Revues de presse

La séduction infinie – revue de presse

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Les articles mentionnés dans cette revue de presse ont été partagés et discutés durant le mois de novembre au sein du groupe de discussion « Gestion des Risques Interculturels » que j’anime sur LinkedIn (1464 membres à ce jour). Soyez bienvenu(e) si ces questions vous intéressent!

Rubriques : Marketing interculturel – Influence, une séduction sans fin – Management français et fin des archaïsmes

Il y a certes un nombre limité de pays, de peuples et de cultures. Mais les évolutions historiques et économiques modifient sans cesse leurs relations et leurs perceptions mutuelles. La carte des interactions est toujours en mouvement, recomposée par des influences innombrables.

Comment décrypter ces interactions et s’adapter à ces évolutions sans commettre d’impair ? Comment également ne pas se satisfaire d’une position acquise et savoir se remettre en question ? Comment rester sans cesse attractif et intéressant dans un monde de moins en moins occidental, de plus en plus complexe ?

Et comment ne pas s’épuiser dans ce processus de séduction infinie ?

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Marketing interculturel 

La complexité grandissante du monde peut être illustrée par l’évolution des critères esthétiques. Dans Le Monde, un article extrêmement intéressant fait le point sur le secteur des produits de beauté. Alors que l’Européenne représentait le canon de la beauté pour les non-Européennes, on observe le début d’un mouvement inverse, et même de « déseuropéanisation », comme le note Florence Bernardin, fondatrice de la société Information Inspiration :

« L’influence des pays asiatiques n’a jamais été aussi importante pour l’Occident. Ceux qui font appel à nous veulent évidemment conquérir ces consommatrices, mais ils souhaitent aussi importer en France ce qui marche là-bas. Ce n’est plus le modèle européen qui fait rêver les jeunes Chinoises. Leur idéal se trouve aujourd’hui en Corée ou au Japon. Quant aux femmes occidentales, elles ne sont plus les premières à tester les dernières découvertes. »

Autrement dit, nous nous trouvons déjà à un deuxième stade de la désoccidentalisation du monde. Après un premier stade de regain de fierté culturelle et de résistance aux normes occidentales, les cultures non-occidentales deviennent elles-mêmes normatives et commencent à conditionner les cultures occidentales. A tel point que Jochen Zaumseil, vice-président exécutif de la zone Asie-Pacifique de L’Oréal, peut affirmer qu’à présent « on redécouvre la consommatrice européenne via l’Asie ».

Sephora a ouvert ses magasins les plus novateurs à Shanghai et à Singapour. On annonce l’arrivée en France de soins antitaches commercialisés en Asie depuis un quart de siècle. Les critères esthétiques sont en train de basculer. Ces constats ne sont pas anecdotiques, ils sont les symptômes d’une évolution immense dont on a du mal à mesurer les conséquences – une forme de Renaissance des cultures asiatiques, comme il y a eu une Renaissance des cultures européennes au XVe siècle.

Parler de Renaissance peut sembler pompeux mais le fait est que les peuples occidentaux qui restent à l’intérieur de leurs frontières ont un temps de retard sur la prise de conscience par rapport aux entreprises multinationales qui se trouvent sur la ligne de front de ces évolutions. C’est pourquoi il est essentiel d’observer leurs efforts, succès et échecs qui délimitent la complexe cartographie des nouvelles interactions.

Comment s’implanter en Chine où les gens ont l’habitude de boire du thé alors que le cœur de votre positionnement est la vente de cafés ? C’est l’équation compliquée que s’efforce de résoudre Starbucks qui ne peut pas faire l’impasse sur une présence en Chine. Starbucks se trouve dans une situation curieuse dans la mesure où ses cafés en tant que lieux de sociabilité sont plus appréciés que le produit que la chaîne américaine y commercialise. C’est ce qu’il ressort du témoignage de Cheng Xiachen, professeur d’anglais :

« C’est un bon endroit pour rencontrer des gens. Mais le café est si amer qu’il a le goût des médicaments chinois. »

Starbucks doit donc mettre en avant des saveurs plus sucrées, comme le chocolat chaud à la menthe. En même temps, il ne peut trop s’éloigner de son image de marque occidentale, au risque de perdre la clientèle haut de gamme qui vient dans ses cafés pour retrouver le « goût » de l’Occident. Séduire les Chinois revient pour Starbucks à trouver un difficile compromis où l’authenticité de la marque est en jeu.

