Revues de presse

Vers la désoccidentalisation du monde – revue de presse

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Revue de presse des articles du mois de septembre ayant attiré mon attention et alimenté certains articles du blog.

France : deux lignes de front

Après la difficile mise en ligne du bien peu séduisant et très institutionnel site internet France.fr, le gouvernement français a annoncé la création d’un observatoire du « made in France ». L’objectif est de mesurer l’impact des politiques industrielles en évaluant le taux de composants français dans les produits industriels fabriqués en France. Parallèlement à cet observatoire, un projet de label « marque France » serait en cours d’étude.

Il sera essentiel de suivre l’évolution de cette question dans les prochains mois. La réflexion stratégique en la matière est en effet balbutiante en France et il serait regrettable que, par manque de volonté politique, ces annonces ne soient pas suivies d’effet. Car, outre les indicateurs et instruments de mesure qu’il est urgent de mettre en place pour sortir de la confusion actuelle, l’enjeu concerne la capacité de la France à conserver la maîtrise de son image, à se projeter à l’international et à identifier les opérations risquées d’acteurs étrangers avides de profiter de la notoriété française.

Concernant ce dernier point, je vous renvoie sur ce blog à l’article Un Chinatown à Châteauroux ? où la question est posée à propos d’un projet d’implantation de dizaines d’entreprises chinoises dans le Berry. A suivre donc, d’autant plus que, selon Christian Estrosi, ministre de l’Industrie, ce nouvel observatoire a pour but de montrer que « fabriquer en France, ce n’est pas assembler en France des composants importés de l’étranger à bas coûts. »

Avec le sociologue Hugues Lagrange qui vient de publier Le déni des cultures, Le Figaro fait le point sur un sujet immédiatement polémique en France : la délinquance des enfants d’immigrés maghrébins et subsahariens. Sous le titre Délinquance : les enfants d’Africains surreprésentés, cet article rompt avec le tabou français des statistiques ethniques pour montrer que la délinquance de ces jeunes est bien plus importante que la moyenne nationale.

L’un des mérites de cet article est de mettre en avant les facteurs culturels qui, par principe, sont négligés en France par crainte des dérives racistes et au profit d’une conception universelle de l’homme. Or, ces facteurs ont un impact majeur chez des jeunes soumis à un choc culturel permanent. D’une part, leurs familles, souvent illettrées, rurales et patriarcales, sont déstabilisées à leur arrivée dans une société française où le système d’éducation par la communauté villageoise ne fonctionne plus ; d’autre part, elles sont marginalisées par la société française qui dénie les particularismes culturels.

L’article du Figaro propose également un entretien avec Ferdinand Ezembé, psychiatre et médiateur interculturel. En voici un extrait :

« Les villes nous sollicitent de plus en plus pour faire de la médiation interculturelle, car la rencontre d’un père malien et d’une assistante sociale tourne souvent au dialogue de sourds. Elle le considère comme l’archétype du machisme. Et lui refuse qu’une jeune femme de 23 ans lui explique comment éduquer ses huit enfants. Les institutions essaient d’ailleurs de contourner les pères, et c’est une erreur. On ne pourra pas faire sans eux. Il faut les aider à exercer leur autorité. »

Par là, on voit que nous manquons de réel savoir-faire pour gérer le risque interculturel dans l’accueil même des étrangers sur le territoire. Or, à force de ne pas vouloir ni savoir gérer ce risque, nous en sommes à gérer des crises lors des manifestations de violence. La polémique prend alors le pas sur le pragmatique dès lors que des tentatives ont lieu pour mieux prendre en compte les spécificités culturelles (voir sur ce blog Un stage de culture arabe pour la police nationale).

Comme prolongement à la lecture de cet article, je signale un article de Slate La déségrégation responsable de l’échec scolaire? à propos de l’échec scolaire des Noirs américains. Un récent ouvrage sur ce sujet a ainsi émis l’hypothèse suivante : et si les mesures pour favoriser l’intégration des Noirs avaient une part de responsabilité dans leur échec scolaire ?

Stuart Buck, l’auteur de Acting White: The Ironic Legacy of Desegregation (Jouer au Blanc: l’ironique héritage de la déségrégation) s’interroge sur la « culture des mauvais résultats scolaires » comme marquage identitaire. Le rejet de la réussite scolaire par les Noirs serait alors une façon de se distinguer des Blancs, d’où le développement d’une culture de la sous-performance scolaire revendiquée comme une forme d’élitisme « par le bas » :

« Si beaucoup d’enfants qui grandissent dans ces quartiers défavorisés pensent que l’éducation est le domaine exclusif des blancs, c’est parce qu’ils considèrent presque toutes les carrières dominantes comme le domaine exclusif des blancs. »

Partant de là, et revenant maintenant au problème français des banlieues, on peut effectivement s’interroger sur la responsabilité de l’Education nationale qui s’obstine depuis des dizaines d’années à y muter des jeunes professeurs n’ayant aucune connaissance de la complexité culturelle et sociale de ces quartiers et qui vivent cette affectation comme un purgatoire. Comment dans ce cas, les élèves vont-ils se représenter ces passeurs de savoir qui doivent également être des professeurs de désir ? Comme des étrangers avec lesquels ils n’ont rien de commun. En d’autres termes, l’école reproduit le choc culturel.

