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Les Français en Chine: points forts, points faibles

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C’est là l’intitulé du dîner-débat que j’ai organisé le jeudi 7 octobre. Tous les trois mois, je propose en effet un sujet de discussion en relation avec les problématiques interculturelles. La précédente rencontre a eu lieu en juin sur le thème Cultures nationales, culture d’entreprise.

Lors de ce débat sur la coopération franco-chinoise, nous avons eu le plaisir d’accueillir trois intervenants:

1. M. Jérémie Ni, formateur en management interculturel sur la Chine. Après une riche expérience dans l’industrie automobile, il a fondé ChinForm, centre de formation sur la Chine et il nous a fait part de son retour d’expérience sur la coopération franco-chinoise en apportant des éléments très concrets sur les réussites et échecs en la matière. Ce premier cadrage nous a permis de poser les bases de la discussion.

2. Mme Laure Dykstra, vingt ans d’expérience dans le secteur bancaire, dirige le cabinet EastWest Conseil. Mme Dykstra a développé une expertise très fine sur l’Asie, et sur la Chine en particulier. En mettant l’accent sur les différences de conception de la relation client, son intervention a permis de mettre en relief certaines différences culturelles fondamentales qui affectent la coopération franco-chinoise. Laure Dykstra est également l’auteur de Pékin 1986-Beijing 2008: Miroir du temps, 2010, témoignage sur l’évolution de la Chine (livre bilingue français-chinois).

3. M. Marc Guigon, chargé de mission à la DATAR. Avec son intervention, nous avons découvert un champ de coopération méconnu: celui de l’expertise publique française très en pointe en Chine sur les problématiques d’aménagement du territoire. A ce titre, M.Guigon a témoigné sur son expérience de conseil, accompagnement et formation des hauts fonctionnaires chinois.

Introduction: soulever le couvercle chinois…

Ces dernières années, le discours sur la Chine a connu une inflation extraordinaire au fur et à mesure qu’augmentaient son poids économique et son influence sur les affaires du monde. Assurément, ce discours est appelé à se développer les prochaines années.

Or, il est paradoxal que ce pays de plus de 1,3 milliard d’habitants, désormais deuxième puissance économique mondiale, ce pays dont on ne cesse de parler, soit pour le diaboliser soit pour l’encenser, ce pays semble muet, ou en tout cas très méconnu. Qui peut citer par exemple le nom du ministre chinois de l’Economie ? Des Affaires étrangères ? Qui peut donner le nom des cinq plus grands groupes chinois ? Le nom d’un économiste chinois ?

Cette méconnaissance est préjudiciable à la coopération franco-chinoise. Les interventions qui ont lieu hier soir ont montré toute la vitalité interne à la Chine, le monde d’opportunités pour les entreprises françaises, la vigueur des questionnements et des débats qui animent les autorités chinoises, mais aussi la difficulté des Français à comprendre comment fonctionnent la mentalité et la pratique des affaires en Chine.

S’il faut souligner les réussites françaises et les points forts de l’expertise française en Chine, il reste encore beaucoup de chemin à parcourir pour dépasser une vision caricaturale et entamer une véritable approche pragmatique de la Chine. Retour donc au facteur humain et à ses dimensions culturelles…

1. Pour en finir avec la diabolisation de la Chine

L’intervention de M. Jérémie Ni a permis de mettre en évidence les grands enjeux de la coopération entre Français et Chinois. Pour résumer, les Français – mais aussi tous les étrangers – qui souhaitent investir et travailler en Chine doivent faire preuve de trois qualités essentielles :

  1. des compétences techniques reconnues
  2. une souplesse interculturelle pour gérer les paradoxes chinois
  3. le sens du relationnel pour s’insérer dans le temps long de la logique du réseau

Or, il déplore le fait que, comparativement à d’autres nationalités, les Français sont peu intéressés pour aller en Chine. Certains expatriés envoyés en Chine ne possèdent pas les qualités mentionnées ci-dessus.

A cela, il voit deux facteurs :

  • d’une part, une frilosité culturelle qui pourrait se définir par la peur de l’échec, la difficulté à parier sur l’intuition et le besoin de se rassurer avant tout engagement avec de longues études et analyses,
  • d’autre part, il y a en France un discours, notamment médiatique, qui diabolise la Chine au détriment d’une approche rationnelle et pragmatique.

