fierté à écrire aussi vite que la maîtresse. Là, je pouvais rivaliser avec elle.
Mais ma plus grande fierté, elle provenait des dernières minutes de la journée d’école quand, au lieu de noter les exercices de calcul et de grammaire à faire pour le lendemain, je les faisais. S’il s’agissait d’une récitation, je l’apprenais dans le bus en rentrant à la maison. Les rédactions, je les écrivais tout aussi vite à peine rentré. Seul comptait l’immensité du temps de jeu qui m’attendait avant le repas du soir. Moment le plus précieux, bien à moi, vrai moment de récréation.
Outre le fait que j’obtenais des notes médiocres en « écriture », cette obsession pour la vitesse m’a joué deux très mauvais tours. Un jour, la maîtresse nous a prévenus qu’elle allait écrire au tableau une série d’additions très compliquées ainsi que leur résultat. Nous devions les recopier sans rien dire. « Sans rien dire, hein ! » a-t-elle répété plus fort en me fixant droit dans les yeux. Pourquoi me regardait-elle avec cet air autoritaire ? D’où venait cette soudaine mauvaise humeur ? Avais-je bavardé auparavant ? Peut-être était-ce plutôt l’élève derrière moi qu’elle fixait ainsi ?
Perplexe, je me suis mis à copier les additions avec ma rapidité habituelle. L’incident précédent était oublié, je m’absorbais à écrire le plus vite possible. Les chiffres, c’était facile. Une rangée, une deuxième, une troisième, un trait horizontal et le résultat. J’allais si vite que je pouvais calculer le résultat avant que la maîtresse ait eu le temps de le noter au tableau. Ce n’était pas le même ! Je refis mon calcul une deuxième fois, une troisième et, sûr de moi, je m’écriai : « Madame, madame, il y a une erreur au tableau ! »
La maîtresse laissa tomber la craie dans la réglette, soupira profondément et se retourna lentement vers moi. « J’avais pourtant bien dit de ne rien dire ! » me lança-t-elle sèchement. Jamais de ma vie je ne reçus de regard plus assassin. Tout en étant mortifié d’avoir causé une si froide colère, je ne comprenais toujours rien à la réaction de la maîtresse, aussi certain de l’exactitude de mon résultat que de l’erreur du sien.
Le deuxième très mauvais souvenir se rapporte à la fin d’année scolaire. C’est un moment un peu spécial où se mêlent la proximité très concrète des grandes vacances et l’horizon très abstrait de la prochaine rentrée. C’est aussi la fin d’un monde au CM2, avec la perspective d’entrer au collège. Le problème de mathématiques de cette fin de journée prenait un relief particulier. L’exercice proposé réunissait les leçons des mois précédents, il s’agissait de bien faire ses preuves. J’avais très rapidement copié l’énoncé du problème, ce qui me permettait de m’y attaquer et de le résoudre avant tous les autres élèves.
Mais, arrivé à la fin du raisonnement et du calcul, le résultat n’était pas juste. Au lieu d’un beau nombre entier, je tombais sur un affreux nombre à virgule. J’avais beau faire et refaire l’exercice, cinq, dix, quinze fois, le résultat était manifestement faux. Les uns après les autres, les élèves relevaient la tête, la maîtresse vérifiait leur cahier et ils rangeaient leurs affaires. Pour la première fois, j’étais le dernier, et surtout celui qui n’y arrivait pas.
La cloche a sonné, la classe se vidait, et je restais là, fiévreux et les larmes aux yeux, incapable de faire ce que les autres avaient fait. A la fois compatissante et malicieuse, la maîtresse m’a demandé : « As-tu bien vérifié l’énoncé que tu as copié ? » C’est alors qu’avec autant de clarté qu’un paysage soudainement dissipé par le brouillard, mon erreur m’apparut : dans ma précipitation, j’avais effectivement mal recopié l’énoncé en prenant un 3 pour un 8. Aussi victorieux qu’Archimède dans son bain, j’annonçai ma découverte à la maîtresse, soulagé de voir que l’erreur ne provenait pas de mon raisonnement ni de mon calcul.
