Revues de presse

Le combat des voraces et des coriaces – revue de presse

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Revue de presse des articles du mois de février ayant attiré mon attention et alimenté certains articles du blog. 

Rubriques : Les PME à l’international – La France en manque de diversité – Développement africain – Influence

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« Les temps ont changé. Même la déco est chinoise. » Remarque d’un observateur lors de l’inauguration du nouveau siège de l’Union africaine à Addis Abeba.

Les PME à l’international

Dans un monde de voraces et de coriaces, une structure qui n’a pas la taille critique pour prendre des risques à l’international ne peut pas partir seule au combat. Elle doit rechercher des alliés, mutualiser les ressources et partager l’information pour avoir une chance de s’implanter sur des marchés complexes à l’étranger. Sans cela, elle suit un parcours erratique dans un environnement qu’elle ne maîtrise pas.

Il y a en la matière une incontestable réussite des PME allemandes en Chine. Dans les Echos, un article décrit les clés du succès des Allemands à l’international en insistant sur leur capacité « à jouer collectif et à mettre en œuvre des structures immédiatement utiles pour les PME ». Ainsi, il y a presque 100 PME allemandes installées dans un même immeuble à Pékin. De même, elles partagent 50 000 m2 de bureaux à Shanghai.

Cette logistique bénéficie de l’appui des banques des Länder allemands. Par contraste, les PME françaises partent en ordre dispersé, comme le constate Martine Le Boulaire, directrice du développement du réseau Entreprise et personnel 

« Sur place, c’est très frappant : les entreprises françaises sont dispersées et se sentent seules. Elles ont un rapport protocolaire avec les différentes instances censées leur apporter de l’aide. Alors que, côté allemand, une institution puissante, OAV, les accompagne concrètement et organise le partage d’information. »

Il y a actuellement presque 5 000 entreprises allemandes en Chine, contre moins de 900 entreprises françaises. L’Allemagne représente à elle seule près de la moitié des exportations européennes vers la Chine.

Mais leur taille plus modeste par rapport aux PME allemandes ou le manque d’organisation et d’accompagnement des PME françaises ne suffisent pas à expliquer leur moindre présence à l’international. Dans le Monde, M.Bourcieu, directeur de l’ESC Dijon-Bourgogne donne une explication supplémentaire dans un article intitulé L’international, trop loin pour les PME françaises ?

« Faute de disposer des compétences linguistiques et interculturelles nécessaires, de nombreuses PME françaises ont des difficultés à appréhender les marchés internationaux et leurs spécificités. »

Autrement dit, il ne faut pas négliger le déficit de compétences non techniques qui handicape les dirigeants de PME à l’international. En outre, M.Bourcieu estime que le développement international exige une compétence spécifique qui fait souvent défaut aux PME. Le dirigeant qui s’éloigne physiquement doit en effet apprendre à déléguer :

« Pour faire face à l’éloignement, le dirigeant doit développer des compétences managériales nouvelles. Fondées sur une plus grande confiance et l’acceptation de la délégation, elles impliquent également la mise en place d’un management par objectifs et d’un système de reporting plus formalisé. Pour des dirigeants de PME peu ou pas formés au management, cette rupture de la proximité peut être une barrière au développement international. »

La France en manque de diversité

Un point de vue publié dans les Echos déplore l’absence de maturité des entreprises françaises en matière de prise en compte de la diversité. La crise économique ne fait que renforcer cette frilosité envers la différence qui apparaît comme menaçante, et non comme enrichissante. D’où le réflexe toujours bien ancré de « clonage » des recrues sur des modèles bien connus :

« L’obstacle est culturel, il n’en est que plus redoutable. Il faudrait que les entreprises remettent en cause le poids de la norme standardisée à l’embauche qui étouffe leur créativité et leurs capacités d’innovation en même temps qu’elle entrave leur efficacité. […] A ce titre, la France est un pays champion de ce clonage, où la différence – de culture, de langue, d’origine sociale, de quartiers, de parcours, etc. – dérange plus que dans beaucoup d’autres. Et ses managers, même s’ils osent de moins en moins cette confession politiquement très incorrecte, continuent de considérer le salarié éloigné de la norme comme un handicap dans l’atteinte de leurs objectifs. »

Partant de ce constat, se pose la question de savoir dans quelle mesure l’entreprise est un miroir de la société. Car cette obsession pour une identité normée se rencontre à la fois dans la monde professionnel, comme on vient de le voir ci-dessus, et dans le discours politique qui, plus que jamais, entretient des différences dangereuses entre Français. Or, et c’est tout le paradoxe, ces minorités sont moins visibles aujourd’hui dans le monde politique qu’à d’autres époques.