Globalement, Français et Chinois s’affrontent sur la question du contrat qui est une valeur absolue pour les uns et très relative pour les autres. Ainsi, par méfiance et peur de la prise de risque, les Français passent à côté de nombreuses opportunités, ce qui n’est pas le cas d’autres nationalités en Europe.

2. Le hiatus du temps

Mme Laure Dykstra a confirmé ce constat en rappelant notamment combien la conception de la relation client était diamétralement opposée chez les Français et les Chinois.

La formation et le transfert de know-how (savoir-faire) font partie intégrante de la relation client pour les Chinois. Cela demande donc l’accueil régulier de délégations chinoises en France et l’organisation de séminaires sur les sujets innovants ou plus courants qui répondent en priorité à leurs besoins. Voilà qui exige de la part des Français un investissement en temps important. Mais c’est la passage obligé d’une relation client efficace et de contrats à la clé.

Mais trop souvent les Français restent sur une relation transactionnelle court-termiste tandis que les Chinois sont résolument dans l’opportunisme stratégique.

On peut dire ainsi que là où les Français voient une finalité (signature d’un contrat), les Chinois voient un moyen (engagement dans un processus). Français et Chinois s’opposent dans l’inscription de la relation dans le temps. Il faut malheureusement déplorer une réticence française à développer des relations sur le long terme et à voir au-delà du contrat pour s’engager dans un partenariat stratégique.

Tout comme M. Jérémie Ni, Mme Laure Dykstra a souligné l’importance de l’intuition en Chine. Voilà qui dénote de la part des Chinois ce qu’on pourrait appeler un « art du coup d’œil » capable de saisir le potentiel d’une situation.

Le rapport au temps semble en effet un vrai hiatus entre Français et Chinois : les premiers s’inscrivent dans un schéma classique qui se déroule sur un segment du temps linéaire (projet/action/résultat/bilan) ; les seconds réconcilient les contraires de l’instant et du temps long (intuition/processus/intuition/processus, etc.). Pour prolonger, je vous engage à consulter à la fin de l’article L’interculturel intégré à la stratégie des entreprises: un exemple le tableau qui résume les différences de conception de l’action en Occident et en Chine.

3. Une expertise publique française très appréciée

M. Marc Guigon a permis de découvrir un aspect méconnu de la coopération franco-chinoise : l’expertise publique en matière d’aménagement du territoire. Ce coup de projecteur est bienvenu car, dans ce domaine peu médiatisé, les Français possèdent de nombreux points forts.

La Chine se confronte à trois défis majeurs à propos desquels les autorités chinoises sont en pleine réflexion :

  • le modèle de développement : comment penser la croissance de la Chine à l’avenir ?
  • les valeurs : quelles valeurs vont porter la société chinoise dans les prochaines années ?
  • la gouvernance : comment penser une forme de démocratie « à la chinoise » ?

M. Marc Guigon participe donc activement à ce débat en formant de hauts fonctionnaires chinois à l’expertise française, notamment sur le mode de fonctionnement du pouvoir central avec les collectivités territoriales, mais aussi sur le développement durable, la gestion durable de l’eau, le développement de l’agriculture, les grands projets urbains et les transports.

Au-delà de l’image d’une Chine sclérosée par un pouvoir central à la mode soviétique, nous prenons ainsi conscience de l’intensité et de la vigueur des débats en cours où l’approche du changement et de la réforme se veut pragmatique.

Par ailleurs, M. Marc Guigon a insisté sur la gestion des relations sur le long terme avant de parvenir à un accord de coopération. Il a également confirmé que la notion de contrat était toute relative, se résumant en Chine à la signature d’un accord entre les hautes instances et ensuite à une mise en application flexible, changeante et s’émancipant souvent des clauses définies à l’origine.

* * *

Je remercie vivement ces trois intervenants pour nous avoir fait partager leurs réflexions et leur riche expérience. Dans ce court laps de temps, nous avons pu ainsi soulever le couvercle chinois et poser des questions très concrètes qui ont permis de nuancer une vision de la Chine qui reste encore en France fortement caricaturale. Merci aussi à tous les participants pour leur présence et leur bonne humeur.

La prochaine rencontre aura lieu en janvier, elle sera comme d’habitude annoncée sur LinkedIn au sein du groupe de discussion Gestion des Risques Interculturels.

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