Formation, Points de vue

Le bêtisier des formations interculturelles

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Ayant fortement ralenti le rythme des publications en 2014, je vous propose une petite compensation – que j’espère à fois instructive et divertissante – avec un bêtisier des formations interculturelles.

Je note chaque fois les retours d’expérience les plus intéressants qui sont partagés lors des formations – mais aussi les incongruités et maladresses, aussi bien de la part des participants que de ma part en tant que formateur. Cela permet de préparer au mieux les sessions suivantes en indiquant aux entreprises les conditions matérielles requises pour une formation efficace, et en apprenant également de ses propres erreurs.

Il va de soi que je ne vais pas livrer mon bêtisier intégral, ne pouvant communiquer certaines anecdotes trop récentes ou trop facilement identifiables pour les protagonistes.

* * *

Le pays de la soif

Animer un groupe pendant sept heures, et parfois quatorze heures dans le cas de formations sur deux jours, ce n’est pas de tout repos. La dépense d’énergie est absolument colossale pour le formateur.

Il faut briser la glace, créer une atmosphère propice à la libération de la parole, apporter du contenu de façon interactive, déployer des activités individuelles et en sous-groupes, répondre aux questions les plus inattendues, portant aussi bien sur un point précis d’économie que sur l’origine de la couleur d’un drapeau national, assurer une présence dynamique lors des pauses et des moments informels, improviser selon le degré de connaissance et de compétences des participants, prendre en compte les susceptibilités, faire preuve de bienveillance, vérifier indirectement que savoir et savoir-faire sont assimilés, etc. etc.

Autant dire que vous finissez lessivé, vidé, aspiré. Et quand ce sont trois jours d’affilée à assurer, vous rentrez chez vous avec la vivacité d’une palourde.

Je me souviens de ma première journée d’animation. C’était en 2008. J’avais la gorge en feu et j’ai perdu la voix pour les trois jours qui ont suivi.

Hors repas, je bois deux litres d’eau lors d’une journée de formation.

Alors…

Alors, pourquoi y a-t-il encore autant d’entreprises qui ne prévoient même pas une bouteille d’eau pour le formateur et les participants ?

Voici un florilège de réactions lorsque je demande de l’eau : « Désolé mais les restrictions budgétaires… », « Il fallait prévenir la veille pour faire une demande », « La personne qui s’en occupe n’est pas là », « Je vais faire la demande, mais je ne garantis rien avant la fin de matinée », « Vous avez un distributeur automatique, ici ! – Mais il ne fonctionne qu’avec les badges des employés… – Arrangez-vous avec un participant ! »

De l’eau ! Et pourquoi pas du café et du thé ? Ou une connexion internet ? Mais il se prend pour qui, ce type ?

Alors, j’ai pris l’habitude de toujours acheter une bouteille d’eau avant une formation. Mais quand c’est régime sec pour tout le monde, je vois les participants tirer la langue lorsque je sors ma bouteille dans une salle surchauffée ou saturée d’air climatisé.

Heureusement, ce sont des exceptions – mais pas si rares que cela…

Ce n’est pas un détail. La simple attention de prévoir de l’eau indique au formateur et aux participants qu’ils sont tout simplement bienvenus en formation. En revanche, l’inverse produit pour le formateur l’impression de déranger, d’être un indésirable, et pour les participants cela induit un message destructeur : l’idée que la formation, ce n’est pas important, et que c’est même une perturbation ou une perte de temps.

Cela me rappelle un article de Courrier International que j’ai lu il y a quelques années. Une délégation d’intellectuels saoudiens était reçue au ministère de la Culture. Voici ce qu’a remarqué l’un d’entre eux :

« J’ai également noté que la table de réunion était dépouillée à l’extrême. Il n’y avait ni carafe d’eau, ni même une seule pauvre feuille de papier mise à disposition des participants pour leur permettre de prendre des notes. Je n’ai pu m’empêcher de penser aux tables que nous garnissons pour nos hôtes, avec moult bouquets de fleurs, blocs-notes en cuir véritable, verres de jus de fruit, gâteaux, théières et cafetières brillant de tout leur éclat, sans oublier des bouteilles d’eau d’Evian importées de France ! »

Un équipement dernier cri (de souffrance)

J’ai remarqué que les entreprises ont récemment fait de gros efforts pour équiper les salles de formation des dernières technologies. J’espère que c’est désormais aussi le cas de cette banque qui avait vaguement aménagé une salle de réunion en scotchant sur un mur des feuilles de papier en guise d’écran.

