Gestion des risques, Management interculturel

Approche de la complexité culturelle : grille de lecture

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Les nombreuses études de cas publiées sur ce blog (cf.index des études de cas) visent à donner des éléments de décryptage de la complexité culturelle en insistant sur les enjeux économiques et les problématiques d’entreprise. Il ne s’agit pas d’épuiser cette complexité, ce qui dépasse les moyens mis en œuvre ici, mais tout du moins d’orienter le regard du lecteur vers les facteurs culturels qui déterminent en partie ou en profondeur certains phénomènes.

C’est une approche délicate à mener. Toujours il y a le risque de généraliser ou de simplifier à outrance, d’oublier ou de méconnaître certains facteurs culturels importants pour l’analyse ou de faire de la dimension culturelle une dimension essentielle qui fige l’identité et radicalise les différences. Il ne faut ni occulter les facteurs culturels ni les stigmatiser. Il ne faut pas se contenter de décrire mais chercher à comprendre.

Avec le recul de presque trois ans de publication sur ce blog, je voudrais partager une grille de lecture de ces différents risques et du point de vue qu’il me semble nécessaire d’adopter, aussi bien pour le travail d’analyse que lors des formations interculturelles que je dispense. Cette grille comprend deux axes et un centre :

  • Horizontalement : Culturalisme – Le culturalisme signifie ici le fait de tout ramener aux facteurs culturels, et même de considérer les différences culturelles comme des différences essentielles. Dans sa version extrême, chacun est renvoyé à ses propres différences, et donc à une incompatibilité culturelle. Le risque sera d’autant plus grand que le relativisme sera associé à l’universalisme, donnant lieu à une hiérarchisation des cultures.
  • Verticalement : Aculturalisme – Le terme aculturel est un néologisme que j’utilise pour désigner le déni des différences culturelles, comme si elles n’existaient pas ou pouvaient être négligées car sans importance ni influence (cf. L’illusion aculturelle). Dans sa version extrême, l’aculturalisme rejoint l’universalisme en ne valorisant que les éléments universels – réels ou idéaux – qui, par définition, transcendent les cultures. La conséquence est un risque d’aveuglement et d’indifférence quant aux facteurs culturels dont la compréhension et la prise en compte pourraient être bénéfiques aux interactions humaines.
  • Au centre : La flèche et la cible – Autrement dit, c’est le point de vue à adopter et la complexité visée. C’est sur le centre de la grille de lecture proposée qu’il faut focaliser le travail d’analyse et de formation interculturelles, et en règle générale la coopération avec des collègues et partenaires étrangers.

La zone Indifférence correspond au degré minimal de compréhension des cultures. Ce terme d’indifférence doit donc être compris au sens d’indifférenciation, et non au sens banal de froideur, d’ignorance volontaire ou méprisante. L’état d’indifférence est alors proche du désintérêt et de l’incompréhension. C’est une vague curiosité et peu d’empathie pour les autres cultures.

Sur l’axe du Culturalisme, j’appelle singularisation le niveau 2 – à défaut d’un terme plus précis. Il s’agit de la capacité à considérer la singularité des situations culturelle en tant que telles, sans les juger ni les caricaturer. Cette considération reste cependant de l’ordre de la description et de l’anecdote. C’est un moment nécessaire mais non suffisant pour donner du sens.

Le niveau 3 est le relativisme, qui inclut le risque de tout expliquer par les facteurs culturels en se focalisant sur les différences, c’est-à-dire d’appauvrir les situations du niveau 2. Si l’on reste sur cette approche, il devient compliqué de penser les complémentarités et les points communs, tout comme de développer des stratégies d’ajustement.

Sur l’axe de l’Aculturalisme, j’appelle généralisation le niveau 2. C’est l’effort pour identifier des tendances, règles générales ou lois de récurrence pour des situations culturelles. C’est un point de vue utile mais délicat. En effet, comme on reste en retrait par rapport aux singularisations, on risque de donner une apparence objective aux clichés.   

Le niveau 3 est l’universalisme. C’est typiquement le point de vue français en ce que notre société et notre organisation politique sont basées sur une conception universelle de la notion de personne et des droits et devoirs. Notre matrice culturelle est aculturelle, fondée sur la non prise en compte des origines culturelles. C’est un modèle qui a ses vertus mais qui a aussi les défauts de ses qualités. Ainsi, nous avons des difficultés à adopter le point de vue des autres cultures, à prendre en compte les facteurs culturels à l’international et à développer en France une culture de l’interculturel.

