Revues de presse

Le délicat dialogue des cultures – revue de presse

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Les articles mentionnés dans cette revue de presse ont été partagés et discutés durant le mois d’avril au sein du groupe de discussion « Gestion des Risques Interculturels » que j’anime sur LinkedIn (1710 membres à ce jour). Soyez bienvenu(e) si ces questions vous intéressent!

Rubriques : Risques interculturels – Marketing interculturel – Influence – Cultures au musée

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Risques interculturels

Je signale en premier lieu deux articles qui ne concernent pas à proprement parler des risques « interculturels » mais plutôt des risques pays. D’abord au sujet du Maroc et de la France, un article sur les péripéties du business français apporte des éclairages intéressants sur l’état des lieux des relations économiques entre les deux pays. Ensuite, L’Express a mis en ligne une étude des menaces qui pèsent sur les groupes français dans les pays arabes, avec la liste des entreprises et des secteurs sensibles concernés.

Le Parlement européen a fait très fort en diffusant – puis en retirant rapidement – une vidéo censée promouvoir la liberté d’expression dans l’Union européenne. Comment mettre en image ce sujet ? En montrant un contrôleur allemand extrêmement autoritaire et terrorisant les passagers d’un train. Au moment où la Grèce réveille le passé nazi de l’Allemagne, voilà une vidéo qui joue sur des stéréotypes inquiétants pour la bonne entente des peuples européens. Si la vidéo a été retirée, on la retrouve cependant en cherchant un peu :

Restons dans cette ambiance pesante pour évoquer un article du Dailymail au sujet d’un événement qui n’a pas alarmé les grands quotidiens français – et c’est peu de le dire. Il s’agit de la récente visite en France du Président israélien, Shimon Peres, qui est arrivé à Paris en Thalys depuis Bruxelles. Le prestataire bagagiste de la SNCF aurait ordonné que les employés noirs et arabes ne soient pas présents sur le parcours de Shimon Peres pour éviter que la délégation israélienne ne soit en contact avec des musulmans. Imaginons un instant les réactions si, lors d’une visite officielle du Président iranien, consigne avait été donnée d’écarter tout juif potentiel sur le parcours de la délégation iranienne…

Terminons avec une note un peu plus légère. Bill Gates a récemment rencontré la nouvelle Présidente de la Corée du Sud, Park Geun-hye. La photographie de la rencontre a suscité de nombreux commentaires indignés dans la presse coréenne. Bill Gates a en effet salué la Présidente de manière beaucoup trop décontractée, avec la veste ouverte et une main dans la poche, ce qui a choqué les Coréens habitués à un formalisme strict, synonyme de respect et de bienséance :

Marketing interculturel

Le marketing dit « ethnique » concerne l’adaptation de produits à certaines particularités culturelles propres à une communauté. C’est le cas par exemple des boissons et sodas à destination des musulmans. Ceux-ci ne buvant pas d’alcool, ils sont cependant à la recherche de boissons festives, d’où des boissons halal, des vins sans alcool, des jus de datte, des cannettes aux couleurs des pays du Maghreb.

Gamme de boissons dites “identitaires”

En France, 95% des foyers d’origine maghrébine achètent des sodas et 67% des sodas dits identitaires. Les consommateurs sont, d’une part, les immigrés de première génération qui retrouvent là le goût de leur pays et, d’autre part, leurs enfants français qui, après avoir fait un voyage dans le pays de leurs parents, retrouvent dans ces boissons un lien avec ce pays. En quelque sorte, la boisson « identitaire » s’apparente à une madeleine de Proust : elle a un goût « culturel ». Cette expérience est tout à fait similaire à celle du Français expatrié en Corée du Sud qui apprécie un verre de bordeaux quand l’occasion se présente: ce n’est pas seulement le produit qu’il apprécie mais aussi le fait de se replonger un instant dans un monde culturel géographiquement lointain mais affectivement proche.

Difficile de déterminer précisément si le cas suivant appartient au marketing interculturel ou bien tout simplement au marketing. Aux Etats-Unis, le succès des yaourts grecs oblige Danone à contre-attaquer. Ce succès peut s’expliquer par la conjugaison de plusieurs facteurs. L’homme d’affaires turc qui a lancé le yaourt Chobani a insisté sur son « hellénité » en mettant avant l’identité grecque du produit et il a accompagné ce lancement de campagnes publicitaires efficaces et d’un sponsoring du comité olympique américain.

Peugeot a enfin revu sa façon d’aborder le marché chinois. Pourtant présent dès les années 80, Peugeot n’a pas dépassé 4% de parts de marché, contrairement à Volkswagen qui se situe à plus de 20% du marché. Le Monde nous explique comment Peugeot « sinise » ses voitures, notamment au sein d’un centre de recherche, le China Tech Center de Shanghaï. Les petits détails font parfois la différence, comme le fait qu’en Europe :

« Le klaxon d’une voiture est utilisée en moyenne 10 000 fois. En Chine, c’est 400 000 fois ! Il faut donc faire en sorte que le klaxon dure. »

Quant aux détails monumentaux, il était temps de réaliser que « les Chinois sont friands de nouveautés et de moteurs puissants » et qu’il était vain de s’obstiner à vendre en Chine des modèles d’ancienne génération.