« Ne te réjouis pas », me répondit-elle en substance, « l’erreur vient bien de toi, ne l’oublie pas. »
Les leçons de ces erreurs
Plus d’un quart de siècle après, ces deux souvenirs restent aussi vivaces qu’au moment de leur manifestation. Ils ont été à la fois révélateurs et fondateurs d’un certain rapport à l’erreur.
Le premier exercice consistait évidemment à inciter les élèves à découvrir des erreurs de calcul dans une série d’additions compliquées. L’institutrice écrivait ces additions au tableau dont certaines étaient fausses. Aux élèves de vérifier ensuite les résultats. C’était là un exercice inédit et une démarche si étrange que, même après avoir reçu l’injonction de ne rien dire au moment de la copie, j’ai été incapable de me taire. J’ai donc commis une faute (violation d’une règle) en signalant une erreur (identification du faux). Plusieurs raisons expliquent cette méprise, tout comme mon incapacité à reconnaître ma faute après coup :
- J’avais un a priori : la maîtresse ne peut pas commettre d’erreur. Elle est maîtresse du savoir. Elle est là pour nous enseigner la vérité, et non la fausseté. Le fait qu’elle inscrive au tableau des calculs erronés entrait en contradiction avec l’image de perfection que je me faisais de mon institutrice.
- L’idée d’une erreur intentionnelle était en soi absurde. Si une erreur se glissait dans un exercice au tableau, ce ne pouvait être qu’une erreur accidentelle, il fallait donc la signaler immédiatement pour que nul ne soit induit en erreur.
- Enfin, j’étais victime de mon orgueil. Non seulement je pouvais rivaliser en rapidité d’écriture avec la maîtresse, mais en plus je pouvais lui signaler ses erreurs. Voilà qui comblait ma vanité et qui exacerbait l’idée de compétition intellectuelle avec les autres élèves dont aucun n’avait remarqué l’erreur en question.
Pendant le deuxième exercice, j’avais été victime de ma précipitation. N’ayant en vue que la finalité (résoudre au plus vite le problème), j’avais perdu de vue le moyen (noter correctement l’énoncé du problème). Mon erreur provenait du fait d’inverser l’ordre des priorités : le résultat plutôt que les conditions du résultat. L’énoncé me semblait accessoire, un simple habillage du problème, alors qu’il était essentiel.
Le fait est que nous n’étions pas habitués à énoncer nous-mêmes un problème, par exemple en partant d’un résultat pour formuler le problème auquel il se rapporte. Trouver la bonne réponse au plus vite, voilà l’obsession qui était la mienne. Je ne sais d’où venait cette précipitation, ni s’il faut généraliser l’inversion des priorités, mais il est certain que la dramatisation du résultat faux alors même que le raisonnement peut être correct ne peut pas être sans effet sur la négligence portée sur les conditions et le processus de résolution.
De ces deux souvenirs, je tire quatre conclusions liées à la pédagogie telle que je l’ai connue il y a un quart de siècle et telle qu’elle subsiste certainement encore de nos jours :
1. Le rapport de maître à élève repose sur l’idée d’infaillibilité du premier et de faillibilité du second, avec pour conséquence ultérieure la généralisation de cette supposée infaillibilité à tout supérieur hiérarchique.
2. L’erreur n’est pas enseignée, si ce n’est dans ses conséquences toujours néfastes et sanctionnées: sa signification et son cheminement restent ignorés des élèves. Déracinée de son processus et dramatisée dans ses effets, l’erreur est vécue comme une faute : un manquement intellectuel, une violation de la règle, un défaut intellectuel, voire un vice moral.
3. Très tôt, les élèves entrent en rivalité avec leurs maîtres et en compétition entre eux : le privilège accordé au cognitif sur le coopératif, la crainte du redoublement et le système des notes produisent un puissant individualisme vertical qui façonne la classe en sous-classes au sens social du terme, avec son aristocratie intellectuelle, sa classe moyenne et ses exclus.
4. La valorisation du résultat se fait au détriment de son processus de production. Il est vrai ou faux, correct ou incorrect, sans appréciation de la marge d’erreur. L’injonction intimidante de livrer le « bon » résultat a pour conséquence une affirmation péremptoire et un important taux de non-réponse. Cette polarisation extrême offre donc pour seule alternative soit le cri de victoire solitaire face au mutisme de la majorité, soit le mutisme général.
