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Alerte : la formation professionnelle régresse en France

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La France loin des engagements de Lisbonne

Lors du sommet de Lisbonne en 2000, les gouvernements de l’Union Européenne se sont engagés à promouvoir une société et une économie accordant un rôle croissant au développement des connaissances. Parmi les priorités faisant l’objet d’objectifs chiffrés figurait le développement de la formation des adultes.

Ainsi, l’objectif défini lors du sommet de Lisbonne était de porter à 12,5 % en 2010 la proportion d’adultes âgés de 25 à 64 ans qui ont suivi une formation dans les quatre semaines précédant l’enquête de l’UE. En 2010, cette proportion au sein de l’UE est de 9 %. L’objectif n’a donc pas été atteint et on constate même une légère régression dans la mesure où le pourcentage moyen de l’UE était de 9,8% en 2005.

Certains pays ont cependant sensiblement amélioré leurs performances en la matière, comme par exemple le Danemark, la Suède, le Luxembourg, l’Estonie ou la République Tchèque. D’autres connaissent une forte baisse. C’est le cas de la Grande-Bretagne passée de 27,6% en 2005 à 19% en 2010. Mais, malgré cette baisse, la Grande-Bretagne reste largement au-dessus de l’objectif de 12,5% fixé pour 2010 par le sommet de Lisbonne.

Par rapport à ces pays, la France est très en deçà, connaissant même une régression continue : 7,3% en 2008, 6% en 2009 (source ici, pdf), puis 5% en 2010. Voici les résultats de l’enquête 2010 dans les 27 pays de l’UE (disponibles en p.72 de ce pdf) :

Cette médiocre position de la France ne manque pas de susciter des inquiétudes dans le contexte d’une évolution très rapide de l’environnement professionnel et international, et donc d’une nécessaire adaptation à ces changements pour les comprendre, les intégrer et adopter une attitude proactive. Comme le disent les pilotes de ligne pour décrire la sensation de maîtrise de leur avion, il faut être en avant de l’appareil, et non en arrière : donc être aux commandes, dans l’action ; et non pas subir l’environnement ni se laisser dépasser par sa complexité.

La formation professionnelle devrait permettre aux salariés de se sentir au moins en accord avec le monde, sinon en avant. Et donc au lieu de régresser, elle devrait s’intensifier, comme c’est le cas au Danemark où la proportion d’adultes ayant suivi une formation dans les quatre semaines précédant l’enquête est passée de 27,4% en 2005 à 32,8% en 2010.

Par ailleurs, l’objectif de 12,5% pour 2010 a été entre-temps revu à la hausse par l’UE. A l’horizon 2020, 15% d’adultes devront avoir suivi une formation dans les quatre semaines précédant l’enquête de l’UE (source ici, en pdf). On voit mal comment la France qui en trois ans est passée de 7% à 5% pourra gagner 10 points dans les prochaines années. La tendance y est d’autant moins favorable qu’elle s’aggrave d’une fracture entre les DRH et les salariés quant au besoin et à la signification de la formation professionnelle.

DRH/salariés : le grand malentendu

Dans l’article sur Les difficultés pour développer le leadership en France, j’avais mis en ligne un document montrant déjà le hiatus entre DRH et managers au sujet des actions de communication. Ce hiatus se retrouve amplifié entre DRH et salariés quant aux questions liées à la formation professionnelle.

En décembre 2008, l’Observatoire du Cegos a publié une étude auprès de 403 DRH/Responsables de la formation et auprès de 800 salariés sur l’évolution de la formation professionnelle en France (ici, en pdf). L’analyse des raisons de l’utilisation du DIF (droit individuel à la formation) est particulièrement révélatrice du hiatus entre DRH et salariés (cliquez sur l’image pour l’agrandir):

Ainsi, les DRH supposent que les salariés recherchent des formations pour développer des compétences transversales tout en désirant un statu quo professionnel, tandis que les salariés envisagent la formation à la fois comme une opportunité de mieux exercer leur métier actuel et comme une ouverture vers un nouveau métier.

Autrement dit, les DRH ne perçoivent la transversalité que comme un moyen pour mieux être ce que l’on est, tandis que les salariés l’envisagent comme une finalité dans la perspective d’un devenir professionnel. Contrairement à certaines idées reçues, les salariés français ne sont pas opposés au changement. Mais leur volonté de changer n’est pas prise en compte par leur organisation.

Autre élément : l’approche psychologisante de la formation par les DRH. La proportion de DRH (24%) qui supposent que la formation est recherchée pour le développement personnel est là aussi sans commune mesure avec celle des salariés (8%). Serait-ce un biais culturel des DRH qui eux-mêmes ont souvent fait des études en psychologie ? Cela voudrait dire qu’ils perçoivent les salariés selon une grille de lecture restreinte qui n’intègre pas leurs besoins réels.