Ces ajustements au marché chinois sont indispensables. La Chine – tout comme l’Inde, d’ailleurs – ne peut pas être abordée comme n’importe quel autre pays. Elle est en elle-même un continent culturel extrêmement complexe et un pays en forte évolution économique et sociale, d’où l’exigence de penser des produits accompagnant ces spécificités et ces évolutions. C’est le cas pour l’automobile, et c’est aussi le cas pour le cinéma.

Ainsi, vous lirez avec intérêt Quand les blockbusters d’Hollywood s’adaptent au marché chinois. On note trois types d’ajustements : adaptations (scènes supplémentaires mettant en avant une actrice chinoise dans le prochain Iron Man 3), autocensures (origine chinoise d’une pandémie modifiée dans World War Z qui sortira cet été), coproductions (pour notamment contourner le quota de films étrangers en Chine).

Influence

Challenges fait le point sur un sujet d’importance en évoquant la vérité sur l’aide étrangère aux banlieues. L’article recense ainsi « un fonds du Qatar dans les banlieues françaises ; une opération de séduction d’ampleur vers les leaders des quartiers menée par les Etats-Unis ; un concept de “business académie” pour les créateurs d’entreprise des cités venu de Suède ». Pour ma part, j’ai consacré un article sur la stratégie américaine pour influencer les minorités en France.

Parmi les trois actions d’influence identifiées par Challenges, c’est d’ailleurs l’action américaine qui est la plus mature et la plus vaste, ce qui n’empêche pas le ministre délégué à la Ville, François Lamy, d’estimer que « les fantasmes autour des Etats étrangers venant à la rescousse de nos banlieues prétendues abandonnées ont fait long feu ». Certes, comparée à l’aide publique française consacrée aux territoires classés ZUS (Zones Urbaines Sensibles), l’action américaine semble insignifiante. Or, nous ne sommes pas là dans la comparaison quantitative mais dans l’appréciation qualitative d’actions envers les banlieues venant d’une puissance étrangère qui, quoi qu’on en dise, vise indirectement – et d’ailleurs avec raison – ses propres intérêts.

L’aide n’est en effet jamais désintéressée, sauf si elle se réalise dans une absence complète de vision, autrement dit de stratégie. Il n’y a pas d’aide en pure perte sur le long terme, pas plus que d’investissement sans contrepartie. Voyez par exemple cet article de Jeune Afrique qui fait le point sur les dix pays africains qui attirent le plus d’investissements chinois en détaillant le volume de ces investissements et les secteurs concernés. Dans l’ordre, ces pays sont :

1. Nigeria (15,6 milliards de dollars), 2. Algérie (8,8), 3. Afrique du Sud (8,6), 4. Ethiopie (7,8), 5. Rép. dém. du Congo (7,8), 6. Tchad (6,8), 7. Angola (6,5), 8. Niger (5,2), 9. Sierra Leone (4,7), 10. Cameroun (4,6).

La diplomatie économique exige un vrai savoir-faire de la part des représentants politiques et des diplomates pour promouvoir les intérêts français à l’international et développer une stratégie d’influence. L’été dernier, Laurent Fabius a décidé de renforcer cette dimension au sein des Affaires étrangères. Le magazine Intelligence Economique de France24 a consacré une intéressante émission sur le sujet en proposant un reportage sur le travail effectué par l’ambassade de France en Ethiopie :

 

Cette action sur le terrain doit être appuyée au plus niveau de l’Etat lors des visites présidentielles. François Hollande a récemment visité l’Inde, le Maroc et la Russie. Il revient tout juste de Chine, un pays où il n’était auparavant jamais allé de toute sa vie. Le Monde déplore à ce titre que cette visite présidentielle n’ait duré que 37 heures. Le journal constate en effet qu’Angela Merkel est allée à six reprises en Chine ces six dernières années (dont deux en 2012) et – surtout – qu’elle a l’habitude d’y rester cinq jours.