Erreur et enseignement des sciences
En passant du primaire au secondaire, l’élève passe en sciences de la leçon de choses à la leçon de raisons des choses par un arrachement progressif à l’expérience immédiate et à l’intuition empirique. Il découvre les marges d’erreur, le calcul des approximations, l’importance des probabilités, le poids des statistiques, la puissance de l’abstraction, il explore un monde qui n’est pas donné aux sens parce qu’infinitésimal, microscopique, moléculaire, atomique, etc.
L’élève rencontre des vérités relatives, temporaires, expérimentales, hypothétiques. Il a été peu préparé à ce bouleversement. Il doit faire de grands efforts pour multiplier les plans de vérité. Mais avec cette démultiplication, c’est également l’erreur qui se complexifie, et les possibilités d’erreur qui se démultiplient. Si l’erreur reste couplée à la dimension culpabilisante de la faute, les traumatismes vont s’aggraver et les prises de risque s’amoindrir. Il est donc fondamental de déminer le terrain de la faute au fur et à mesure que le champ de la vérité se mine d’erreurs, et donc de développer une pédagogie de l’erreur.
Il semble que cette dimension soit encore peu appréhendée, voire occultée. Je voudrais ici partager avec vous deux constats :
Le premier est établi en 1938 par le philosophe Gaston Bachelard au début de son ouvrage de référence La formation de l’esprit scientifique :
« Dans l’éducation, la notion d’obstacle pédagogique est également méconnue. J’ai souvent été frappé du fait que les professeurs de sciences, plus encore que les autres si c’est possible, ne comprennent pas qu’on ne comprenne pas. Peu nombreux sont ceux qui ont creusé la psychologie de l’erreur, de l’ignorance et de l’irréflexion. Les professeurs de sciences imaginent que l’esprit commence comme une leçon, qu’on peut toujours refaire une culture nonchalante en redoublant une classe, qu’on peut faire comprendre une démonstration en la répétant point pour point. »
Le second est établi en 2002 par Jean-Pierre Astolfi, alors professeur en sciences de l’éducation à l’Université de Rouen, dans un article consacré à la question de l’expérience en classe de sciences, L’œil, la main, la tête – Expérimentation et apprentissage (article paru dans le n° 409 de la revue Expérimenter, décembre 2002) :
« Engager les élèves à expérimenter suppose un changement dans la conception des erreurs et dans leur traitement. On peut dire avec Karl Popper, que la seule chose certaine dans les sciences sont les théories « falsifiées », sanctionnées, qui à coup sûr ne reviendront jamais plus sur le devant. L’histoire des sciences démontre en permanence qu’il n’y a pas d’expérimentation sans risque d’erreurs. Partout d’ailleurs, sauf à l’école, l’erreur est considérée comme inévitable et, au fond, formatrice, le problème n’étant pas de l’éviter mais d’en tirer les leçons. Et il n’y a guère d’apprentissage à espérer quand on se cantonne à appliquer mécaniquement des procédures balisées. Apprendre suppose une pensée qui se risque. Cela implique certains changements dans le climat de classe et le contrat didactique : libération et sécurisation de la parole, incitation à s’adresser les uns aux autres et pas seulement à l’enseignant, encouragement à faire des propositions dont on n’est pas sûr, clarification des temps qui relèvent de l’apprentissage et de ceux qui relèvent de l’évaluation, etc. »
La continuité du constat entre 1938 et 2002 est – malheureusement – remarquable en ce que les deux auteurs déplorent l’occultation du phénomène de l’erreur dans un domaine en fait travaillé en permanence par ce phénomène. La science est encore vécue sur le mode de la révélation d’une vérité et de la répétition mécanique de démonstrations et de procédures. On apprend sa leçon mais on ne prend pas de risque, et surtout on ne veut pas faire d’erreur.
Un rapport trop autoritaire à la règle
Cette situation problématique vis-à-vis de la question de l’erreur se reflète dans les enquêtes internationales PISA de l’OCDE qui évaluent les compétences scientifiques des élèves dans la plupart des pays du monde. D’une part, parmi les pays développés, les élèves français ont un des plus forts taux de non-réponse aux questions appelant des réponses construites : 15,7 % contre 12,9 % en moyenne dans les pays de l’OCDE lors de l’enquête PISA 2000. Ne savent-ils pas répondre ? Ne le peuvent-il pas ? Ou, tout simplement, se focalisent-ils trop sur le résultat, et pas assez sur les moyens de l’obtenir ?
