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De la fuite dans les idées – revue de presse

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Revue de presse des articles du mois d’octobre ayant attiré mon attention et alimenté certains articles du blog.

Rubriques : expatriation – secteur ferroviaire – influence culturelle – éducations françaises – désir d’entreprendre et facteurs culturels – étranges Japonais

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Expatriation

Les fuites, elle sont actuellement massives hors d’Espagne avec la crise qui fait fuir des centaines de milliers de personnes. Cet article du Monde est malheureusement en ligne avec les analyses publiées sur ce blog dans L’Europe en crise et la fuite des cerveaux. Alors qu’entre 2002 et 2008, la population espagnole a augmenté de 700 000 personnes par an (accroissement naturel et immigration), elle ne devrait augmenter que de 100 000 personnes en 2011, et même commencer à baisser si l’on se réfère aux prévisions du solde démographique établies par l’Institut National des Statistiques espagnol :

L’Allemagne, l’Angleterre et l’Amérique latine sont parmi les destinations privilégiées des Espagnols en quête de travail. L’Institut National des Statistiques espagnol prévoit même que l’Espagne pourrait perdre 500 000 habitants les prochaines années si cette tendance se poursuit. Or, ces départs concernent de très nombreux jeunes diplômés et vont certainement affecter la capacité de l’Espagne à se relever de la crise.

Certains pays voient partir leurs talents, d’autres les accueillent. C’est le cas de l’Inde dont le dynamisme économique attire de nombreux expatriés. Ainsi, l’India Times nous apprend que le recrutement d’expatriés a augmenté de 20% depuis l’année dernière. Actuellement, 40 000 expatriés travaillent dans le pays, et la tendance est à une augmentation exponentielle de leurs effectifs.

Autre pays d’accueil non seulement des expatriés mais aussi traditionnellement des immigrés : le Canada, et plus précisément le Québec, où a été réalisé un sondage sur la perception des immigrants par les Québécois. Il ressort de cette enquête que 42 % des Québécois perçoivent les immigrants comme une menace pour la culture québécoise. En revanche, sur la question des unions interculturelles, près d’un Québécois sur deux (47 %) assure qu’il serait heureux si son enfant lui annonçait son mariage avec une personne d’une origine ethnique différente de la sienne.

Le Québec a des liens historiques avec la France, ce qui incite les jeunes français à partir y étudier. Mais, alors qu’on note une explosion du nombre d’étudiants français inscrits dans l’une des 18 universités du Québec (460 étudiants en 1982, 7 000 aujourd’hui), ce mouvement n’est pas réciproque, avec une baisse des étudiants québécois en France (3 000 dans les années 70, 700 actuellement). Comme raisons à ce reflux, Le Monde évoque la montée en gamme des universités québécoises et la mauvaise réputation des universités françaises : « vétusté des locaux, inaccessibilité du cours professoral, équipement informatique insuffisant, manque de convivialité de l’accueil ».

Secteur ferroviaire

Alstom et la SNCF viennent de perdre le contrat du siècle dans le transport ferroviaire : la liaison Djedda-La Mecque-Médine en Arabie Saoudite, un contrat à 7 milliards d’euros finalement attribué à un consortium espagnol. L’irruption des entreprises espagnoles est ici une surprise dans la mesure où le rival le plus sérieux mis en avant depuis des mois était chinois.

La perte de ce contrat serait due à un facteur financier (l’offre française s’élevait à 10 milliards d’euros), à une inadéquation du produit (le TGV français n’a pas les capacités suffisantes pour le transport massif de pèlerins) et à un lobbying inefficace :

« Les Français ont également été un peu naïfs en matière de lobbying par rapport aux Espagnols. Alstom et la SNCF ont pensé que l’appui de l’Elysée suffisait et n’ont pas déployé suffisamment de représentants sur place. »

Le Wall Sreet Journal revient sur la collision en Chine de deux trains à grande vitesse qui a coûté la vie en juillet dernier à 40 personnes et en a blessé 200 autres. Officiellement, le gouvernement a mis en avant une erreur de signalisation et une erreur humaine comme causes de la catastrophe. Or, il semble que l’explication reste superficielle et que les problèmes soient plus profonds.