Au sujet de la visite de François Hollande en Chine, relevons également ce commentaire du Monde, qui montre l’ampleur du retard français dans la relation avec l’Asie :

« Paris commence enfin à prendre conscience du poids de l’Asie pour l’Europe, et à le montrer. »

Le journaliste n’écrit pas que Paris « a enfin pris conscience du poids de l’Asie » mais « commence à prendre conscience » du poids de l’Asie. Autrement dit, c’est le début du commencement dans la prise de conscience. Or, cela fait déjà longtemps que la Chine est une grande puissance et que le centre de gravité du monde a basculé vers l’Est. Pour s’en rendre compte, il suffit de consulter la carte du monde des dépôts de brevets mise en ligne par les Echos. Elle montre qu’en 2011 la Chine a déposé plus de brevets que les Etats-Unis :

Cultures au musée

Le Louvre Abou Dabi a inauguré ce mois-ci sa première exposition. 130 œuvres ont été présentées pour refléter la vocation universelle de ce musée issu d’un accord signé en 2007 entre la France et l’Emirat. J’ai déjà analysé la problématique des musées dits “universels” sur ce blog. L’un des enjeux concerne la signification des œuvres présentées qui ont pour vocation non pas de témoigner du travail d’un artiste singulier, d’une époque particulière ou d’un courant esthétique spécifique, mais d’instituer un dialogue interculturel sur la base de valeurs universelles – ainsi que l’affirme Laurence des Cars, directrice scientifique de l’agence France-Muséums et coordonnatrice de l’ensemble du projet du Louvre Abou Dhabi :

« Les autorités d’Abu Dhabi ont voulu une mise en regard des cultures, des civilisations, des religions, comme en témoigne ce Coran mamelouk à côté d’une Torah yéménite, ou ces nus de “Vénus et nymphes au bain” de Lagrenée. »

Vénus de Lagrenée – photo AFP

Sans dénier au Louvre Abou Dhabi et aux porteurs de ce projet la dimension universelle en question, je suis pour ma part très sceptique sur le sens de cette juxtaposition d’œuvres hétéroclites visant à faire « dialoguer » les cultures. Cela me fait penser à une entreprise qui réunirait une équipe de collaborateurs de différentes nationalités dans l’intention d’initier un dialogue interculturel en réduisant l’identité de chacun à sa culture d’origine et en mettant de côté sa singularité. Or, il me semble qu’il n’y a de dialogue que dans la richesse et la complexité des singularités, et non dans les généralisations abstraites.

Par exemple, juxtaposer un Coran mamelouk et une Torah yéménite signifie-t-il « faire dialoguer l’islam et le judaïsme » pour délivrer un message de tolérance religieuse ? Et la présence des nus de Vénus dans un musée d’Abou Dhabi vise-t-elle à délivrer un message sur la tolérance des Emiratis par rapport à la représentation du corps de la femme, toujours problématique dans les pays musulmans ? Si tel est le cas, il ne s’agit pas de s’intéresser à « ce » Coran, « cette » Torah, « ces » nus mais à leur simple juxtaposition dans un espace commun, ce qui laisse perplexe sur la compréhension intrinsèque des œuvres (voyez aussi sur ce blog Murakami à Versailles : dialogue des cultures ou dialure des cultogues ?).

Concernant cette exposition, notons qu’elle a lieu au Centre d’art et d’exposition du District Culturel de Saadiyat, et non pas dans le musée du Louvre Abou Dabi. Pour une raison simple : le musée n’est pas encore construit, malgré une ouverture qui était annoncée pour cette année. Sur les déboires de ce projet, vous lirez avec intérêt l’article de Libération Louvre Abou Dabi : les mille et un ennuis.

Le Qatar souhaite être candidat aux Jeux olympiques de 2024 et, à ce titre, il a décidé d’organiser une exposition sur l’olympisme de l’Antiquité à nos jours. La Grèce, qui avait prêté au Qatar deux statues d’athlètes, a eu la surprise de les voir revenir au pays sans avoir été exposées. Il semble que ce qui a posé problème aux Qataris était la nudité de ces hommes, au point d’avoir eu pour première intention de voiler de noir les parties exposées, puis de refuser finalement de les exposer. Voilà qui ne déplairait pas au voisin saoudien qui vient d’expulser d’Arabie trois Emiratis au motif qu’ils étaient trop… beaux (petite remarque : je trouve particulièrement vexante cette mesure car, ayant effectué deux expatriations dans ce pays, je n’ai jamais été expulsé).

Si l’universel peut vider de sa substance le singulier, le national peut dénaturer le culturel. L’exposition intitulée De l’Allemagne et qui se tient actuellement au Louvre suscite un « grand malentendu » du côté allemand. Certains commentateurs allemands estiment en effet que l’exposition suggère un déterminisme culturel menant droit au nazisme. L’intention louable de l’exposition : remédier à l’ignorance des Français quant à la culture allemande, se retourne contre ses promoteurs en réduisant la culture allemande à sa dimension nationale, ce que relèvent également des Français, dont Elisabeth Décultot, directrice de recherche au CNRS et au Centre Marc-Bloch de Berlin :

« En titrant cette exposition “De l’Allemagne”, en référence à Mme de Staël, on établit un lien qui est tout sauf évident entre la production artistique et l’identité politique. Cette lecture nationale, qui ignore totalement le polycentrisme allemand, doit être révisée. »

Retrouvez toutes les revues de presse ici.

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