D’autre part, dans le rapport PISA 2006 (ici, en pdf), on peut lire une intéressante comparaison des résultats entre élèves français et tchèques en sciences :
« Les résultats des épreuves PISA de sciences permettent aussi d’identifier directement les domaines dans lesquels les élèves sont plus ou moins performants dans chaque pays. Ainsi, en France, les élèves possèdent de meilleures connaissances à propos des sciences qu’en sciences, alors qu’en République tchèque, la tendance inverse s’observe. »
Serait-ce que répondre aux questions à propos des sciences expose moins au risque d’erreur qu’aux questions scientifiques ? Dans ce cas, le constat de Jean-Pierre Astolfi serait toujours valable : « Partout d’ailleurs, sauf à l’école, l’erreur est considérée comme inévitable et, au fond, formatrice, le problème n’étant pas de l’éviter mais d’en tirer les leçons. Et il n’y a guère d’apprentissage à espérer quand on se cantonne à appliquer mécaniquement des procédures balisées. Apprendre suppose une pensée qui se risque. »
Ou bien, serait-ce, plus fondamentalement, qu’il manque aux élèves français une passerelle pour véritablement pénétrer en sciences ? Dans ce dernier cas, nous rejoindrions le constat de Gaston Bachelard : « Les professeurs de sciences imaginent que l’esprit commence comme une leçon, qu’on peut toujours refaire une culture nonchalante en redoublant une classe, qu’on peut faire comprendre une démonstration en la répétant point pour point. »
Ou bien, serait-ce un peu des deux ? Ou encore, d’un excessif respect pour la loi ou la règle à appliquer au détriment de la libération de la parole, ainsi que le déplore Jean-Pierre Astolfi ? Cette dernière hypothèse n’est pas à exclure quand on considère les conclusions d’une enquête sur l’enseignement de l’anglais menée en 2002 dans huit pays par l’Union Européenne. Le constat à propos de l’enseignement de l’anglais en France n’est pas sans rappeler les problèmes rencontrés en sciences :
« Il semblerait que, pour les professeurs français d’anglais, ce qui vient en premier dans l’apprentissage d’une langue reste la correction grammaticale. C’est pourquoi la représentation donnée de l’apprentissage d’une langue n’est pas reliée à la communication. Les professeurs développent une obsession pour la perfection qui bloque les élèves. Ainsi, en France, il est nécessaire pour les professeurs, tout comme pour les élèves, d’avoir une parfaite maîtrise de la grammaire afin de prendre le courage de parler et de s’exprimer soi-même. De plus, les élèves ne possèdent pas un large champ de connaissances lexicales. Le fait qu’ils soient constamment corrigés par les professeurs mène à une usage excessif du français durant la leçon d’anglais : les professeurs donnent des explications en français et les élèves répondent de même pour montrer qu’ils ont compris un message oral ou écrit. Les professeurs visent à la « perfection » dans le message. »
Tout comme en sciences, on note un blocage des élèves suscité par l’obsession de ne pas faire d’erreur. Or, comme en sciences, en langues, mais aussi dans quelque forme de savoir que ce soit, l’erreur est le cheminement naturel de l’apprentissage. Qui voudrait ne faire aucune fausse note, laisserait ses mains inertes sur le clavier du piano. Il y aurait en France une vraie peur de la cacophonie productrice de désordre, d’où la subsistance de l’idée que toute règle bien apprise devrait s’appliquer spontanément à la perfection.
L’a priori de la démarche pédagogique serait alors la recherche de la perfection du résultat, ce qui se transforme bien trop souvent en production d’un silence général et coupable emprisonné entre les quatre murs d’une classe…
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Vous écrivez: le constat de Jean-Pierre Astolfi serait « Partout d’ailleurs, sauf à l’école, l’erreur est considérée comme inévitable et, au fond, formatrice, le problème n’étant pas de l’éviter mais d’en tirer les leçons. Et il n’y a guère d’apprentissage à espérer quand on se cantonne à appliquer mécaniquement des procédures balisées. Apprendre suppose une pensée qui se risque. »
le “partout d’ailleurs, sauf à l’école…” s’applique au monde du travail où il est exigé de faire de mieux en mieux mais surtout de ne pas faire d’erreur? S’applique-t-il au code de la route, où l’amende peut se révéler très élevé pour avoir pendant quelques dixiemes de secondes et au mauvais endroit, avoir dépassé la limitation de vitesse?