Tous ces hiatus sont réunis et exacerbés dans la perception différente de l’entretien d’évaluation par les DRH et salariés (cliquez sur l’image pour l’agrandir) :

Il apparaît clairement ici que DRH et salariés n’ont pas du tout la même grille de lecture de l’entretien d’évaluation. Tout se passe comme si les DRH validaient une liste formelle de critères qui ne correspondent pas aux attentes des salariés. C’est donc un véritable dialogue de sourds. Tandis que les DRH sont la moitié à penser que l’entretien permet de formuler les attentes en termes de formation, les salariés ne sont que 17%. Idem sur les compétences à améliorer.

Le hiatus est complet sur la construction du parcours professionnel : 37% des DRH estiment que l’entretien d’évaluation correspond à ce besoin contre 6% à peine des salariés. Le hiatus se retrouve sur la mobilité. Cette fois, les salariés sont plus nombreux (19%) à penser que l’entretien d’évaluation permet d’exprimer leurs attentes en termes de mobilité. Mais les DRH ne sont que 13% à penser de même. L’un avec l’autre, ces deux hiatus (construction du parcours professionnel et mobilité) laissent penser que l’entretien d’évaluation ne peut qu’engendrer frustration et stérilité : une incompréhension totale.

L’éternel problème managérial français

L’article sur le leadership avait également mis en avant le problème de la communication entre managers et DRH et entre managers et employés. Ce problème se retrouve identiquement au sujet de la formation. Alors que les DRH sont 92% à avoir mis en place en 2008 des mesures pour développer l’information sur les droits acquis au titre du DIF, les salariés sont seulement 37% à estimer que l’information dont ils disposent est suffisante. Ils n’ont en effet qu’une vague idée des dispositifs existants :

Ces perceptions floues sont aggravées par un manque de prise en compte des besoins en formation par le management direct. Les défaillances en termes de communication empêchent ainsi une réflexion commune et productive entre le manager et son collaborateur sur les enjeux de la formation. Tout se passe comme si la préservation de la situation présente et de la relation d’autorité primait sur l’évolution de cette situation et sur son adaptation à un environnement de plus en plus complexe :

Ce qui ressort de ces différents constats, c’est que la formation professionnelle dans l’entreprise semble l’objet d’un complexe, au sens psychanalytique du terme, c’est-à-dire qu’elle est considérée à la fois positivement et négativement, prise dans un mélange d’attraction et de répulsion.

Certes, la formation est nécessaire, elle développe les compétences des salariés, elle leur permet de mieux exercer leur métier et l’entreprise à tout à y gagner en termes de performances. Mais en même temps, elle est perçue comme une menace : Le salarié formé à de nouvelles compétences ne risque-t-il pas de revendiquer des responsabilités nouvelles, de réclamer une augmentation de salaire, d’entrer en rivalité avec son supérieur, voire de quitter l’entreprise ?

En d’autres termes, le changement effraie plus ou moins consciemment ceux qui ne l’intègrent pas dans leurs grilles de lecture, la mobilité fait peur à ceux qui ne la pratiquent pas eux-mêmes, la transversalité inquiète les hiérarchies établies. Or, la formation professionnelle privée de ses trois finalités (changement, mobilité, transversalité) neutralise tous ses bienfaits en engendrant la frustration des ambitions, en aggravant le statu quo professionnel et en exacerbant les rigidités managériales.

* * *

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3 Comments

  1. Bonjour Benjamin,

    Je suis régulièrement votre blog qui m’apporte beaucoup notamment comme consultant pour la qualité de services en ISO 9001.

    Vous parlez d’une fracture entre DRH et salariés concernant la FP. Mais doit-on réellement parler de fracture et puisque les dispositifs/financements/ressources existent laisser l’opérationnel qui vous lira en pleine désespérance ?

    La préoccupation du collaborateur médian (dans le rang des métiers du secteur, ni trop proche de sa formation initiale, ni trop de la retraite) est sa compétence “métier”. Il est souvent loin d’imaginer ce qu’une formation comportementale pourrait justement lui apporter. Quant à la bureautique ou aux langues ce serait excellent s’il en avait le loisir ou alors en accéléré s’il était mis au pied d’un mur. “Qui transverse souvent se disperse” vous dira-t-il. Le bougre a bien raison. Clients, management, collègues et lui-même l’attendent aux affaires et il a bien du mal à tout traiter convenablement dans les temps. Dans l’idée, il sera cependant toujours partant pour aller plus loin dans son expertise ou l’élargir. D’où sa réponse.