En effet, les systèmes de signalisation présentés comme propriété du chinois Hollysys contenaient des composants du Japonais Hitachi. La question se pose dans quelles conditions ces composants ont été intégrés au fabricant chinois, et dans quelle mesure les Chinois maîtrisent une technologie étrangère. Comme le dit un haut responsable d’Hitachi :

« Cela reste généralement encore un mystère de savoir comment une entreprise comme Hollysys a pu intégrer notre équipement dans un système de signalisation de la sécurité sans une connaissance intime de notre savoir-faire. »

Rappelons qu’en moins de sept ans, la Chine a bâti un réseau de trains à grande vitesse plus important que le réseau allemand ou le réseau japonais qui ont été mis en place sur plusieurs décennies. Acquérir la technologie, l’assimiler et la maîtriser sont trois étapes qui ont leur propre chronologie.

Si la Chine n’est pas encore au point dans la totale maîtrise de la technologie du train à grand vitesse, elle est cependant très efficace dans l’utilisation du secteur ferroviaire comme fer de lance de sa conquête de marchés en Afrique. Je signale ainsi une très intéressante étude (en pdf) qui analyse les relations entre la Chine et le Gabon à travers le contrat ferroviaire appelé “projet Bélinga”.

Ce projet de 2,2 milliards d’euros consiste dans l’extension d’une voie ferrée en vue d’exploiter le minerai de fer de la région de Bélinga. L’article décrit la montée en puissance de la Chine au Gabon ces dernières années : construction du sénat en 2005, nouveau complexe pour la radio et la télévision en 2007, projet hydoélectrique du « Grand Poubara », permis miniers pour exploiter le manganèse, stade de l’amitié sino-gabonaise prévu pour 2012, et enfin le projet Bélinga.

Influence culturelle

La puissance chinoise en Afrique est également renforcée par sa capacité de séduction des populations locales. Si les médias occidentaux, et particulièrement français, insistent sur les tensions et conflits entre Chinois et Africains, ils évoquent trop peu les interactions positives qui se développent dans de nombreux pays. La multiplication des Instituts Confucius sur le continent africain en est la démonstration : de plus en plus d’Africains ont le désir de Chine, et ce désir passe par la langue et la culture chinoises.

C’est par exemple le cas au Rwanda. L’article Confucius in Kigali : China’s Cultural Outreach in Rwanda propose un reportage à l’Institut Confucius de la capitale rwandaise. Outre les cours de langue, les Rwandais viennent également à l’Institut pour des événements culturels ou des cours d’arts martiaux, comme le montre la vidéo ci-dessous :

 Les interactions entre Chinois et Rwandais supposent un effort de la part des Chinois pour faire un pas vers la culture locale. M.Kong, directeur de l’Institut Confucius de Kigali, évoque ainsi les relations avec les Rwandais :

« L’ancien directeur ici, un vieux bonhomme, avait de mauvaises relations avec le directeur local parce qu’il ne savait pas comment faire avec les gens locaux. Il voulait seulement que les Africains apprennent le chinois mais il ne voulait pas apprendre la culture locale. Quand je suis arrivé, j’ai appris quelque peu la langue locale et l’hymne national, et je me suis renseigné sur le patrimoine rwandais. Et ils me considèrent très bien. Je pense que si vous voulez que les autres peuples apprennent votre culture, vous devriez d’abord apprendre la leur. »

Apprendre leur culture ou bien leur proposer des produits culturels populaires en accord avec les valeurs locales. C’est en ce sens que la culture populaire coréenne inonde littéralement de nombreux pays depuis une dizaine d’années. Dans Les Echos, l’article Ces pop stars qui servent les ambitions coréennes explique comment les entreprises coréennes profitent de l’image positive du pays renvoyée par la musique et les séries télévisées.

Les stars coréennes sont des célébrités dans des pays parfois inattendus : non seulement en Chine, au Japon, en Asie du Sud-Est, mais aussi en Ouzbékistan, en Turquie et même en Iran. Dans tous ces pays, les téléspectateurs apprécient des séries qui ne mettent pas en scène la violence ou le sexe comme dans les séries américaines :

« Les séries télévisées coréennes les plus populaires à l’étranger respectent ainsi les codes culturels de la région, tout en présentant des acteurs aux traits presque occidentalisés s’habillant à la dernière mode dans les décors d’un Séoul ultramoderne. Les scénarios louent souvent le respect des anciens, de la cellule familiale ou de l’ascension par le travail et le mérite, tout en se construisant autour de drames amoureux universels. »

Les résultats sont spectaculaires : la Corée détient désormais 5% de l’industrie culturelle mondiale (30% pour Hollywood); les exportations de biens culturels ont été multipliés par dix en dix ans; les ventes de CD, DVD et autres jeux vidéo coréens à l’étranger devraient progresser de 14% cette année pour atteindre 3,8 milliards de dollars en 2011; plus de 8,8 millions d’étrangers ont visité le pays l’an dernier contre 6 millions en 2006. Enfin, le nombre de candidats étrangers au Topik, un test de coréen, est passé de 2 692 en 1997 à 189 261 en 2009, et le nombre d’étudiants étrangers en Corée a progressé en moyenne de 27 % par an depuis 2001.