Enjeux de la mondialisation

Les ports européens sont un enjeu majeur. Après les visées chinoises sur le port grec du Pirée (cf. Les Grecs parlent-ils chinois ?), voici les Malaisiens et le port de Marseille. Dans la perspective de l’article précédemment publié sur ce blog Le marché des produits halal : enjeux culturels et économiques, la dimension stratégique de ce marché spécifique est très clairement apparue en septembre, comme le signale l’article du site al-kanz.org Halal en France : l’offensive malaisienne. En effet, la Malaisie, qui est un acteur majeur de ce marché, cherche depuis plusieurs années à s’implanter en France pour exporter ses produits en Europe et en Afrique du Nord.

C’est chose faite avec la signature du partenariat entre le port de Marseille-Fos et le Port Keelang en Malaisie. Voilà qui est l’occasion pour Al Kanz de souligner le retard stratégique de la France en matière de certification halal et de développement de la filière :

« Les autorités malaisiennes viennent de frapper un grand coup face à une France incapable d’initier et de mener des projets d’envergure autour du halal et des musulmans, que l’on préfère criminaliser au gré du calendrier politique.  En laissant le soin à d’autres pays de tracer la feuille de route sur ce marché, les autorités françaises minent l’économie française en lui interdisant d’être l’un des moteurs au niveau international du marché du halal. »

Pour un point de vue malaisien sur la signature de cet accord, voir l’article PM Port Klang & Port Of Marseilles Ink MoU To Bolster Malaysia’s Halal Exports To North Africa où l’on apprend que le développement de ces échanges concerne les aliments, mais aussi les chaussures et les cosmétiques. On apprend également que l’Afrique du Nord n’est pas la seule destination visée: les Malaisiens ciblent également l’Europe de l’Est. Si le halal a permis aux Malaisiens de mettre un pied dans la porte de l’Europe, on peut être certain que leurs projets d’exportation ne s’y limitent pas aux consommateurs musulmans.

L’Afrique attise ainsi de nombreuses convoitises, une attraction qui ne va que s’amplifier dans les prochaines années si l’on en croit une étude de McKinsey dont l’Expansion a fait le compte-rendu sous le titre Investir en Afrique est un impératif. Les Chinois l’ont bien compris et ils ont certainement une part de mérite dans le dynamisme actuel de nombreux pays d’Afrique.

Par ailleurs, vous trouverez sur le blog de Thierry Pairault, directeur de recherche au CNRS, un intéressant récapitulatif des investissements directs chinois en Afrique sur la période 2003-2009. Vous noterez ainsi qu’à plus de 55% ces investissements ont lieu en Afrique du Sud.

La mondialisation, c’est également des relations de « coopétition » (coopération/compétition) de plus en plus complexes. Par exemple, La Tribune annonce que la France et la Chine ont un projet de coopération pour Airbus tout en étant en concurrence sur le TGV. La France et l’Allemagne sont également en féroce compétition sur différents marchés de trains à grande vitesse et sur l’ouverture des lignes nationales européennes à la concurrence, alors que dans le même temps les deux pays viennent d’annoncer la création d’un groupe ferroviaire commun, prélude à un possible « Airbus du rail ».

Ce rapprochement entre la France et l’Allemagne sur le dossier ferroviaire – sur fond de tensions, voire de « batailles » ou de « guerres » entre la SNCF et la Deutsche Bahn et entre Alstom et Siemens – vise clairement à faire face à la concurrence chinoise et à contrer ce qui apparaît de plus en plus comme un mouvement de « désoccidentalisation » des acteurs économiques.

Cette désoccidentalisation est également l’indice d’un regain de confiance culturelle de nombreux pays. En témoignent les luttes menées par des cultures nationales contre les musées des grandes capitales occidentales afin de récupérer des biens culturels dont elles revendiquent la propriété. J’ai déjà évoqué cette question dans l’article Les cultures nationales à l’assaut des musées universels.