C’est ce que nous apprend l’historien Pascal Blanchard dans un entretien accordé à Libération à l’occasion de la sortie de La France noire :

« Le premier député noir a été élu en 1793 ! Il y avait 46 Noirs à l’Assemblée nationale en 1950. A ce niveau-là, ce ne sont plus des exceptions. Aucun membre de l’UMP ne sait que le premier maire noir de France, Raphaël Elizé, a été élu en 1929 à Sablé-sur-Sarthe, la ville de François Fillon ! Et qu’on ne me parle pas de communautarisme ! Ce vétérinaire était le seul Noir de la commune, avec sa femme. Qui se souvient encore que Gréville-Réhache, un Antillais, est devenu vice-président de l’Assemblée en 1904 ? Comment ? En battant Jaurès pour le poste du perchoir ! J’en ai parlé à François Hollande : il y a plus d’un siècle, lui ai-je rappelé, les socialistes n’avaient aucun problème pour donner plus de voix à un Noir qu’à Jaurès. […] Où en est-on aujourd’hui ? Il n’y a qu’un seul maire noir en France, et une seule députée, George Pau-Langevin, en dehors des représentants des DOM-TOM. On a régressé. »

Développement africain

Nombreux sont les articles qui évoquent les nouveaux acteurs présents sur le continent africain pour y développer des relations commerciales, et en premier lieu les Chinois. Beaucoup plus rares sont les analyses des relations commerciales entre Etats africains. Un rapport de la Banque mondiale (ici, en pdf) vient combler ce manque en mettant en évidence les multiples freins aux échanges interrégionaux qui font perdre des milliards aux pays africains.

Par ailleurs, on ne compte pratiquement pas de sociétés minières privées africaines, la plupart sont anglo-saxonnes. Néanmoins, Jeune Afrique constate la montée en puissance d’Africains qui accèdent à des postes importants au sein des plus grands groupes du secteur minier. Cette africanisation des cadres est-elle l’indice de l’arrivée prochaine d’entrepreneurs locaux dans ce secteur stratégique ?

D’un côté les coriaces Anglo-saxons, d’un autre côté les voraces Chinois. Quelle place pour les Français ? La question a dû être tournée dans tous les sens avant que le groupe EDF n’annonce le 16 janvier dernier une alliance stratégique avec un groupe chinois du nucléaire pour concourir à l’appel d’offres de 40 milliards d’euros que pourrait lancer l’Afrique du Sud courant 2012.

Guy Gweth, spécialiste en intelligence économique, propose une excellente analyse des menaces et opportunités de cette curieuse alliance. Une alliance contrainte, dans la mesure où il s’agit d’une requête de l’Afrique du Sud, comme l’a indiqué Hervé Machenaud, directeur exécutif production et ingénierie d’EDF, en marge d’une conférence de presse sur les résultats annuels du groupe le 16 février 2012 à Paris :

« Les Sud-Africains choisiront les fournisseurs qu’ils souhaitent. Or, ils nous ont dit qu’ils souhaitaient qu’on soit en partenariat avec les Chinois. Et donc si c’est ça qu’ils veulent, c’est ce qu’on va faire. »

Influence

Je signale un important entretien avec Nicolas Tenzer mis en ligne par la lettre d’information toujours passionnante de Comes Communication : Vecteurs d’influence et débats d’idées (pdf). Nicolas Tenzer réfléchit depuis de nombreuses années aux moyens de développer l’expertise française à l’international, et donc l’influence de la France. J’ai déjà mentionné à plusieurs reprises ses analyses sur ce blog, voir ce lien.

De même que les dirigeants de PME manquent d’envergure internationale, les dirigeants politiques français se caractérisent, selon Nicolas Tenzer, par une « très faible internationalisation ». En effet, ils semblent affectés des mêmes maux que les patrons de PME :

« Peu ont vécu ou ont eu des expériences professionnelles à l’étranger, ce qui dénote un déficit d’hybridation. Certes, ils considèrent que l’international compte, mais ils ne savent pas comment apprivoiser la réalité du monde. »

Et il en va de même avec les professeurs et intellectuels français spécialistes des questions internationales. Malgré leur excellent niveau, leur aura dépasse rarement les frontières, et leur influence sur la pensée anglo-saxonne est quasi nulle, tout comme leur visibilité à l’international :

« Tel est le paradoxe : nos spécialistes, même brillants, ne sont guère opérationnels. On les voit isolés des réalités de la sphère de politique internationale et donc peu influents. »

Difficile dans ce cas de peser sur le cours du monde, et surtout sur la façon de percevoir et de penser ce monde…

Coriaces et voraces à la fois, les Chinois ont frappé un grand coup pour peser sur le destin de l’Afrique, ou du moins pour imposer leur présence sur le long terme, lors de l’inauguration du nouveau siège de l’Union africaine (UA) à Addis Abeba. Le fait est que la Chine a fait cadeau à l’UA de ce bâtiment construit en moins de trois ans pour plus de 200 millions de dollars.

