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L’identité nationale française en question(s)

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Après plusieurs jours d’hésitation, car les polémiques où la passion l’emporte sur le raisonnement ne mènent jamais très loin, je reviens sur ce “débat” sur l’identité nationale qui nous concerne ici car la perception de ce qu’est l’identité française détermine également la perception qu’ont les Français des étrangers et qu’ont les étrangers des Français.

Revenons aux fondamentaux

Quand on parle d’identité, on se réfère certes au sentiment d’appartenance, mais surtout au principe de reconnaissance. Qu’il s’agisse de l’identité personnelle au sens psychologique (le moi) ou au sens administratif (la carte d’identité), chaque fois il est question de se reconnaître ou d’être reconnu. La reconnaissance passe par le regard que je porte sur moi-même et que les autres portent sur moi.

C’est la complexité de ce regard qui est en jeu ici. Il n’est pas donné, il s’acquiert au cours du développement individuel, il peut s’altérer (troubles de la personnalité, exclusion sociale, par exemple), il peut ne jamais se manifester ou se perdre (autisme, schizophrénie).

Depuis la petite enfance jusqu’à l’âge adulte, une personne peut se développer tout à fait harmonieusement sans se poser de question sur son identité personnelle, jusqu’au jour fatidique où elle se demande: “Qui suis-je?” ou bien, pire encore, lorsqu’on lui (im)pose la question: “Mais qui es-tu?” Moment critique où s’ouvre une brèche dans le regard sur soi qui justement ne va plus de soi (cette thématique a été merveilleusement explorée en littérature par Luigi Pirandello dans son roman Un, personne et cent mille, et en philosophie par Clément Rosset dans son petit livre Loin de moi: étude sur l’identité).

Ainsi, ce regard détermine un fond mouvant à partir duquel chacun se construit : l’image de soi. Cette image de fond correspond à la perception que j’ai de moi-même. Cette perception peut soit atténuer certains aspects de ma personnalité, soit les accentuer. Elle dépend également fortement de mon environnement. Dans tel milieu, avec telle personne ou dans telle culture, l’image que j’ai de moi-même sera valorisée ou dévalorisée, fortement affirmée ou tout simplement effacée. On se trouve là au croisement de l’ordre fantasmatique et du contexte social et culturel.

On parle d’une identité bien spécifique: l’identité « nationale ». Il s’agit donc de relier ce fond mouvant et très variable selon les individus à une référence unique : la nation. C’est maintenant la nature de ce lien qui pose problème.

Ce lien peut être purement administratif au sens où, étant né par hasard dans tel pays, je considère mon identité nationale comme le simple résultat de l’exercice de mes droits et devoirs en qualité de citoyen de ce pays. Ce lien administratif peut se redoubler d’une dimension affective qui le renforce et parfois le supplante : mon identité nationale tient alors à l’amour que je porte à mon pays.

Evolution de l’idée de nation

Là, il faut s’arrêter un instant sur l’idée de nation. Prenons deux définitions, l’une du Moyen Age, l’autre de la France moderne, pour voir l’évolution de cette idée entre les deux extrémités de l’histoire de France:

  • Si l’on se réfère à la définition de « nation » que l’on trouve dans les Chroniques des Ducs de Normandie de 1175, on peut lire ceci : ensemble d’êtres humains caractérisé par une communauté d’origine, de langue, de culture, etc. (source: CNRTL)
  • Ernest Renan dans sa célèbre conférence « Qu’est-ce qu’une nation ? » prononcée le 11 mars 1882 donne notamment cette définition : “L’homme n’est esclave ni de sa race, ni de sa langue, ni de sa religion, ni du cours des fleuves, ni de la direction des chaînes de montagnes. Une grande agrégation d’hommes, saine d’esprit et chaude de cœur, crée une conscience morale qui s’appelle une nation.” (Pour info, Alain Juppé vient de poster sur son blog un résumé des différentes définitions données par Renan, c’est ici)

On voit ainsi que l’un des enjeux de la France au cours de son histoire a été de progressivement mettre de côté dans l’idée de nation les considérations liées à une origine commune des hommes qui la constituent.