Educations françaises

A l’heure où pour faire face à un monde d’incertitude, il est plus que jamais nécessaire de promouvoir la diversité des profils et la transversalité des parcours, la France continue à cloner ses élites, et aggrave même son cas à en croire Le Monde : Ces lycées qui monopolisent la fabrique des élites. Cette année, deux lycées seulement (Louis-le-Grand à Paris et Sainte-Geneviève à Versailles) ont suffi pour pourvoir la moitié des 400 places du concours de Polytechnique. En 2003, les lycées parisiens (Versailles et Sceaux compris) y ont placé 156 élèves, 185 élèves en 2007 et cette année 240 :

« La France continue de limiter la base de recrutement de ses élites en réservant les meilleures places aux catégories les plus favorisées. L’élite française ? D’abord les familles qui inscrivent leurs enfants dans les 5e et 6e arrondissements ou à Versailles. »

L’école en général reste un lieu peu propice au développement de la confiance en soi. Les élèves français sont bien plus anxieux et ont bien plus peur de l’échec que les élèves des autres pays développés. Peter Gumbel, ex-correspondant de “Time Magazine” à Paris et auteur de l’ouvrage “On achève bien les écoliers” (Grasset, 2010) s’insurge dans Le Monde contre une impitoyable culture de la salle de classe en France :

« Ce qui frappe l’étranger que je suis, c’est la “culture de la salle de classe”, impitoyable, qui décourage, enfonçant les plus fragiles, et qui peut se résumer en trois mots : “Tu es nul.” Si, en un demi-siècle, l’école s’est démocratisée, l’enseignant, lui, n’a pas fait sa révolution. Ou pas suffisamment. Son rôle se limite encore à la transmission des savoirs. Il fait autorité, mais reste retranché dans sa classe, rejetant les autres aspects de la vie scolaire. La formation des enseignants – ou son absence – y est pour beaucoup. En Finlande, pays cher à Luc Chatel, la formation dure cinq ans, comme en France, mais elle aborde la gestion de classe, toute la vie scolaire, la psychologie de l’élève. De toute façon, le système centralisé à la française ne donne pas aux enseignants les moyens de changer la donne. »

Education française… et art de se tirer une balle dans le pied. Telle est la première réaction en lisant ce reportage sur les fin de non-recevoir donnée désormais aux étudiants étrangers qui souhaiteraient changer de statut parce qu’ils ont trouvé un emploi en France. Il leur est impossible de passer du statut étudiant au statut travailleur pour obtenir une carte de séjour – quand bien même, je le répète, ils auraient trouvé un emploi pour justifier leur demande.

Manifestations, mise en place d’un collectif, alertes dans les médias, rien n’y fait : le gouvernement reste sur sa ligne de renvoi dans leur pays des étudiants qui ont achevé leur études. Slate évoque le cas d’une « entreprise qui souhaiterait s’implanter sur le marché chinois ou indien, à l’aide d’individus disposant d’un bagage incluant la culture entrepreneuriale française d’un côté, et la culture commerciale chinoise ou indienne de l’autre » et qui ne peut désormais plus recruter ce précieux talent.

Est-il nécessaire d’ajouter que la France détériore un peu plus son image à l’international et perd ses relais d’influence lorsque ces talents étrangers auront d’importantes responsabilités dans 5-10 ans ? Tant qu’il est en ligne, je vous invite à regarder sur ce sujet un reportage du journal d’Arte: Pas de visa pour l’élite étrangère (2’30).

Désir d’entreprendre et facteurs culturels

Le Nouvel Economiste a mis en ligne un très intéressant entretien avec Pascal Picq, paléoanthropologue et professeur au Collège de France. M.Picq s’intéresse de plus en plus au management et aux capacités d’adaptation des entreprises. Il note en France un déficit de diversité et des faiblesses culturelles dans nos capacités d’innovation. Voici deux extrait de cet entretien :

« Culturellement, nous sommes formés en France et en Allemagne pour faire carrière dans les grandes structures, pas pour créer des entreprises. Aux Etats-Unis, un patron qui arrive avec une carrière à la française – linéaire, sans accroc – sera suspect. Chez nous il est excellent mais là-bas ils disent “ce type ne s’est jamais planté, il y a quand même quelque chose de bizarre !”. Pour eux, quand on est entrepreneur, forcément on a échoué à un moment ou à un autre tandis que chez nous, l’échec est marque d’infamie. »