Inauguration du siège de l’UA avec Jia Qinglin, président du Comité national de la Conférence consultative politique du peuple chinois (CCPPC)

Non seulement la Chine a fait cadeau aux pays africains de ce bâtiment de 30 étages équipé de trois centres de conférences, de bureaux pouvant accueillir 700 personnes, d’un héliport et d’un amphithéâtre extérieur, mais elle a également fourni le mobilier, plus un chèque de 94 millions de dollars pour assurer la maintenance dans les prochaines années. Pas étonnant que lors du sommet de l’UA fin janvier la délégation chinoise dépassait en nombre les délégations européennes ou américaines, ni que le premier canal audio de traduction simultanée soit attribué au mandarin, devant l’anglais.

Chinois voraces également en Europe avec, dans le Monde, Quand le “made in China” se transforme en “made in Europe”. C’est là un article bienvenu qui évoque enfin frontalement une question essentielle : quel décryptage peut-on faire de la stratégie chinoise d’implantation sur le sol européen ? Quels risques pour les labels made in Europe, made in France ? Pour prolonger cet article, je vous renvoie à deux analyses publiées sur ce blog : Un Chinatown à Châteauroux? et Les Grecs parlent-ils chinois ? – Face aux Chinois voraces, les Européens seront-ils assez coriaces ?

Enfin, je signale un intéressant article du Monde consacré aux voracités du Qatar : Les ambitions démesurées d’une micro-monarchie, et dans l’Usine Nouvelle cette note au sujet d’Airbus qui est perçu comme une entreprise allemande par des Chinois. Pour l’anecdote, le nom Airbus est une invention allemande…

Les articles mentionnés dans cette revue de presse ont été partagés et discutés durant le mois de février au sein du groupe de discussion « Gestion des Risques Interculturels » que j’anime sur LinkedIn (1037 membres à ce jour). Soyez bienvenu(e) si ces questions vous intéressent!

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  • Vous pouvez consulter mon profil, la page des formations et des cours et conférences et me contacter pour accompagner votre réflexion.

Quelques suggestions de lecture:

3 Comments

  1. Olivier Duperrin

    J´étais au Suriname l’an dernier et le nouveau bâtiment du ministère des Affaires Etrangères avait été offert par la Chine.
    Chinois déjà présents depuis longtemps dans ce pays “oublié” où, à première vue, ils contrôlent toute la distribution alimentaire (supermarchés)…

    Au fait, combien de lycées en France enseignent-ils le mandarin ? Avec un peu de volonté politique (et de bon sens), il devrait être possible d’envoyer quelques centaines de profs se former en Chine (selon l’écrivain-journaliste américain Peter Hessler, il est possible de devenir quasi-bilingue en deux ans d´immersion totale) ou d’inviter des chinois à enseigner en France (on devrait facilement trouver des volontaires).

    Et ne pas négliger la Corée…

  2. Benjamin PELLETIER

    @Olivier – Je n’étais pas au courant pour le bâtiment du MAE du Suriname. La différence, c’est tout de même le poids symbolique très important d’un tel cadeau à une organisation internationale des pays africains. Cela rappelle en fait l’ancestral système tributaire que pratiquait la Chine: offrir des cadeaux de prix aux autres pays en reconnaissance implicite de l’allégeance de ceux qui les reçoivent… C’est une forme de colonisation douce qui a son efficacité et son charme auprès des pays tributaires – assurément plus que la colonisation dure par les armes comme la pratiquaient les Européens.

  3. Olivier Duperrin

    Votre remarque sur la valeur symbolique du « cadeau » chinois à l´OUA est très juste.

    Je viens de trouver un court article du New York Times qui parle justement des investissements chinois au Suriname.

    Pour moi, “l´agressivité” commerciale chinoise est un peu leur réponse (tardive mais « la vengeance est un plat etc… ») aux fameuses Guerres de l´Opium du 19ème siècle quand les occidentaux se sont taillés au sabre des routes, parts de marché, zones commerciales et autres concessions au sein de l´Empire en invoquant la « liberté commerciale ».

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