Encore faut-il former le personnel à l’utilisation de ces technologies. Je vois trop souvent la personne qui accueille le formateur ne pas oser s’en approcher, comme s’il s’agissait d’un foyer épidémique d’Ebola. « Voilà, c’est ici » et elle s’éclipse avant de devoir en expliquer le fonctionnement. A la rigueur, elle laisse le numéro de téléphone de l’assistance technique qui prend plaisir à justement ne jamais répondre au téléphone.

Et puis, il faut fusiller la personne qui a installé un superbe écran mais l’a placé juste sous un plafonnier, ce qui fait que la lumière projetée par le néon vient brouiller les informations projetées sur l’écran ultramoderne. Et bien sûr, il n’est pas possible de régler l’intensité lumineuse de la salle.

L’entreprise a donc dépensé une fortune pour moderniser son équipement sans prendre en compte la structure de la salle. C’est également flagrant lorsque la salle comprend des baies vitrées mal occultées par des stores en piteux état. C’est comme si vous changiez le moteur de votre voiture tout en voulant conserver sa vieille carrosserie. Certainement pour des raisons de coût… ou parce que la personne qui s’occupe du moteur n’est pas la même que celle qui s’occupe de la carrosserie.

Parfois, il y a des aléas pour le moins cocasses. Lors d’une formation dans une salle au sous-sol d’une entreprise liée à la production d’électricité, les plombs ont sauté dans tout l’étage vers 15h. « Vous n’avez pas payé votre facture ? » Nous avons continué dans le noir complet pendant plus d’une heure, seulement éclairés par la lumière du vidéoprojecteur, ce qui donnait à notre groupe l’atmosphère d’une société secrète.

Un autre jour, je me suis trouvé au siège d’une entreprise qui venait de rénover toutes ses salles. La formation portait sur les pays du Golfe. Pour accueillir les participants en début de matinée, il est toujours sympathique de montrer des illustrations avec en musique de fond des chants traditionnels. J’ai pu connecter la sortie son de l’ordinateur au haut-parleur de la salle de formation et apprécier la qualité sonore de ce nouvel équipement.

Excellente qualité. Un peu trop même.

Car le haut-parleur était relié aux haut-parleurs de toutes les salles du cinquième étage de cette entreprise. Il a fallu un certain temps avant que des employés un peu déboussolés ne trouvent l’origine de ces inquiétants appels à la prière qui résonnaient dans tout l’étage. « Ce n’est rien, vous venez d’être rachetés par des Qataris ! »

Grosses maladresses et petites ignorances

Certaines demandes d’entreprises laissent rêveur, ou en tout cas en disent long sur le degré d’immaturité sur les enjeux interculturels. Par exemple, voici ce que demandait l’une d’entre elles il y a quelques années :

« Un séminaire sur les enjeux interculturels des zones Europe, Asie, Afrique, Amérique du Nord, Amérique du Sud, abordant us et coutumes, écueils à éviter, pratiques commerciales, procédures douanières, ainsi que langue, décalage horaire, démographie, religion, infrastructures, données politiques, type de régime, données économiques, présentation du commerce extérieur de la zone. »

Sans oublier qu’il fallait prévoir un exercice ludique pour trente participants.

Le tout à traiter en… 1h.

Authentique. Ce n’était pas un canular.