« [Pour innover, il faut] d’abord créer des idées sans augurer de leur pertinence et ensuite, on sélectionne. Tandis qu’en France, les idées vont être motivées par l’idée de développer une filière déjà existante, donc cela ne permet pas d’en faire émerger de nouvelles. […] C’est donc un problème lié à nos élites des grandes écoles qui vont dans les grandes structures et sont un peu méprisantes vis-à-vis de ceux issus des écoles moins bien classées et leurs plus petites structures. Or ce sont ces dernières qui innovent, et non les grandes qui font du développement mais pas d’innovation darwinienne. »

Le déficit de désir d’entreprendre est une réalité vécue comme le montre Pascal Picq, mais aussi une réalité perçue, ainsi que cela ressort d’une étude menée dans plusieurs pays par Ernst&Young. Ainsi, seulement 23 % des entrepreneurs interrogés pensent que la France est un pays dont la culture encourage l’initiative et la création (n°1 : Inde, moyenne du G20 : 76%). Voici le tableau récapitulatif de ces résultats où la France apparaît en dernière place :

Etranges Japonais

Etranges, et définitivement étrangers, c’est ce qu’a dû penser le Britannique Michael Woodford au moment de perdre son poste de patron du groupe japonais Olympus six mois à peine après avoir été nommé. Rares sont les Occidentaux qui ont été à la tête d’une entreprise japonaise. En fait, les deux seuls à avoir réussi à s’imposer au Japon sont Carlos Ghosn chez Nissan et Howard Stringer chez Sony.

Les conflits culturels semblent avoir été déclencheurs de l’éviction du Britannique, ainsi que cela apparaît dans un communiqué du groupe et une déclaration du président honoraire, Tsuyoshi Kikukawa :

«De très importantes divergences sont apparues dans l’orientation et la conduite des affaires entre M. Woodford et les autres membres de la direction, ce qui constitue un blocage pour les prises de décision». M. Woodford «décidait seul pour la conduite de l’entreprise et n’a pas réussi à surpasser la barrière culturelle».

Etranges, les Japonais en réunion: ils ferment les yeux quand quelqu’un s’exprime et semblent somnoler. Voilà qui irrite profondément les hommes d’affaires américains. Ils doivent alors lire cet article : Pourquoi les Japonais ferment les yeux en réunion? Fermer les yeux n’est pas un signe d’inattention, bien au contraire. Les Japonais se concentrent mieux en se débarrassant de la pollution visuelle qui distrait leur attention. Il s’agit aussi d’un repli à la fois poli et stratégique :

« Contrairement aux Américains, les Japonais n’ont pas l’habitude de soutenir du regard les personnes en train de parler. Il n’y a absolument aucune atteinte ou connotation négative sous-jacente lorsqu’ils ferment les yeux. […] Cette posture est en réalité une façon pour eux de ne pas laisser transparaître des signes d’approbation, de désapprobation, d’intérêt ou de désintérêt. Ils restent ainsi le plus neutre possible. »

Etranges décidément, ces Japonais. Et surtout ces Japonaises qui se font refaire la dentition pour lui ajouter un supplément… d’imperfection. Le New York Times fait ainsi état d’une mode en cours au Japon pour les dents qui se chevauchent. Des dents trop parfaites intimideraient les hommes tandis que cette petite imperfection rendrait les femmes plus accessibles à leurs yeux… bien ouverts, cette fois-ci.

Etranges, ces Japonais… ou ces Français ? The Atlantic évoque les Japonais victimes cette année du « syndrome de Paris », cette affection caractérisée par un traumatisme psychologique dû au choc culturel ressenti par les Japonais qui découvrent une ville de Paris complètement en décalage avec ce qu’ils imaginaient avant de partir en France. Les malades sont atteints de choc traumatique et d’une phobie des voyages… Comme les années précédentes, le syndrome de Paris a touché une vingtaine de Japonais.

Les articles mentionnés dans cette revue de presse ont été partagés et discutés durant le mois d’octobre au sein du groupe de discussion « Gestion des Risques Interculturels » que j’anime sur LinkedIn (890 membres à ce jour). Soyez bienvenu(e) si ces questions vous intéressent!

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Quelques suggestions de lecture:

One Comment

  1. Robin van der Sande

    Merci Benjamin pour cette synthèse mensuelle qui permet de remettre nos échanges du groupe GRI sur LinkedIn en perspective.

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