Analyses, Etudes de cas, Europe, France, Innovation, IT, Pays

1984: Steve Jobs en France – interview sur les facteurs culturels de l’innovation

Share

 En 1984, Steve Jobs a 29 ans. Déjà célèbre et à la tête d’Apple qui pèse alors plusieurs centaines de millions de dollars, il a rencontré François Mitterrand lors d’une visite de ce dernier à la Silicon Valley. En avril 1984, il est de passage en France, c’est l’occasion de sa première interview à la télévision française. Le journaliste lui demande si la France se prête à des réussites comme la sienne. En manière d’hommage suite à l’annonce de son décès, voici ci-dessous le reportage ainsi que la transcription intégrale de ses propos :

 

“Il semble qu’en Europe la recherche soit d’un bon niveau. Mais les faiblesses viennent des applications concrètes, une étape qui est en elle-même une source d’innovation. Cela, je pense, vient d’un manque de sociétés prêtes à risquer pour entreprendre. Ce que nous appelons le « développement », c’est rarement les entreprises qui le font, c’est plus les petites ou les moyennes entreprises.

Alors, ce qu’il faut, c’est beaucoup de petites entreprises avec des étudiants doués, des capitaux à risque, plus efficaces entre les mains du secteur privé, et aussi des champions que l’on prenne pour modèles en disant : « L’innovation, c’est ça ! ».

Mais il y quelque chose de plus subtil, c’est le facteur culturel. En Europe, l’échec, c’est très grave. Si, en sortant de l’université, vous loupez votre coup, cela vous suit toute votre vie. Alors qu’en Amérique, à Silicon Valley, on passe son temps à échouer ! Quand on se casse la figure, on se relève et on recommence.

Ce qu’il faut pour que l’industrie informatique se développe en Europe et en France, c’est une solide industrie du logiciel. Parce que le logiciel, c’est le pétrole des années 80 et 90 de cette révolution informatique. Il faut des centaines de mini entreprises de logiciels, et la France pourrait dominer l’Europe dans le logiciel. Elle a les étudiants les plus brillants, une bonne maîtrise de la technologie. Ce que nous devons faire, c’est encourager les jeunes à créer des sociétés de logiciel. Nous, nous ne voulons pas mettre la main dessus. Le gouvernement ne doit pas non plus tenter de le faire. Elles doivent appartenir à ceux qui prennent des risques.”

Pour prolonger, je vous invite à lire la série d’articles sur les freins culturels à l’innovation en France, ainsi que l’interview d’un inventeur salarié français qui a quitté la France pour l’Allemagne pour pouvoir innover.

* * *
  • Vous avez un projet de formation, une demande de cours ou de conférence sur le management interculturel?
  • Vous souhaitez engager le dialogue sur vos retours d’expérience ou partager une lecture ou une ressource ?
  • Vous pouvez consulter mon profil, la page des formations et des cours et conférences et me contacter pour accompagner votre réflexion.

Quelques suggestions de lecture:

4 Comments

  1. Benjamin PELLETIER

    @Eric – merci pour ce lien. Voici un extrait de cet article qui entre en résonance avec les propos de Steve Jobs ci-dessus:
    “Culturellement, nous sommes formés en France et en Allemagne pour faire carrière dans les grandes structures, pas pour créer des entreprises. Aux Etats-Unis, un patron qui arrive avec une carrière à la française – linéaire, sans accroc – sera suspect. Chez nous il est excellent mais là-bas ils disent “ce type ne s’est jamais planté, il y a quand même quelque chose de bizarre !”. Pour eux, quand on est entrepreneur, forcément on a échoué à un moment ou à un autre tandis que chez nous, l’échec est marque d’infamie.”

  2. C’était vrai aux Etats-Unis dans les années 1980, ça ne l’est plus maintenant. Il n’est que de voir la progression foudroyante de la fonction publique outre-Atlantique pour se rendre compte de leur alignement progressif sur le modèle technocratique européen. La courbe des salaires dans le secteur protégé est l’inverse de celle du secteur exposée à la concurrence, comme chez nous, ce qui constitue un puissant facteur dissuasif pour faire carrière dans le secteur privé et en particulier dans l’industrie. Par ailleurs si le marché du travail américain était suffisamment souple pour absorber une main-d’oeuvre qualifiée mobile, ce n’est plus le cas actuellement avec des taux de chômage entre 20 et 30% Le modèle de l’innovation à l’américaine s’essouffle et vite, sous le poids de la technostructure fédérale et du socialisme procédurier nourrie par la dette financée par les banques et non par la richesse produite.

  3. Benjamin PELLETIER

    @Nicolas – Certes, mais le diagnostic sur la France établi en 1984 est-il toujours d’actualité?…

    A titre d’exemple, je vous renvoie à un article du blog du MOCI: Archos, un scandale français. En voici le début:
    Henri Crohas n’est pas ce génie charismatique et médiatique de l’informatique grand public et du marketing qu’était feu Steve Jobs – qui mérite l’hommage unanime et mondial qui lui est fait après sa disparition – mais son coup de gueule, dont la presse française unanime s’est faite l’écho, fait mouche. Nous le partageons.

    Le fondateur et dirigeant d’Archos, rare concepteur et fabriquant français encore présent sur le marché des produits électroniques grands publics –certes sur un segment haut de gamme-, partage avec le cofondateur d’Apple au moins deux caractéristiques : c’est un innovateur et c’est un entrepreneur. Surtout, malgré sa petite taille, sa société est un acteur reconnu dans le monde entier pour ses innovations dans le domaine des tablettes.

    Pourquoi le ministère de l’Education nationale et son ministre Laurent Wauquiez, pourquoi Orange –opérateur issu de l’ancien monopole public français France Télécom financé par l’Etat, donc le contribuable- ne l’ont-il pas associé à la campagne lancée le 30 septembre sur les tablettes à un euro pour les étudiants, et dont les partenaires sont l’Américain Apple et le Sud Coréen Samsung ?

    La réponse du ministre à l’AFP : « quand, cet été, on a préparé notre offre étudiante, le système d’Archos, qui venait d’implanter Androïd, n’était pas totalement stable, cela nous aurait obligé à repousser et à ne pas être prêts pour la rentrée » (source, Le Monde.fr). Elle laisse rêveur.

    Aurait-il fallu laisser quelques semaines, quelques mois de plus à cette PME de 100 salariés, qui est tout de même capable de conclure des accords de partenariat avec des géants comme Vodaphone pour mettre à la disposition des consommateurs allemands une offre de tablettes Archos 3 G ? (source : communiqué de presse d’Archos du 30 septembre).

    Oui, il aurait fallu.

    Lire la suite ici.

Leave a Comment

Votre adresse e-mail ne sera pas publiée. Les champs obligatoires sont indiqués avec *

*