Il y a déjà deux ans que j’ai mis en ligne un article sur l’importance du marché halal, et surtout sur le retard français pris sur ce segment, voir Le marché des produits  halal : enjeux culturels et économiques. Certains freins culturels français à la prise en compte des spécificités culturelles de groupes de consommateurs empêchent un vrai développement de la filière. En évoquant le cas du premier dentifrice halal produit en France, Le Parisien rappelle également que « les rouges à lèvres et les soins pour la peau sans graisse de porc sont tous importés de Belgique, d’Indonésie ou d’Australie ».

Enfin, le dernier cas de cette rubrique ne relève pas à proprement parler du marketing interculturel, même s’il permet de souligner l’obstination des Français à répondre aux appels d’offre étrangers en proposant un produit identique au produit vendu en France. François Hollande a récemment effectué une visite en Arabie Saoudite et le Canard Enchaîné (édition du 7 novembre) revient sur l’échec français de l’année dernière, lors de l’attribution du contrat de 6,7 milliards d’euros pour relier La Mecque à Médine par un train à grande vitesse. Ce sont les Espagnols qui ont finalement remporté la mise :

« A l’occasion de ce voyage, un point d’histoire a été éclairci : pourquoi Alstom a raté la vente de son TGV. La firme se serait entêtée à vouloir fourguer aux Saoudiens un TGV à deux étages alors que ceux-ci voulaient absolument des wagons séparés hommes-femmes dans lesquels ils ne se croiseraient pas en montant dans le train. Résultat : c’est l’AVE (espagnol) qui a remporté le marché. »

Influence, une séduction sans fin

Le Brésil est un acteur de plus en plus important de la diplomatie et de l’influence culturelles à l’international, autrement dit du soft power.  J’ai déjà signalé ce phénomène dans plusieurs revues de presse, par exemple dans Sortir du dualisme, revue de presse de novembre 2011. Ce mois-ci, un article du Fair Observer fait le point sans ambiguïté sur le sujet : Brazil and the Exportation of Culture.

Il évoque par exemple le Programme de soutien à la traduction et à la publication à l’étranger des auteurs brésiliens. L’objectif est de développer la visibilité du Brésil à l’international, en prévision notamment de la Coupe du monde de football et des Jeux olympiques d’été qui se tiendront au Brésil en 2014 et en 2016. Ces événements se trouvent au cœur d’une séquence historique au cours de laquelle le Brésil se positionne au centre de l’attention internationale pendant plusieurs années – et compte bien le rester par la suite.

Dans cette perspective, comme l’écrit l’auteur de l’article, « le pays prend une part active dans le conditionnement de la façon dont il est perçu par le reste du monde ». Par suite, on peut s’interroger sur l’image de lui-même que le pays entend exporter. Après examen des écrivains traduits par le Programme de soutien, l’auteur estime que certains romanciers véhiculent une image exotique du Brésil « qui renforce certains stéréotypes sur le pays ».

C’est en effet le risque de ce type d’action d’influence culturelle. A vouloir considérer une nation comme une marque, on finit par la soumettre aux impératifs de la publicité et du marketing, d’où l’enfermement dans les stéréotypes. J’ai analysé ce processus à travers trois études de cas dans L’interculturel pris au piège du marketing. Ce risque peut être limité avec une approche plus complexe de la culture en question. Le Brésil semble s’efforcer d’éviter ce travers en traduisant, outre des ouvrages présentant une vision exotique et stéréotypée, des romans qui « ne produisent pas une image simple et unifiée du Brésil ».

La séduction infinie, c’est aussi et surtout la capacité à convaincre les acteurs étrangers à investir dans le pays. Dans ce cadre, chaque Etat s’efforce de mettre en avant ses atouts. Le Figaro consacre un article au lancement de la campagne Say oui to France : L’État français veut séduire les investisseurs étrangers. Il a ouvert un site internet dédié et entièrement en anglais axé sur les atouts français en matière d’innovation.