Les deux zones notées jugement correspondent à la rencontre toujours conflictuelle de l’universalisme et du relativisme, soit parce que la majorité universaliste cherche à soumettre à son jugement les relativistes, soit le contraire. C’est le règne du jugement de valeur interindividuel.

La zone hiérarchisation est une exacerbation des deux zones jugement. A présent, ce ne sont plus seulement des individus qui se jugent entre eux, mais des cultures. Le point de vue le plus universel sur les cultures implique en effet le point de vue le plus relativiste : dans ce cas, il y a une culture qui revendique l’universalisme et qui établit une échelle de valeur des autres cultures en jugeant de leur proximité ou de leur éloignement par rapport à ce qu’elle est.

La zone complexité se trouve éloignée de tous ces extrêmes. C’est pourquoi elle est si difficile à atteindre. La prudence est toujours de mise car la zone complexité est cernée par de multiples écueils : il y a simplification dans le point de vue universaliste, il y a réduction dans le point de vue relativiste ; le jugement de valeur parasite l’analyse et sape la coopération, la généralisation s’appauvrit sans la singularisation et la singularisation perd de son sens sans généralisation.

Néanmoins, la complexité culturelle se nourrit de ces deux derniers termes sans pour autant s’identifier à l’un ou à l’autre. Elle est un croisement entre la singularité des situations et la recherche de tendances culturelles. Elle va donc inclure une multiplicité de facteurs et de faisceaux de causalité. Ainsi, s’il fallait indiquer les zones en interaction avec la complexité et les zones à éviter, cela donnerait ceci :

* * *

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  • Vous pouvez consulter mon profil, la page des formations et des cours et conférences et me contacter pour accompagner votre réflexion.

Quelques suggestions de lecture:

5 Comments

  1. Excellent article. A lire et à re-lire.
    Marion

  2. Benjamin PELLETIER

    Merci et re-merci! 😉

  3. Bravo pour l’effort intellectuel et également le partage encore une fois.

    Après réflexion, je n’ai malheureusement pas trouvé mieux pour la zone “singularisation”.

  4. Une grille de lecture cohérente au regard de vos analyses et articles toujours brillants.
    L’item “singularisation” pourrait être précisé par : “différenciation”, ou “distinction”, mais le mot évoquant la définition sociologique de Bourdieu suggère une notion de hiérarchisation inopportune.
    Sur le chemin du culturalisme ne rencontre-t-on pas le “multiculturalisme”, dont une définition moins socio-politique pourrait être ici “pluriculturalisme”. A moins que vous ne situiez ces 2 notions dans la zone de “complexité”.
    Dans ce cas pour préciser “singularisation”, “particularisme” me parait être une alternative plus idoine.

  5. Benjamin PELLETIER

    @Régis – J’apprécie cet effort de contribution! Il est toujours réducteur – et risqué – de vouloir faire entrer dans des “cases” la réalité… et je ne peux que me réjouir d’essayer de parvenir avec vous à quelques éclaircissements.
    Je ne suis pas satisfait du terme Singularisation car il induit un processus (suffixe – isation: devenir singulier) comme s’il n’y avait plus d’interactions mais seulement des entités singulières. Différenciation est un terme auquel j’ai également pensé. Après bien des hésitations, je l’ai mis de côté car il induit souvent un jugement de valeur. Mais il pourrait être repris avec quelques précautions.
    Le multiculturalisme est à proprement parler une politique visant à accorder des droits spécifiques à des communautés culturelles identifiées comme telles par la puissance publique. D’un côté, il semble en effet traiter de la Complexité, mais d’un autre côté il tend vers le Relativisme.
    Pluriculturalisme désignerait la coexistence de communautés culturelles dans un même espace politique. Mais ce que je voulais montrer avec cette grille de lecture, ce n’est pas la description des différentes réalités culturelles, mais des différentes approches de ces réalités. En un mot: les postures ou positions intellectuelles qui déterminent la compréhension et la représentation de ces réalités.
    Du coup, la réalité pluriculturelle peut être approchée de différents points de vue, universaliste (la France, par ex), ou relativiste (Canada, par ex).

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