Dans une autre veine, j’ai conservé le message de refus d’une organisation que je ne peux pas citer. Dommage, car son rédacteur a produit un chef d’œuvre absolu en la matière :

« J’ai soumis votre proposition que j’ai vivement appuyée au comité d’organisation du colloque. Votre proposition a fait l’unanimité. Cependant, des contraintes budgétaires inopinées liées à la logistique restreignent drastiquement notre budget. Notre équipe s’interroge donc actuellement sur le financement global et d’abord logistique de l’événement pour solutionner ces contraintes matérielles et de sécurité qui nous sont imposées. Aussi, dépourvus d’une visibilité budgétaire précise, nous ne pouvons pas nous engager sur votre participation à l’heure actuelle. Une fois ces impondérables réglés, nous aurons la visibilité requise pour vous solliciter si vous êtes encore libre, bien entendu. »

Lourds, les impondérables à régler, très lourds. Mais cela peut se traiter en analyse chez un bon psychothérapeute, bien entendu.

Un jour, je projetais une carte de la Corée du Sud lors d’une session sur ce pays. Une participante se fige, écarquille les yeux et ne peut s’empêcher de demander : « Mais… mais depuis quand la Corée est rattachée à la Chine ? » Sourires gênés des dix autres participants. Le formateur, indulgent mais néanmoins précis dans sa réponse : « Depuis qu’elle est une péninsule, Madame. »

Session sur les pays du Golfe à présent. Lors du tour de table, je demande quel est le pays de la zone avec lequel les participants ont le plus d’interactions. L’un d’entre eux répond: « Le Maroc ». Zut, mauvaise pioche… Mais le suivant ne craint pas de dire : « La Grèce. » Il va y avoir du pain sur la planche…

Mais n’accablons pas ces participants, certainement plus distraits qu’ignorants en matière de géographie. Je ne suis pas exempt de maladresses. Par exemple, très récemment, je faisais une intervention en anglais. A plusieurs reprises, j’ai remarqué que les trois anglophones du groupe ne pouvaient pas s’empêcher de rire.

A la pause, un Américain est venu me voir :

« Quand vous expliquez quelque chose et que vous indiquez qu’il faut se focaliser sur tel ou tel point, évitez de prononcer le verbe to focus ainsi : to fuck us… »

Il est vrai que cela entraînait chez certains une grande perplexité sur la finalité de la journée que nous passions ensemble.

Pour ma part, je lui ai précisé en retour :

« Merci pour le conseil – mais vous, continuez s’il vous plaît à dire que vous avez eu le coup de foutre pour la France : vos collègues français adorent… »

Pour prolonger, je vous invite à consulter les articles:

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  • Vous avez un projet de formation, une demande de cours ou de conférence sur le management interculturel?
  • Vous souhaitez engager le dialogue sur vos retours d’expérience ou partager une lecture ou une ressource ?
  • Vous pouvez consulter mon profil, la page des formations et des cours et conférences et me contacter pour accompagner votre réflexion.

Quelques suggestions de lecture:

3 Comments

  1. Cher Benjamin, que du vécu dans cet article amusant et si criant de vérité.
    Pour avoir vécu à peu près tout ce que vous racontez, je ne me déplace plus qu’à “la Hollandaise”, c’est-à-dire avec, dans le coffre de ma voiture, de l’eau en packs de 50cl, quelques victuailles, un vidéo-projecteur avec toute la connectique ad hoc, des piles de rechange, des mouchoirs en papier, des feutres effaçables etc…

    Il est courant qu’on me demande du blanco, des gommes, de quoi écrire, des agrafes, des trombonnes… sans parler des photocopies.

    Tiens il me vient une idée : Pourquoi ne pas concevoir et commercialiser la “caisse à outils” du formateur ?

  2. Benjamin PELLETIER

    Oui – voilà qui complète bien!
    Et je ne parle pas des participants qui viennent assister à une journée de 7h de formation les mains dans les poches: sans papier ni stylo…

  3. Pour continuer dans la même veine, cela me rassure….Vous aussi! Je me déplace également avec mon kit de survie pour la bonne forme physique et mentale!!Heureusement, il y a des exceptions.

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