L’entreprise tire-t-elle les leçons de ses échecs? Les hommes comme les organisations cultive la gestion des échecs pour ne plus les refaire?
Si j’ai bien lu cette insertion, je ne partage pas ce constat Jean-Pierre Astolfi sur le “partout d’ailleurs”.
Juste deux remarques, Jérôme:
La phrase d’Astolfi s’applique aux activités humaines en général. Or, le code de la route n’est pas une activité humaine mais la mise en forme de la régulation d’une activité (en l’occurrence, la conduite d’un véhicule). On sait que sur son trajet le conducteur commet tant d’erreurs en moyenne. Elles pourraient certes être évitées mais on touche également un palier qu’il est impossible de franchir. Par exemple, un pilote d’avion commet en moyenne deux erreurs par vol. L’acceptation de cette réalité permet de ne plus se sentir invulnérable et infaillible (ce qui est d’ailleurs cause d’erreur…) et d’augmenter sa concentration pour limiter le risque d’erreur. Cette acceptation est fondamentale et liée au caractère “inévitable” de l’erreur.
Enfin, que l’erreur soit considérée par l’entreprise comme inévitable n’implique pas forcément que cette dernière en tire des leçons.
L’erreur en aviation.
En aviation où nous traquons les erreurs depuis des décennies, son statut a évolué depuis une vingtaine d’années et elle est considérée comme indissociable de l’activité des pilotes. Comme tu le soulignes très justement, les équipages commettent des erreurs à chaque vol, ils en récupèrent environ 95%, les conséquences des 5% restants sont la plupart du temps mineures (heureusement !).
Quand un pilote commet une erreur qui va l’entraîner à violer par exemple une consigne, un règlement, il passe par exemple dans une zone interdite, il existe une philosophie mais également des textes de loi, qui « dépénalise » l’erreur, sous réserve que le pilote en fasse état (compte-rendu).
Dans les années 2000 un concept de Gestion des Menaces et des erreurs est apparu ; il dit en gros : anticipez les situations qui pourraient générer des erreurs. Bref, réfléchissez avant de vous retrouver dans une mauvaise posture.
J’ai formé beaucoup de pilotes pendant une trentaine d’années. Il y en avait des très bons, des bons et d’autres encore. Et bien les très bons du point de vue de la qualité de leur vol, avec très peu d’écarts (ou d’erreurs), possède une véritable fragilité dans leur métier, ils se savent bons et du coup il se sentent plus ou moins invulnérable. Et ça c’est une vraie plaie dans ce métier. Sans rire, si je monte dans un avion de ligne comme passager, en ayant le choix je préférai avoir aux commandes les deux moins bons que le très bon.
Celui qui ne fait pas « zéro faute » se sait vulnérable et il agit en conséquence tout au long de sa carrière. Et comme dans la plupart des métiers il met en place une boucle de réflexivité sur ses pratiques synonyme de progression, avec une qualité qui l’alimente qui s’appelle l’humilité. Ce n’est pas toujours le cas des « premiers de la classe »… avec parfois des conséquences malheureuses.
Merci pour ces précisions. Cela rejoint l’idée qu’un très bon conducteur – autrement dit, un conducteur qui se “sait” et qui “s’estime” très bon, la nuance est importante – est plus sujet à avoir un accident mortel sur la route qu’un conducteur moins bon.
J’ai entendu cela ce matin à la radio. Je crois qu’il était question de 70% (je ne suis plus sûr du chiffre mais c’est de cet ordre) des accidents mortels sur la route ont été en fait des “premiers” accidents pour les conducteurs concernés. Autrement dit, il s’agissait la plupart du temps de très bons conducteurs qui n’avaient jamais eu d’accident…
Merci pour cet article qu’illustre si bien l’importance de la liberté de raisonnement, sans peur de l’erreur, si riche pour faire un pas de plus en avant.