L’objectif de cette campagne est de lutter contre les stéréotypes négatifs qui affectent l’image de la France quand il est question d’investissement et d’innovation. Une vidéo a même été produite pour prendre le contre-pied de ces stéréotypes :

L’initiative est louable et bienvenue. Reste à savoir s’il ne s’agit que d’une opération de communication ou si elle prend appui sur une véritable stratégie sur le long terme. Pour ma part, j’ai évidemment exploré la page du site internet de Say oui to France qui s’intitule Expatriates welcomed, Les expatriés sont les bienvenus. Et j’ai un peu grimacé devant une page de texte assez laide, comprenant les habituelles sections sur les taxes, les visas et… deux lignes sur le système éducatif.

Mais là où j’ai fortement grimacé, c’est en constatant que le seul document à télécharger (dans la colonne de gauche) est ce dossier de 106 pages intitulé Doing Business in France (pdf) qui détaille les lourdes et complexes procédures administratives et fiscales pour vivre et s’implanter en France. Des informations certes utiles, mais dont la lecture rebuterait même le plus passionné des fiscalistes. Dans cette bouillie administrative consacrée au développement des affaires en France, il n’est évidemment pas question des éléments culturels liés aux pratiques professionnelles et au management.

Nous sommes encore très loin de savoir produire de l’information séduisante. Voyez sur ce blog ce que font les Danois pour accueillir les étrangers : Accueil des impatriés : l’exemple danois… et le contre-exemple français. Encore une fois, il manque à la démarche française une approche vraiment professionnelle des questions non-techniques, des enjeux culturels et du facteur humain. Il faut absolument les intégrer si l’on veut jouer la carte de la séduction. On ne peut en rester aux atouts de la qualité de vie en France et aux informations fiscales…

Séduire les investisseurs étrangers, c’est un enjeu majeur en bout de chaîne. Séduire les étudiants étrangers en amont est un enjeu tout aussi important. Or, Le Monde revient sur un fiasco en cours : Campus France fait fuir les étudiants étrangers qu’elle est censée attirer. Cet établissement public à caractère industriel et commercial (EPIC) a pour mission depuis fin 2011 d’appuyer le développement de la mobilité universitaire et scientifique internationale, d’améliorer l’attractivité et la mobilité universitaire et scientifique, d’assurer la gestion des bourses du gouvernement français et des bourses des gouvernements étrangers, d’organiser les séjours de personnalités étrangères.

Mais Le Monde relaie la colère d’acteurs de la mobilité des étudiants. Les tarifs de ce Campus France sont plus chers qu’auparavant (1000 euros contre 600 pour l’organisme habituel, le CNOUS) sans pour autant apporter un meilleur service. La qualité du service aurait même baissé dans la mesure où l’accueil des étudiants est désormais « dématérialisé », à distance et en ligne via internet. L’ambassadeur de Lybie en France déplore cette évolution :

« Nous avons besoin, pour nos boursiers, d’un accueil à l’arrivée, d’un accompagnement […] pour répondre aux multiples imprévus qui se posent à des populations jeunes, peu francophones et habituées à un encadrement à visage humain, personnalisé. C’est une question de culture. »

Les universitaires français sont également mécontents, à l’image de Patrick Donner, chargé de mission de l’Assemblée des directeurs des instituts universitaires de technologie qui attirent chaque année 1 000 étudiants venus, notamment, du Vietnam, du Gabon, du Cameroun ou de Thaïlande :

« Il est inacceptable que Campus France nous impose des tarifs deux fois plus élevés que le Cnous avec lequel notre partenariat permettait, en outre, d’associer efficacement accueil et hébergement. Nous refusons donc ces nouvelles conditions et avons décidé de nous occuper directement de ces boursiers. »

Enfin, je termine ce tour d’horizon des questions liées à l’influence en signalant une violente attaque des Suisses contre la France, avec pour ambition d’attirer eux aussi les talents et investisseurs en les détournant de leur éventuel intérêt envers la France. Vous trouverez ce dossier à charge sur le site de l’Agefi : Hollande en Suisse (pdf). Il mériterait assurément une analyse plus approfondie qu’une simple mention dans une revue de presse…

Management français et fin des archaïsmes

Contre une vision trop pessimiste des pratiques managériales en France marquées par de nombreux archaïsmes, il peut être utile de donner un coup de projecteur sur des initiatives originales qui s’efforcent d’innover sur ce sujet. Capital a publié un intéressant reportage sur une PME, Thermador, où la transparence est placée au cœur du management, dans la mesure où tous les salaires sont publics dans cette entreprise. L’idée n’est pas d’instiller une compétition malsaine entre les employés mais plutôt de miser complètement sur la confiance mutuelle.