A l’occasion du prochain centenaire en 2011 de la découverte de Machu Picchu par Hiram Binham, le journal argentin Clarin rappelle que le Pérou est engagé dans une bataille juridique avec l’université de Yale pour récupérer les 5400 objets incas qui s’y trouvent. Selon Clarin, un accord conclu avec le gouvernement péruvien en 1912 prévoyait la restitution des objets sous deux ans, ce qui ne fut jamais fait.

Autre signe de cette désoccidentalisation : l’émergence d’une compétition nouvelle de la part de nombreux pays pour attirer les étudiants étrangers dans leurs universités. Les Echos du 8 septembre notent que la Russie, l’Australie, la Corée du Sud, la Nouvelle Zélande ont gagné des parts de marché dans l’accueil des étudiants étrangers sur leur territoire.

A cela, il faut ajouter les innovations en termes de partenariats visant à créer des passerelles éducatives entre pays non-occidentaux. Je rappelais ainsi dans la revue de presse du mois d’août que l’université de Yaoundé au Cameroun a annoncé cet été un partenariat d’un nouveau type avec l’université de Madras en Inde pour développer l’enseignement à distance.

Signalons enfin que l’OCDE a publié un imposant rapport sur l’éducation et la formation dans le monde (ici, en pdf). Je laisse à votre appréciation la modeste place de la France pour le taux d’adultes participant à des activités de formation (en p.86 du rapport).

Diplomatie publique et influence culturelle

Pour ceux qui ont lu sur ce blog l’article du 16 septembre sur Les banlieues françaises, cibles de l’influence culturelle américaine, vous lirez avec intérêt l’article du New York Times paru le 23 septembre Feeling Slighted by France, and Respected by U.S. (Le sentiment d’être méprisé par la France et respecté par les Etats-Unis) qui offre une vision très complaisante de ces mêmes actions d’influence…

En complément, le site Al Kanz a publié France : les USA s’intéressent aux entrepreneurs musulmans. En effet, le dernier programme des « Visiteurs Internationaux » vise cette fois-ci 26 entrepreneurs musulmans dans le monde. Pour la France, c’est M. Nabil Djedjik, entrepreneur et secrétaire général du syndicat patronal SPMF (synergie des professionnels musulmans de France), qui vient de s’envoler aux Etats-Unis pour une visite de découverte aux frais du Département d’Etat.

L’Afrique reste un terrain privilégié où s’exerce la diplomatie publique. Les Chinois y développent un activisme impressionnant (voir 2010 : une nouvelle année chinoise en Afrique et Soft power chinois en Afrique). L’une de ces actions de séduction concerne les bourses octroyées aux Africains pour étudier en Chine. Il est difficile d’évaluer leur nombre, d’où tout l’intérêt de l’article How Many Africans are Studying in China? du site internet chinaafricarealstory.com. Les Américains ne sont pas en reste. Barack Obama vient ainsi d’inviter 120 jeunes leaders africains de près de 50 pays à participer à un forum à Washington.

Enfin, dans La Chine se refait une image, Le Monde a fait le point sur les récentes campagnes de la Chine en vue de promouvoir son image à l’international. Elle est ainsi passée à la vitesse supérieure en déployant toute une gamme de moyens de communication à la façon d’une grande entreprise afin de produire une image séduisante. Encore une fois, l’enjeu tient à la maîtrise de la représentation de soi comme un élément clé de la souveraineté.

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Je conclurai cette revue de presse par une information surprenante qui va à l’encontre du climat actuel de méfiance envers des musulmans. Un des « Observers » de France 24 raconte qu’en Italie, à Gallarate, les musulmans, privés de mosquée, prient à l’église. En effet, le clergé local a prêté son église pour les prières du soir durant le ramadan. Gallarate compte 2 500 musulmans pour 50 000 habitants. La ville est située dans une région tenue par de la Ligue du Nord, le parti xénophobe et régionaliste d’Umberto Bossi…

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Les articles mentionnés dans cette revue de presse ont été partagés et discutés durant le mois de septembre au sein du groupe de discussion « Gestion des Risques Interculturels » que j’anime sur LinkedIn (518 membres à ce jour). Soyez bienvenu(e) si ces questions vous intéressent!

  • Vous avez un projet de formation pour vos expatriés, une demande de cours ou de conférence sur le management interculturel?
  • Vous souhaitez engager le dialogue sur vos retours d’expérience ou partager une lecture ou une ressource ?
  • Vous pouvez consulter mon profil, la page des formations et des cours et me contacter pour accompagner votre réflexion.

Quelques suggestions de lecture:

2 Comments

  1. Revue de presse interessante. Merci.

    PS : Clarin est un journal argentin et non pas peruvien.

  2. Benjamin PELLETIER

    Merci Charef, modification faite à l’instant. Au plaisir

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