Or, il me semble que cette conception de l’identité nationale entre en contradiction avec l’identité historique souvent revendiquée ou mise en avant pour définir ce qu’est « être Français». La passion pour l’histoire – qui a elle-même une histoire (voir notamment la 2e Considération Intempestive de Nietzsche) – dissimule parfois une passion pour l’identité historique liée aux problématiques de l’enracinement et de l’authenticité.

Une identité toujours en construction

Tout l’enjeu finalement n’est-il pas de passer de l’obsession d’une identité historique comme identification à une origine commune (« Nos ancêtres les Gaulois… ») à la construction d’une identité historique comme participation à une histoire à venir ? Plutôt que sur l’héritage – qu’il ne faut évidemment pas renier – miser sur le projet…

A condition que les élites politiques soient à la hauteur de ce défi… Mais, somme toute, c’est bien ce qu’elles ont eu à faire à chaque moment marquant de l’histoire de France. Quelle vision de la France dans 10, 20, 50, 100 ans ? Que faire face aux bouleversements actuels ? Que propose-t-on comme projet de société dans un monde en crise ? Quelles stratégies met-on en place pour l’efficacité et l’approvisionnement énergétique de demain ? Que penser de l’Union Européenne sur le long terme ?

Les sujets ne manquent pourtant pas, qui pourraient revigorer l’identité nationale de chacun autour de la construction d’un avenir commun. Et ce, sans même avoir à se demander ce qu’est l’identité nationale. On cesserait peut-être alors de ne la considérer que dans le rétroviseur…

Note additionnelle du 07/11/09:

Le Monde vient de publier un article, Aux racines de l’identité nationale, qui a le mérite de remettre les pendules à l’heure sur la généalogie de cette expression: “identité nationale”.  On apprend ainsi notamment:

  • cette expression a une origine très récente: “Quand l’expression est-elle apparue dans la langue française ? “Seulement dans les années 1980“, répond l’historienne Anne-Marie Thiesse, directrice de recherche au CNRS et auteur de La Création des identités nationales. Europe XVIIIe – XXe siècle (Seuil, 1999). Une plongée dans le catalogue de la Bibliothèque nationale de France (BNF) le confirme : le premier livre dont le titre contient l’expression “identité nationale” a été publié en 1978 (un essai sur le poète chilien Pablo Neruda).”
  • sa popularisation a lieu au moment où l’immigration devient un enjeu électoral avec la montée du Front national
  • à l’origine de son développement, on trouve les travaux de sociologues américains dans les années 60, tel qu’Erving Goffman (cité ici dans ce blog, et dont j’ai utilisé les apports dans cet article et dans celui-ci), quand ils ont étudié les minorités aux USA et les discriminations dont elles étaient victimes
  • Fernand Braudel qui, dans son étude L’identité de la France publiée en 1986, a utilisé cette expression s’est toujours senti mal à l’aise avec son emploi.

Ce n’est pas l’adjectif “national” qui pose tellement problème finalement, mais bien plutôt la notion extrêmement problématique d’identité, car il n’y a d’obsession pour l’identité qu’en période critique de vulnérabilité et il n’y a d’identité que comme obsession de l’identique par opposition au différent, voire exclusion de ce dernier.

Enfin, laissons le dernier mot à Fernand Braudel qui, interrogé par le Monde en 1985 sur la possibilité de donner un contenu à l’identité de la France, répondit:  : “Oui, à condition qu’elle laisse place à toutes les interprétations, à toutes les interventions. (…) Il y a une identité de la France à rechercher avec les erreurs et les succès possibles, mais en dehors de toute position politique partisane.” Avant de formuler cette injonction : “Je ne veux pas qu’on s’amuse avec l’identité.”

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One Comment

  1. Chercheur en sciences politique à L’université des Antilles Guyane je voudiras vous fair”e parvenir une communication sur le sujet de l’identité nationale ici en Guadeloupe; Commen faire ?

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