La communication transparente est une clé essentielle pour obtenir l’adhésion de chacun aux objectifs de l’entreprise. Voici ce que le fondateur de Thermador avait pour habitude de dire à ses salariés :

« Vous avez le droit, et le devoir, de connaître et de comprendre la politique, les objectifs, la stratégie de la filiale dans laquelle vous travaillez comme celle de l’ensemble du groupe. »

Cette communication totale et transparente peut sembler évidente. Et pourtant, j’ai montré que la simple communication sur la stratégie de l’entreprise est très médiocre en France quand on la compare à d’autre pays. Voir sur ce blog Défaillances managériales des entreprises françaises (2) : fractures multiples.

Dans La Tribune, un article formidable fait également le point sur ces entreprises françaises qui innovent en matière de management. Il s’intitule tout simplement : Et si on partageait le pouvoir dans l’entreprise? Ces entreprises ont compris le poids des archaïsmes qui créent des tensions sociales, démotivent les salariés et, à terme, impactent négativement le chiffre d’affaires. Selon le professeur Isaac Getz, la liberté donne tout simplement de meilleurs résultats que le caporalisme :

« L’exercice d’un contrôle autoritaire s’accompagne d’une multitude de coûts cachés qui ne pèsent pas seulement sur les bénéfices mais sur la santé des employés (…) La grave erreur des bureaucrates est de s’imaginer que, parce qu’une chose s’appelle règle, elle est préférable à un arrangement moins formel. D’autant que la plupart de ces règles ne se bornent pas à saper le moral des salariés: elles empêchent la grande majorité d’entre eux de faire ce qui conviendrait. »

Ainsi, on relève de nombreux cas d’expériences managériales innovantes en France, dans des entreprises où :

« La plupart n’ont pas de parking réservé à la direction, ni de bureaux plus spacieux pour les cadres. Certaines ne regroupent pas leurs collaborateurs par service… mais par client. Beaucoup ne disposent plus d’une pointeuse. La plupart autorisent les salariés à fixer leurs propres emploi du temps et certaines n’ont plus aucun manager, ni titres, ni grades. Les salariés choisissent leurs leaders, définissent eux-mêmes la description de leurs postes. »

Cet article de La Tribune est à mettre en regard avec la dernière étude de CEGOS sur le climat social dans les entreprises publiques et privées en France (ici, pdf). Je reprendrai seulement deux sujets abordés par cette étude, notamment parce qu’ils permettent de prendre conscience de la distance qui sépare salariés et DRH, une distance déjà mise en évidence sur le blog (par exemple ici).

Voici ce que répondent salariés et DRH quand on les interroge sur le rôle des managers :

Si les salariés et les DRH n’ont pas les mêmes appréciations, cela peut provenir du fait que les premiers vivent ce que les seconds ne font que juger, ce qui implique de la part des DRH une certaine déconnexion par rapport au terrain. Cette distance peut également provenir d’une conception trop verticale du management au sein de laquelle les DRH émettent des directives venant donc « d’en haut » et se diffusant « vers le bas » sans qu’il soit possible pour eux d’avoir un contact direct et horizontal avec la mise en pratique de ces directives.

Enfin, voici ce que salariés et DRH répondent au sujet de l’entretien d’évaluation :

Là encore, la distance est grande entre les salariés qui sont peu nombreux à être satisfaits de l’entretien d’évaluation et les DRH qui surestiment l’efficacité de ces entretiens. Au final, on en revient à une conception de l’encadrement qui reste archaïque au sens où il reste bien des progrès à faire pour que les managers soient au service de leurs subordonnés – et non l’inverse.

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