    La préoccupation du DRH est d’abord d’éviter de se lancer témérairement sur le terrain des formations “métiers” (sur lesquelles même après des années de boîte, il est encore susceptible de faire des erreurs grossières) ; elle est ensuite d’ouvrir des portes sur des domaines sur lesquels il peut apporter de la valeur : les VAE parce que c’est gagnant pour tout le monde, le comportemental parce qu’il faut justement être un peu en dehors de la culture métier pour se rendre compte à quel point les “distingués” praticiens et managers gagneraient en efficacité en héritant de quelques apports de la psy appliquée, les langues et la bureautique parce qu’on en a toujours besoin chez soi, qu’il y a abondance de formateurs de bons alois (alors que pour les formations “métiers”, même les meilleurs intervenants se retrouvent régulièrement à larguer une partie de l’auditoire venu uniquement prendre un vernis et indisposer l’autre par des généralités parce qu’ils sont venus faire le point sur des questions pointues) et surtout parce qu’il a vu les efforts sur le long terme de certains peu doués pour les langues ou les mystères d’Excel déboucher sur des compétences bien utiles pour la maison et gages de longévité professionnelle.

    A la norme d’1 pour 300 salariés, un RRH continue de connaitre bien son petit monde et de disposer (malgré ses protestations) de 2 mn pour dialoguer, puis prendre 5 mn (mais pas plus) pour agir.

    Un monteur d’ “usine à gaz” (pardon, technicien compétent) qui l’a compris et dispose d’un peu d’entregent et de réalisme peut obtenir en quelques coups d’être inscrit à temps à une formation “pointue” (et même “chère”) et… hériter en prime de 3j d’une formation “psy” mais qui après 15 ans de carrière lui évitera de “navrer” régulièrement ses interlocuteurs au fil, en réunion, épistolairement…

    Cela n’empêchera ni le RRH, ni un collaborateur de répondre différemment au questionnaire que vous commentez. Leur réponse n’est que le reflet des terrains qu’ils connaissent le mieux. A un moment donné l’une et l’autre partie peuvent parfaitement oublier d’être idiotes et réaliser une bonne jonction entre elles.

    Je ne suis pas certain que le manager de base, i.e devenu tel parce qu’authentiquement incapable d’écouter ou lire +de 2mn tout autre qu’un supérieur ou un client influent (on peut dès lors concevoir ce que sont les entretiens annuels de son département) vienne mettre de sérieux bâtons dans les roues à un projet formation discret, marqué du coin du bon sens et plutôt astuce pour arrondir potentiellement le chiffre de son “équipe” (il est faux de dire qu’en France le fait collectif est méconnu, nous sommes surtout de grands pudiques et n’en parlons qu’à notre contrôleur de gestion).

    Pour conclure, réalisme confucéen (votre prone et un remède contre les oppositions dualistes/analyse phénoménale à la Fr. qui nous paralysent) :

    Présente un visage avenant à ton RRH ; il n’est pas ton ami mais ne sera jamais ton ennemi, sort le de son dilemme en lui exprimant dans un souffle ton besoin et surtout le moyen pratique et réaliste de le satisfaire. Laisse lui la possibilité de te dire “non” deux fois avec le sourire. Il agira à la troisième. Eventuellement, écoute ce qu’il a d’autre à te proposer et laisse à son idée le temps de faire son chemin en toi.

    Amitiés et respects

  2. Benjamin PELLETIER

    @Vedrenne – Merci pour ce témoignage et ces différentes retours d’expérience.

    Au sujet du questionnaire sur le besoin de formation qui fait apparaître une (énorme) différence entre DRH et salariés, je pourrais concevoir tout comme vous que les DRH et les salariés répondent différemment si on les avait interrogés sur leurs conceptions respectives de la formation professionnelle et que donc, dans ce cas, leur réponse ne soit que “le reflet des terrains qu’ils connaissent le mieux”.

    Mais la question était légèrement différente. On a demandé aux DRH leur opinion sur les attentes des salariés (et non des DRH, donc) en matière de formation, avant de poser la même question aux salariés. Dans ce cas, la réponse des DRH devrait refléter non pas le terrain qu’ils connaissent le mieux mais les attentes des salariés. Or, c’est justement là qu’on constate un hiatus ou une déconnexion entre DRH et salariés. C’est cet faille-là qui ne manque pas de susciter des interrogations, d’autant plus qu’on la retrouve sur d’autres sujets…

  3. Bonsoir Benjamin,
    Effectivement. L’importance de l’écart interroge et doit interroger ceux qui pilotent les processus formation. Merci de votre réponse.
    Amitiés et respects

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